Sacré gloubi-boulga de «Je» surdimensionnés

Un jeu de «je» surdimensionnés ? Que le lecteur nous excuse de la redondance.
Le Sénégal, depuis mars 2024, est incontestablement devenu une république bananière ; la risée du monde africain et d’ailleurs ; une république ndumbélanienne*sans commune mesure. Une république cinématographique et théâtrale peuplée uniquement de deux personnages qui s’entre-déchirent, qui se jaugent, qui se regardent en chiens de faïence ; le tout dans un fracas burlesque sans précédent : le geste microscopique et insipide y côtoyant le verbe tympanisant, cassant et crétinisant.
Seulement, le verbe anodin y a pris le dessus (et depuis belle lurette) sur le geste. Autant le geste (dans et par son impact) est famélique et imperceptible dans le quotidien des «ndumbélaniens», autant le verbe est devenu si balèze et si asphyxiant que l’on n’a pas besoin de jumelles pour en percevoir les hadaux soubresauts qui menacent la cohésion sociale.
Pourtant, le geste que l’on souhaite et appelle de tout cœur à Ndumbélaan est d’une évidence très simple : c’est plus d’hôpitaux et de médicaments accessibles à tous ; c’est plus de routes, d’autoroutes, de ponts et d’autoponts ; ce sont des semences certifiées et de bonne qualité ; c’est faciliter au mieux la création de plus d’emplois pour les jeunes ; c’est aussi une école et une université de vertu, c’est plus de sécurité pour les citoyens et leurs biens ; c’est plus de sécurité sociale pour les travailleurs ; c’est encore un appui constant pour les employeurs et les entreprises ; c’est le partage des richesses avec les plus démunis ; c’est l’allègement du panier de la ménagère ; c’est plus de logements sociaux pour combattre les contraintes assassines du loyer onéreux comme pas possible… (La liste n’est pas exhaustive).
Chacun d’entre nous peut en juger, non ? L’esprit le moins averti mesure depuis longtemps que rien ne bouge plus à Ndumbélaan. Et c’est malheureux… Il paraît même que chaque âme (dans la sécheresse du geste) aurait reçu moins de cent cinquante maudits francs Cfa comme investissement depuis presque quinze mois. C’est pathétique, pour ne pas dire lamentable.
Bref, revenons à notre fameux «je» ; ce monstre cannibale qui nous dévore jusqu’à l’os. Ce monstre qui tue le geste et qui s’engraisse à satiété parce que bien nourri par un funeste jeu de «je» funeste. Pauvre du geste !
Le verbe n’est plus culte à Ndumbélaan ; il est devenu anodin et léonin ; il s’est mué en balivernes, en sottises et fariboles. Entretenu qu’il est par un explosif jeu de «je» loin de celui enseigné dans les écoles classiques de philosophie. L’utilisation du riche lexique wolof comme celui du français peut conduire directement en prison. Et je conseille maintenant aux enseignants de ce pays d’arrêter en séance de vocabulaire (un des outils de l’enseignement de la langue) d’évaluer les apprenants en utilisant les subtilités de la consigne suivante : «Fais une phrase avec chacun des mots suivants.» Aujourd’hui, le sens (propre comme figuré) des mots est source d’infraction, de délit ou de crime selon la lecture que l’on peut faire de la loi ndumbélanienne. Pensons une fois à mon ami du collège de Gossas (Moustapha Diakhaté boroom alku), à l’icône de Vélingara (Bachir Fofana, vulgarisateur du terme gougnafier) ou au gentleman inébranlable de Jakaarloo (Badara Gadiaga, que kaddug yakataan pousse inexorablement vers la fournaise carcérale comme celle promise aux mécréants le jour de la résurrection) !
Le «je» ndumbelanien n’est en rien celui de Descartes ; il n’a rien à voir avec Kant, ni avec Hegel, encore moins avec Fichte. Celui de Ndoumbélaan est un «je» tropicalisé : il est alimenté par une forte dose de populisme abêtissant, une once nauséabonde de blasphèmes grossiers et un torrent tapageur de contrevérités savamment orchestrées. Le tout pour créer un monstre qui, aujourd’hui, se retourne contre son peuple sans faire de distinction. En vérité, (pour ceux qui veulent se rappeler volontiers l’histoire contemporaine du monde) le parti national-socialiste des travailleurs allemands (Nsdap) ne fit pas mieux pour Hitler entre les années vingt et trente. Et on sait tous ce qu’il en est advenu. Que Dieu nous préserve de tels tourments !
Ndumbélaan s’est taillé son despote avec son triplé maléfique de «je» : un «je» malappris, un «je» déifié et un «je» hubris.
