Dans les 14 régions du pays, des centaines voire des milliers de jeunes, qui espèrent des perspectives réjouissantes en Espagne, ont envahi les Baos et les palais de justice pour déposer leur dossier de candidature ou chercher un casier judiciaire. De Kolda à Ziguinchor, en passant par la banlieue dakaroise, les candidats à cette émigration circulaire entre le Sénégal et l’Espagne espèrent provoquer la chance loin de leur pays. Par Aladji BADJILANG, Khady SONKO, Abdou Latif MANSARAY –

A la poursuite du rêve espagnol… Hier, tous les Bureaux d’accueil, d’orientation et de suivi des Sénégalais de l’extérieur (Baos) des 14 régions et les palais de justice ont été pris d’assaut par des milliers de jeunes qui rêvent de rallier l’Espagne pour la cueillette et l’entassement des fruits. Grâce au programme de la migration circulaire qui lie les deux pays.  A Kolda, le Baos de la commune a connu une affluence exceptionnelle hier lundi. Des dizaines de jeunes, garçons et filles, se disputaient sur les lieux pour déposer leur dossier d’inscription dans le cadre du programme de migration circulaire entre l’Espagne et le Sénégal. Sur place, les services du Baos ont déployé une équipe chargée de la réception  et du traitement des dossiers dans la «transparence». Un  travail fastidieux que cette équipe a assuré toute la journée.
Entre disputes et bousculades entre candidats, c’est une triste atmosphère qui a régné dans les locaux du Baos. Chacun voulant se faire enregistrer le premier. Alors que les délais sont très courts (Du 27 au 29 janvier).  Le programme, lancé par le ministère de l’Intégration africaine et des affaires étrangères, vise à recruter des ouvriers agricoles sénégalais âgés de 25 à 55 ans.
Ces candidats à la migration doivent fournir un dossier complet comprenant un  passeport, un certificat de visite et contre-visite, ainsi qu’une copie originale du casier judiciaire. Au Baos de Kolda, logé dans l’enceinte de l’Agence régionale de développement (Ard) installée au quartier Saré Moussa dans la commune de Kolda, ces jeunes, dossier en main, sont venus des différents départements de la région. Ils ont exprimé leur totale adhésion à cette initiative du gouvernement du Sénégal. Mamadou Saliou, originaire de Médina Yoro Foulah, candidat à cette  candidature à la migration, est heureux d’avoir déposé son dossier. Il a oublié les tracasseries pour rassembler son dossier. A côté de lui, Dienabou Sabaly, venue d’une commune du département de Kolda, est dans l’angoisse. Assise sur une chaise, les deux mains tenant la tête, cette jeune dame est venue avec un dossier incomplet. Malgré cette déception,  elle ne compte pas baisser les bras. «Je dois chercher vaille que vaille le papier restant pour compléter mon dossier, parce que je suis déterminée à sortir du pays par ce programme», a déclaré la dame.
Pour déposer ce dossier, il faut surmonter beaucoup de difficultés, à commencer par le Tribunal de grande instance de Kolda pour avoir un casier judiciaire.  Ce document administratif s’obtient sur la base d’un extrait de naissance. Si l’extrait de naissance est obtenu plus facilement,  le dépôt au Tribunal pour le casier judiciaire est un vrai casse-tête. Hier, dès les premières heures de la matinée, le Palais de justice était grouillant de monde. Ils étaient très nombreux à se présenter dans le seul but d’obtenir le casier judiciaire.
A l’intérieur comme à l’extérieur du Tribunal, face à la porte principale,  les candidats à la migration circulaire se bousculaient, avec aussi des voix qui s’élevaient. La sécurité était là pour mettre de l’ordre dans les groupes qui grossissaient au fil du temps. Devant le portail du Tribunal,  Samba Diamanka se plaint de la fermeture de la porte. «Je suis arrivé ici et j’ai trouvé un monde fou bloqué à la porte. La raison qu’on nous sert est que l’intérieur est déjà rempli de monde, donc patientez un peu», peste le candidat à la recherche d’un casier judiciaire. «C’est pour mieux faire le travail et faciliter la tâche aux demandeurs de casier judiciaire déjà à l’intérieur du tribunal», justifie un agent de sécurité rencontré sur les lieux.
Un autre document qui a poussé les jeunes vers le centre de santé et le camp militaire, c’est le certificat de visite et contre-visite. Les différents candidats ont sillonné les rues de la ville à la recherche des documents dont l’ensemble constitue le dossier principal à déposer au Baos. D’ailleurs, entre le Tribunal de Grande instance et le Baos,  il faut parcourir près de deux kilomètres.  Et ces candidats, sans beaucoup de moyens financiers, sont obligés de faire les courses à bord de motos Jakarta pour éviter d’être en retard. Une journée chaude et palpitante pour ces candidats dont la plupart d’entre eux seront sur les lieux aujourd’hui avec le même rêve : être sélectionnés pour travailler dans les fermes espagnoles.
Pour de nombreux jeunes de la région de Kolda, ce programme représente une opportunité unique d’améliorer leur situation économique tout en bénéficiant d’un encadrement légal. «Je suis arrivé ici très tôt pour m’assurer d’être parmi les premiers à déposer mon dossier», confie Mamadou Diallo, un candidat de 34 ans.
Ce programme de migration circulaire, basé sur un accord bilatéral entre l’Espagne et le Sénégal, vise à promouvoir une migration temporaire et contrôlée, répondant à la fois aux besoins du secteur agricole espagnol et aux aspirations des travailleurs sénégalais.
Pour les candidats, cette initiative est bien plus qu’un simple contrat de travail. Elle symbolise l’espoir d’un avenir meilleur, pour eux et leurs familles. Le compte à rebours est lancé et l’effervescence à Kolda témoigne de l’importance de cette opportunité pour les jeunes de la région, considérée comme l’une des plus pauvres du pays.

