Rwanda : «kwibuka27», souviens-toi…27 ans après

«Kwibuka 27», vingt-sept ans déjà, jour pour jour, une explosion dans le ciel de Kigali à l’heure où le drame vespéral prenait fin…Une chape de plomb tomba sur la ville quand la voix de Bagasora annonca la mort du Président Habyarimana dans l’attentat contre son avion de commandement de retour d’Arusha.
Deux jours plus tôt, officier de permanence à la gendarmerie rwandaise, je finissais ma ronde à travers les points sensibles de Kigali avec un effort particulier sur l’aéroport Grégoire Kayibanda, notant au passage l’impressionnant dispositif autour du salon d’honneur présidentiel en flanc de coteau.
Kigali restait dans ce calme précaire qu’on lui connaît depuis la mise en œuvre des Accords d’Arusha en ce début d’année 1994.
Mais l’arrivée de la délégation du Fpr, désignée pour intégrer le Gouvernement de Transition à Base Elargi (Bbtg) et du «Bataillon de Kigali» chargé de leur sécurité avait suscité un énorme espoir d’une paix prochaine, vite douché par les manœuvres dilatoires du Président Habyarimana et de son clan, retardant ainsi la mise en place des institutions de la Transition.
Ces manœuvres consistaient d’abord à diviser les partis politiques participant à la mise en place du Gouvernement et de l’Assemblée nationale de Transition suivant la fracture ethnique, et surtout à exiger la réintégration du parti extrémiste hutu, le Cdr, forclos pour avoir refusé de ratifier les Acccords d’Arusha.
Cette dernière exigence fut la pierre d’achoppement qui retardait la mise en place du Gouvernement et de l’Assemblée nationale de Transition, malgré plusieurs tentatives par la Minuar. Le clan du President avait peur de se retrouver en minorité dans les instances de la transition et faisait tout son possible pour avoir au moins une minorité de blocage à l’Assemblée nationale, en plus d’avoir l’impression d’être mieux préparé militairement qu’en 1990 au moment de la signature des “Accords d’Arusha”.
Ces manœuvres dilatoires avaient fini par exaspérer les Nations unies et les médiateurs, d’autant plus que se profilait à l’horizon la fin du mandat de la Mission des Nations unies d’Assistance au Rwanda (Minuar) prévue le 6 avril !
Habyarimana se devait donc de se rendre à Arusha pour s’engager à lever tous les obstacles au processus de paix pour que les Nations unies prorogent le mandat de la mission de paix !
Avec quelles nouvelles résolutions le Président rwandais rentrait-il à Kigali, accompagné de son homomogue du Burundi ?
On ne le saura jamais, son avion ayant été abattu au-dessus de la capitale rwandaise en final sur un aéroport pourtant ceinturé par les unités d’élite de la Garde présidentielle !
Le tour que j’y ai fait le 5 avril, à l’occasion de ma permanence, ne me laissait aucun doute sur l’étanchéité du dispositif.
Qui aurait alors pu prendre à défaut l’intégrité du dispositif, positionner un missile, tirer dans la pénombre contre l’avion et quitter le gabarit de sécurité sans complicités internes ?
Quoi qu’il en soit, cet événement tragique du 6 avril sera le début d’une très longue «nuit de cristal», qui dura 100 jours.
Ainsi, après la confirmation sur les ondes de la Radio Mille Collines, de triste memoire, de la mort du President Habyarimana dans l’attentat, la nuit du 6 au 7 fut une très longue nuit digne d‘un scénario de Alfred Hitchcock.
Dans un lourd silence que dérangeaient parfois des cris stridents, des chuchotements, des crissements de pneu, des explosions sporadiques, des incendies de maisons appartenant à des familles de Tutsis, se préparaient les événements tragiques qui vont marquer l’humanité tout entière.
Le lendemain 7 avril, l’élimination méthodique des opposants désignés par leurs partis politiques pour siéger dans les organes de la Transition et l’assassinat de Casques bleus belges affectés à la sécurité de la Première minister, Madame Agathe, donnaient le coup d’envoi du dernier génocide du 20ème siècle, perpétré contre les Tutsis.
Pendant cent jour, sans répit, des hordes d’”Interhamwes”, ces miliciens du parti au pouvoir, sous le regard complice des Forces armées rwandaises, vont lancer un nettoyage ethnique qui embrasera le pays tout entier, de Kigali à Kirambo, de Nyanza à Butare, de Kibuye à Gitarama, Buyumba, Ruhengeri.