La science d’un égo surdimensionné, de l’égo du malappris, le renferme sur lui-même, et son impertinence, sa grossièreté et sa discourtoisie l’éloignent de plus en plus de la réalité vécue au quotidien par ses semblables. Ses idées, pense-t-il, révolutionnent le monde dont il attribue et la naissance et la bonne marche à son événement souvent plus chaotique que jamais. Sans lui et ses idées lumineuses, l’homme ne serait qu’une calamité pour lui-même. Il est le seul à avoir appris du monde, ce qui rend tendus ses rapports à l’autre ; cet autre méprisable, écrasable et dressage (excusez-moi du terme) dont il a la charge prophétique de le remettre sur le droit chemin parce qu’il est corrompu, il est prédateur des ressources nationales, il est vendu à l’étranger, il est architecte et hédoniste des délices frauduleuses du système, etc.
La manipulation des esprits faibles, trop souvent abreuvés d’idées vengeresses et convaincus par des slogans populistes creux, lui confère un matelas confortable de sympathie pour faire entretenir un culte à sa personnalité. Il est déifié par une horde d’inconditionnels violents, de fanatiques prêts à mourir au moindre claquement de ses doigts, de partisans zélés qui mordraient père, mère, frère et sœur, voisin ou ami uniquement parce que sa parole est culte et son geste est inattaquable. Il est mu sell mi°, mieux que nos références religieuses (xalif) qui se sont nourris du système jusqu’ici ; il est le probe, aussi immaculé (astagfirullah du blasphème) que la conception de Issa le Christ (Psl) ; il est l’élu de Dieu dont l’avènement doit conduire à l’exécution de tous nos anciens présidents (de Senghor à Macky) ; il est la solution aux problèmes du pays qu’il trouva au quatrième sous-sol de l’indigence économique ; il est le maître de la pensée car étant le seul politicien de ce pays ayant écrit des livres de chevet dans la langue de Molière, cet autre esclavagiste, ce colon éhonté (Senghor doit se retourner dans sa tombe, Wade fara njaak en pleurer de tristesse, Diouf et Macky en pâtir grandement).
Il est lion, le chantre du courage (il aurait enduré des foudres du système comme jamais personne avant lui), il est la vérité personnifiée, l’inégalable, le seul patriote avéré. Ce qui l’autorise à ordonner que tout s’aplatisse sur son chemin et que tous s’agenouillent devant sa face. Et ceux qui s’obstinent à le contredire ou à le défier connaîtront ou partageront sans aucun doute le même sort qu’un Nguer, qu’un Bachir, qu’un Moustapha et consorts. Badara Gadiaga, lui, ne perdra certainement pas au change.
Unanimes, nous voulons d’un pays qui respecte sa belle trajectoire démocratique. Pourtant, il se heurte aujourd’hui à l’égo hubris, cet autre «je» plus vicieux encore. L’hubris, qui s’appuie sur la démesure, sur l’orgueil excessif, conduit à l’abus de pouvoir par la transgression calculée de l’ordre normal des choses. La voie, la seule voie politique qui compte, reste celle du mépris des limites. L’hubris politique ne respecte aucun contrepouvoir : les députés sont juste des surga ; les magistrats, des pantins malléables et corvéables ; la Société civile, un conglomérat de fumiers (sic) ; l’Administration centrale, un simple machin assujetti à ses désidératas, la presse, une horde de loups inutiles qu’il faut effacer de l’espace public.
L’hubris nie ou essaie de corriger le cours de l’histoire. Si les citoyens du pays ont toujours élu le chef de leur Etat, les militants et autres partisans d’un parti politique quelconque ont le droit de mettre à leur tête la personne de leur choix. Notre hubris national (régnant sur son parti) se prend alors pour plus important que le chef de l’Etat que le pays tout entier s’est choisi démocratiquement. Ce qui explique cette hardie réhabilitation (depuis mars 2024) du grand Maodo et de ses idées politiques : «Le parti prime sur l’Etat.» Le speech du lion de la soirée du 10 juillet 2025 en est une illustration sans équivoque.
Ndumbélaan s’est construit tout seul son monstre cannibale : journalistes, chroniqueurs, intellectuels, droits-de-l’hommistes, citoyens simples, travailleurs, jeunes, hommes et femmes, nous tous avons une responsabilité sur le cataclysme qui secoue et menace notre vivre-ensemble. Rares étaient les voix qui alertaient (au risque même de leur intégrité physique ou morale) sans se faire entendre. Jarëjëfeti ῇuul kukk°, cet homme qui a choisi de rester debout pour l’éternité.
Ma grand-mère me disait toujours ceci : «Ku yar sab kuy, ba laa daan kenn, njëkkee ko ci yaw°.» Jock Erwing : je suis un citoyen libre.
Amadou FALL
Inspecteur de l’enseignement à la retraite à Guinguinéo
zemaria64@yahoo.fr