La jeunesse prend d’assaut le Baos de Ziguinchor
A Ziguinchor, ils ont été nombreux à répondre hier à l’appel à candidature pour le recrutement d’ouvriers agricoles dans le cadre du Programme migration circulaire Espagne-Sénégal. Le Baos de Ziguinchor, logé dans l’Agence régionale de développement (Ard) de la région, a été pris d’assaut par la jeunesse dès les premières heures de la journée.
Même les femmes sont intéressées par l’opportunité de voyage en Espagne. «Il n’y a vraiment pas de travail au Sénégal et si tu penses que tu es le seul à chômer, tu te trompes», a dit une candidate venue déposer son dossier.  «Il y a moins de rush ici qu’au bureau des passeports. Peut-être demain (aujourd’hui) ou après-demain (demain), il y aura plus de monde. Les Sénégalais aiment se pointer à la dernière minute. Mais beaucoup sont retenus par les passeports», a soutenu la jeune dame.
Les bureaux et autres espaces de l’Ard étaient tellement bondés de monde que le remplissage du formulaire se faisait même dans la rue. Une entraide a été observée chez les candidats à cette émigration légale. Ils se passaient les stylos et s’expliquaient les cases à remplir.
«On veut aller en Europe. On vous confie le Projet le temps d’aller et de revenir», a ironisé Papis. Les intéressés viennent de la commune de Ziguinchor, mais aussi de l’intérieur de la région. Cette offre d’opportunité de voyage et de travail en Espagne n’est pas une première. Et pourtant, l’intérêt qu’elle suscite est sans précédent. «Hier (dimanche) nous avons tiré plus de 300 formulaires. Mais aujourd’hui (hier), nous sommes à plus de 500 formulaires tirés. Il doit y avoir plus de 1000 dépôts d’ici la fin de la journée», a confié un agent du Baos, visiblement très épuisé.
Le Baos fonctionne de 8 heures du matin à 18 heures. «Il y en a qui ont passé la nuit ici hier (dimanche)», témoigne notre interlocuteur. La hiérarchie n’a pas voulu se prononcer sur l’état des opérations de candidature.

Le Tribunal de Pikine-Guédiawaye envahi
A Dakar, le siège du Baos était également noir de monde. Ainsi que les différents palais de justice du département, pour l’obtention d’un casier judiciaire, qui fait partie du dossier de candidature dans le cadre de cette migration circulaire. Au Tribunal de Pikine-Guédiawaye, les demandeurs souffrent pour obtenir un casier judiciaire. «Ce n’est pas facile d’en obtenir vu le nombre de personnes qui se sont déplacées. Le dernier délai prévu le 29 à 18h est trop juste pour certains (e) qui ne parviennent pas encore à déposer. Parce que tout simplement chaque jour y a un nombre qui est pris et le reste est contraint de revenir le lendemain», renseigne Ousmane Bâ, venu pour le retrait de son casier. Des jeunes assis dans l’enceinte du Tribunal ne cachent pas leur désespoir et commentent ce rush des jeunes vers les centres de dépôt comme un signal fort de l’échec des politiques publiques. «Cela prouve que le pays ne marche pas. Tout le monde veut quitter pour émigrer parce que ces jeunes  n’ont pas d’emplois décents et ne parviennent pas à joindre les deux bouts. C’est un signe que l’espoir n’est pas encore là», déplore une jeune dame.
L’amertume se lisait sur les visages des candidats, vu que le régime actuel peine toujours à donner de l’emploi aux jeunes. Une promesse que certains ont mise dans les poubelles. «On ne peut plus croire à cette politique de l’emploi. D’ailleurs, ces nouveaux dirigeants n’ont pas en tête ce problème pour essayer de le résoudre. Ils sont plutôt préoccupés à autre chose, comme des règlements de comptes avec leurs adversaires politiques», lance un jeune homme qui quitte l’édifice avec le fameux sésame entre les mains.  Avec la tête remplie d’espoir : «Peut-être que je serai pris ! Dans ce cas, ma vie va sans doute enfin connaître son envol.»
Eh.coly@lequotidien.sn, ksonko@lequotidien.sn, latifmansaray@lequotidien.sn