Des milliers de morts jonchaient les rues de Kigali, transformant la capitale rwandaise en une nécropole à la merci des chiens et des prédateurs nocturnes.
Certains sont jetés dans les eaux des Grands Lacs pour, selon l’idéologie génocidaire, les «renvoyer au gré des courants, aux contrées nilotiques d’où ils étaient venus»…
Pendant ces cent jours, des milliers de soldats de corps expéditionnaires français et belges ont foulé le sol du Rwanda, refusant catégoriquement de prêter main forte à la Minuar pour mettre un terme aux tueries, malgré l’injonction du Commandant de la force onusienne.
La non-assistance à personne en danger était évidente, quand ces forces étrangères se cachaient derrière une mission d’évacuation de leurs reressortissants pour fouler au pied les principes du «Droit International Humanitaire» qui disposent que dans la phase d‘exfiltration, aucune distinction basée sur la nationalité n’est faite et seule l’exposition au danger devait guider la décision des autorités militaires de ces corps expéditionnaires français et belges.
Les incitations au meurtre diffusées par «Radio des Mille Collines» surexcitaient les extrémistes en leur désignant les cibles potentielles pour étancher leur soif de sang.
Pendant ces tragiques événements, qui semblaient sans fin, j’ai crié pour le Rwanda, abandonné de tous avec une poignée de «Casques bleus» qui, malgré leurs efforts, faisaient face à un challenge sans commune mesure avec les moyens disponibles.
L’éclaircie viendra du «Bataillon de Kigali» qui, après avoir élargi son gabarit de sécurité en englobant l’Hôtel Méridien et en prenant en enfilade les axes stratégiques menant vers le camp de la Garde Présidentielle et l’Avenue Umuganda, lançait des «opérations d’évacuation de non-combattants» (Neo) pour exfiltrer et sécuriser des milliers de civils pris au piège dans les hôtels, églises et les lieux où ils avaient trouvé refuge. Même dans certains lieux de culte, les Tutsis étaient offerts en victimes expiatoires au glaive des miliciens extrémistes.
Finalement, l’entrée des troupes du Fpr dans la capitale le 4 Juillet, mettait fin au massacre dans Kigali et dans toutes les parties du pays reprises par le Front patriotique rwandais.
C’est le moment que choisissent les autorités françaises, dont «l’Opération Amarilys» deployée pour évacuer les ressortissants français dès le 11 avril avait décliné la demande de la Muinuar d’aider à arrêter les massacres, pour lancer, en pleine débandade des forces gouvernementales, “l’Opération turquoise” à partir de la République Démocratique du Congo… pour, dit-on, faire ce qu’elle avait refusé de faire au nom du “Droit International Humanitaire” au moment où il était encore possible d’arrêter les massacres.
Ainsi, les autorités françaises ont attendu que le Rwanda comptât un million de morts pour agir, ce qui n’était pas sans éveiller des soupçons sur l’agenda caché de l’opération.
C’est sur ces événements que le détachement sénégalais de la Minuar, auquel j’appartenait, reçu l’ordre d’évacuation par la route jusqu’à Entebbe et ensuite par voie aérienne pour rejoindre Nairobi, notre base arrière.
Nous quittions Kigali le cœur serré mais aussi avec le sentiment d’avoir, à l’image du Capitaine Mbaye Diagne, été solidaires du Peuple rwandais jusqu’au bout et surtout de voir le Front patriotique rwandais mettre fin au génocide.
Plusieurs années plus tard, en 2010, commandant une unité au Darfour (Soudan), je me décidai à revoir Kigali par la même route par laquelle j’étais sorti en 1994.
Je retrouvai 16 ans après, un Kigali rayonnant de beauté, un Peuple rwandais toujours si accueillant et ayant fait preuve de résilience pour enterrer les stigmates du genocide et les blessures d’une guerre fratricide, grâce au leadership éclairé fondé sur la réconciliation nationale du Président Kagamé.
Bien sûr, ce chantier sera toujours à entretenir par les prochaines generations qui se souviendront encore du génocide perpétré contre les Tutsi mais qui auront la grandeur de pardonner et de s’atteler au seul chantier qui vaille, la construction d’un avenir radieux dans un Rwanda de paix, de solidarité et de stabilité.
Colonel (er) Mamadou ADJE
Ancien Observateur de la Mission des Nations unies d’Assistance au Rwanda (Minuar, 1993-1994)