Originaire d’Ouganda, Rose Kob a plusieurs cordes attachées à son arc. Chanteuse, activiste et défenseure des migrations, de l’environnement et du changement climatique. Elle a récemment travaillé comme ambassadrice de la migration pour l’Union africaine et l’Oim dans le cadre de leur programme d’ambassadeurs de la jeunesse. A Genève, cette jeune dame a ému tout le monde avec son discours poignant, humaniste et plein d’espoir, basé sur le respect de la dignité humaine, mais aussi l’amélioration des conditions de vie des migrants pour plus d’équité et de justice sociale. Aussi, elle a plaidé pour l’élimination des contraintes liées à l’obtention du visa pour faciliter les mobilités, mais aussi traiter les migrants ou réfugiés comme chacun voudrait qu’il soit traité. Dans cet entretien, elle revient sur l’engagement des jeunes, interpelle les gouvernements africains, européens et décideurs du monde pour faire de la libre circulation des personnes et des biens une réalité dans le respect des droits humains et mettre en œuvre des initiatives innovantes pour lutter efficacement contre le départ des jeunes, mais aussi le changement climatique.Quel est le sens du message que vous avez délivré aujourd’hui lors de la cérémonie d’ouverture du Forum mondial migration et développement (Fmmd) ?

Je tiens déjà à préciser que nous sommes venus au 14e Forum mondial migration et développement de Genève en tant que jeunes délégués. Nous sommes une délégation de plus de 50 jeunes du monde entier. Nous avons commencé par le Forum des jeunes, qui s’est déroulé pendant deux jours, avant le Fmmd. Ce que nous faisons consiste à trouver, identifier notre position, en particulier sur les questions de migration, de développement et de changement climatique, afin d’arriver à une voix collective à partager avec les différents délégués, les gouvernements, les organisations de la Société civile, les Nations unies et toutes les autres parties prenantes qui sont ici.

Je pense que mon message était surtout d’appeler à l’action, et pas seulement aux promesses, mais aussi à l’action au-delà du Fmmd, au-delà de la conférence. Parce que, ce qui compte vraiment, c’est de prendre en compte les gens qui ne savent pas que cette conférence a lieu et pour lesquels cette rencontre se tient. Ils ne savent pas que les gouvernements et les différentes parties prenantes se réunissent ici aujourd’hui pour parler de la migration. Les personnes les plus vulnérables, les femmes et les filles qui ne sont pas allées à l’école ou qui sont en première ligne du changement climatique, qui ont été déplacées par des inondations ou qui sont réfugiées, ou les migrants en général, qui vivent dans des situations différentes. Comment les décisions qui vont être prises, les conversations qui vont avoir lieu ici, peuvent-elles réellement les aider ? Les aider à améliorer leur vie, leurs moyens de subsistance, à avoir accès à des emplois décents, et pas seulement à des emplois qui les exploitent, les protéger contre la traite des êtres humains.

Nous avons un très gros problème de trafic, principalement de personnes originaires d’Afrique subsaharienne qui passent par l’Afrique du Nord pour essayer d’aller en Europe ou dans les pays du Golfe. Il y a beaucoup de trafic, surtout de jeunes filles, d’enfants et de femmes. C’est donc pour moi la plus grande priorité. Les jeunes n’ont pas accès à Internet, ils n’ont pas accès à l’information que certains d’entre nous ont le privilège d’avoir. Je suis donc un peu fatiguée de tant de discussions. Je sais que les discussions sont importantes parce qu’elles débouchent sur des solutions. En ce qui me concerne, ce sont les solutions qui m’intéressent le plus. Tenez par exemple, en Afrique, nous avons la plus grande population de jeunes. Nous sommes le continent le plus jeune.

Comment pouvons-nous tirer parti de cette situation en Afrique ?
Tout d’abord, il est très difficile de se déplacer à l’intérieur du continent, en raison des restrictions de visa, mais aussi de l’absence de réseau en termes de connexions routières, de vols, etc. On a l’impression que l’Afrique n’est pas faite pour les Africains. Il est facile pour les Européens de venir en Afrique. Mais pour un Africain, se déplacer à l’intérieur de l’Afrique est un très gros problème. Et je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles nous ne nous développons pas en tant que continent. J’ai mes compétences. J’ai commencé à l’université de Macari. Je suis écologiste. J’ai aussi des amis qui font de l’Intelligence artificielle et de la technologie, mais ils n’ont pas d’endroit où présenter et développer leurs compétences. Ils sont limités à leur petit pays. Je pense qu’il s’agit là d’un obstacle majeur au développement de l’Afrique. Nous voyons que quelqu’un peut s’installer n’importe où et travailler n’importe où. N’importe quelle université de l’espace Schengen peut les accepter.

Mais quelqu’un qui a étudié au Kenya ira au Nigeria et on lui dira : «Nous ne pensons pas que votre éducation soit admissible ici.» C’est vraiment dommage. Du point de vue africain, j’espère que les pays africains signeront le protocole sur la libre circulation des personnes et la Zone de libre-échange continentale africaine. Au niveau mondial, j’espère voir le respect de la dignité, le respect de la vie humaine. Ils continuent à nous enseigner ce que sont les droits de l’Homme, mais ils ne savent pas ce que sont les droits de l’Homme, parce que nos réfugiés et nos migrants continuent à être poussés dans les océans.

Selon vous, quel sera le rôle de la jeunesse africaine dans la lutte contre les problèmes de la migration irrégulière ?
Déjà je pense que nous devons traiter les Africains comme nous souhaiterions que les autres les traitent. Si vous maltraitez les Africains à l’intérieur du continent parce qu’ils sont des migrants, il est très difficile de s’attendre moralement à ce que l’Europe, l’Asie ou les Etats-Unis les traitent différemment. Mais ce n’est pas une excuse pour qu’ils traitent mal nos migrants. Je pense que, d’après nos conversations internes, il faut que les pays africains changent leur discours et la façon dont ils traitent les migrants africains. Quant à notre rôle, il consiste à veiller à ce que ces pays ne continuent pas à traiter les Africains comme des non-humains, comme des êtres humains inférieurs. Je pense que nous devons prendre position sur les relations diplomatiques.
Je pense qu’il faut continuer à dialoguer avec ces différents pays et à collaborer ensemble. Ce qui est aussi très important, c’est que la plupart les jeunes doivent avoir d’autres possibilités. Une bonne éducation, des emplois bien rémunérés. Ce sont des gens merveilleux. C’est de ce développement dont nous avons besoin pour que nos jeunes, au lieu de périr dans la Méditerranée, périssent en paix. Je pense que nous avons beaucoup d’emplois et que nous devons construire une transition. Le secteur des énergies renouvelables se développe très rapidement.

Nous aurons un secteur des énergies renouvelables qui se développera très rapidement, nous avons l’Intelligence artificielle, nous avons, vous savez, le cœur du secteur. Nous avons donc des jeunes. Nous avons la vie, un bon salaire, des emplois qui leur permettent de se forger une expérience mentale et de développer leurs compétences. Ensuite, s’ils se déplacent, ils seront respectés. Ils sauront que je pars, qu’ils partent en tant qu’experts. Je n’y vais pas en tant qu’ouvrier occasionnel ou quelque chose comme ça.

Quel est votre message à l’endroit de la jeunesse, des gouvernants africains, mais aussi de l’Europe et du système des Nations unies ?
Je pense que les gouvernements africains investissent dans la mobilité au sein de notre région. La mobilité des jeunes. Il est difficile de faire bouger non seulement les gens, mais aussi les services. Vous savez, les gens tuent l’éducation et les services qui se déplacent. Et bien sûr, le commerce, parce qu’il n’y a pas de personnes qui se déplacent sans commerce, il n’y a pas de commerce qui se déplace sans des personnes. En effet, il ne peut y avoir de circulation des personnes sans commerce, ni de commerce sans des personnes. J’appelle donc les pays africains à signer le protocole de libre échange, mais aussi de la libre circulation des personnes et des biens. C’est tout.

Pour les jeunes, je pense que quelle que soit la position que vous occupez, essayez de faire le maximum. Si vous avez le privilège de créer un ou deux emplois, essayez de voir ce que le monde demande. L’énergie renouvelable a commencé à s’engager dans des initiatives futuristes de ce type, pour créer des emplois afin que nos jeunes puissent faire de l’équitation et plonger dans le désert, traverser tout le Centre-nord. Je sais que cela vient d’un point de vue privilégié, et qu’il y a des jeunes qui n’ont pas accès à ces informations tous les jours. Et je pense que pour nous qui avons maintenant la possibilité de le faire, nous devons influencer les autres. Pour nos partenaires des gouvernements internationaux, les Etats-Unis, l’Union européenne et les autres, je pense que tout ce que je peux dire, c’est qu’il faut s’asseoir avec les gouvernements africains et collaborer avec eux. Plutôt que de penser à leur place comme s’ils ne savaient rien et le savoir était de l’autre côté, que ce qu’il sait est la bonne chose à faire, mais plutôt de trouver la bonne chose à faire.

Par conséquent, s’il s’agit de gérer la migration et de développer la migration, cela doit être fait en parallèle. Le problème, c’est qu’ils contrôlent les migrations. Ils contrôlent les frontières. Ils font des frontières des ponts locaux. Mais ils les transforment en obstacles. Il faut gérer les migrations et les développer, ce qui doit se faire main dans la main avec les gouvernements africains, mais aussi avec les migrants eux-mêmes. Les pays du monde entier doivent également investir massivement dans les migrations. Les pays doivent en fait investir sainement dans l’adaptation des pays d’origine des migrants. Parce qu’investir dans l’adaptation et le développement, parce que la raison pour laquelle la plupart des gens quittent ces pays du Nord, c’est l’injustice que ce pays nous impose depuis des années et des années.

La colonisation et l’esclavage par exemple. Cela hante encore nos vies, notre développement et notre histoire. Et pour tout le monde, il s’agit de traiter un migrant comme on voudrait être traité. On ne sait jamais, parce que demain, vous pourriez être un réfugié. Vous serez alors traité de la même manière, sans aucune dignité. Il est donc préférable de ne pas passer par là.
Propos recueillis par Pape Moussa Diallo envoyé spécial à Genève (Suisse)