Certes pas avec le même rythme qu’avant, mais la Fourrière municipale est toujours opérationnelle. Véhicules, motos, panneaux y vont toujours. Et y restent souvent pendant des années. Cimetière d’épaves. Le service rencontre des difficultés dont le manque d’espaces, mais aussi les nombreuses plaintes des opérations municipales ou policières.
«Fourrière», «Fourrière», répètent sans cesse les apprentis de «car rapide». Ce n’est ni un arrêt ni un quartier, mais un service. Un service en collaboration avec les autorités municipales, policières et préfectorales qui reçoit habituellement des véhicules dont les conducteurs ont enfreint la loi. Nichée dans la commune de Grand-Yoff à côté de la gendarmerie, dans un coin très enclavée, la Fourrière n’est pas facile d’accès, surtout avec les feuilles d’arbre qui ont fini de cacher l’enseigne blanche aux écritures jaunes et bleues.
Devant le portail du site, des véhicules sont stationnés sous l’ombre des branches à côté de deux conteneurs rouges fermées avec des cadenas posés à côté du long mur blanc qui clôture le lieu. Les enfants de l’école d’en face évoluent dans un monde de rêve. Ils jouent, rient, crient, rigolent et font le tour des bagnoles, le temps d’une récréation. Des minutes de joie, d’insouciance, mais aussi de vacarme. L’accès au site n’est pas difficile, il suffit de franchir un petit portail bleu réservé aux personnes, à côté d’un autre pour les véhicules. Les pieds à l’intérieur après le grand manguier, les carcasses attirent les attentions. Il y en a de toutes les couleurs et les catégories. Des taxis, des camionnettes et surtout des particuliers, des pick up et des 4X4. Ils sont nombreux et dispersés, la plupart dans un mauvais état, des roues crevées, des caisses couvertes de poussière avec certaines composantes à terre, à côté des arbustes et des chats errants. Certains y ont passé des années à attendre les propriétaires.
Il est difficile de voir le sol taché d’huile de moteur à cause des files, des cordes et des panneaux, des bâches, des sacs de charbon et des tubes à fer qui font l’originalité de l’endroit. De l’autre côté, derrière l’enclos des moutons, se trouvent des véhicules récemment saisis. Des voitures plus neuves avec des immatriculations européennes, à côté d’un tas de coussins, de vitres et d’autres pièces détachées. Non loin de ces caisses, des kiosques neufs avec le logo d’une société de téléphonie mobile sont rangés près d’un long camion blanc. Les panneaux publicitaires aussi ne sont pas en reste dans cet endroit. Ceux de différentes sociétés de la place sont visibles partout, occupant du fait la plus grande partie de l’espace, les poussant à laisser parfois à certains dormir à la belle étoile. La Fourrière municipale ne concerne pas seulement les voitures. On y envoie souvent des motos. Elles sont plus d’une centaine à l’intérieur. Au fond du bâtiment, dans un couloir qui s’étire et qui ne finit pas de s’étirer, au bout des pièces. Dans ces dernières, elles sont entassées, regroupées. Les roues n’ont plus d’air, les files sont devenus visibles, certains sont même à terre. Les barres ont perdu tout automatisme avec le temps. Un véritable cimetière d’épaves. La plupart des matériels présents dans ce lieu sont convoyés par les autorités municipales et préfectorales pour lutter contre l’occupation anarchique de l’espace public et les nombreux cas d’accident. «Cette fourrière fonctionne toujours. Pas plus tard que la semaine passée, nous avons reçu des véhicules saisis par la Commune de Fass-Colobane-Gueule Tapée à cause de l’occupation de la voie publique et des infractions commises comme l’absence de permis de conduire ou d’autres pièces justificatives, mais aussi ceux qui sont dans un mauvais état», indique El Hadji Diop, directeur de la Fourrière municipale, confortablement assis dans son bureau, vêtu d’un boubou traditionnel jaune, le stylo bleu à la main, les yeux rivés sur la pile de documents posés sur sa table. L’homme au teint clair estime que les services essaient de jouer leur rôle pour désengorger la ville : «Nous avons constaté que l’espace public est occupé de manière illégale. Et en collaboration avec les autorités, nous essayons de participer au désengorgement de la capitale en déplaçant les épaves et autres susceptibles de constituer un danger pour plus de fluidité et de sécurité.» Des efforts consentis malgré des difficultés persistantes.
Le manque de moyens : un frein
L’espace est étroit. Il peine parfois à contenir tous les véhicules. De ce fait, lors des opérations de grande envergure, ils sont obligés de les laisser dehors pendant quelques jours, le temps de trouver un autre emplacement plus adéquat. «Le principal problème au Sénégal est la logistique. C’est ce qui rend difficile notre travail. Vous voyez de vos propres yeux, nous faisons bien notre travail. Il serait mieux fait si nous avions la logistique nécessaire. On prépare bientôt une autre opération de désengorgement à côté du stade Léopold Sédar Senghor. Je me demande où va-t-on les mettre, faute de moyens techniques et d’espaces pouvant les accueillir», se plaint El Hadji Diop en pointant les nombreuses épaves. La manière dont ces véhicules sont stationnés pose aussi problème. Elle contribue au rétrécissement de la Fourrière municipale. «Déplacer des machines nécessitent des moyens. Sans le matériel qu’il faut, c’est difficile de ranger les voitures, les kiosques ou même les panneaux. Et cela ne nous facilite pas la tâche. Des véhicules restent ici pendant longtemps.» Se séparer des vieilles carcasses ou autres épaves est aussi un grand problème pour lui. «On peine à se débarrasser des épaves, des coussins et autres. D’habitude, les mairies procédaient à une vente aux enchères, mais depuis l’Acte 3 de la décentralisation, la donne a changé. Elles sont devenues autonomes. On s’en sépare difficilement et souvent grâce à l’aide de l’Ucg et d’autres concessionnaires», ajoute le directeur dudit service.
Des rapports conflictuels entre les parties
Des conflits éclatent souvent entre la Fourrière et ses victimes. Elles peinent à accepter de payer les amendes suite à la saisie de leurs véhicules, kiosques, entre autres. Devant cette situation électrique, les plaintes et récriminations ne manquent pas. Des rapports houleux, surtout avec ceux qui sont contre les «tarifs établis par des textes bien définis». «Comme dans tous les milieux, les relations peuvent être difficiles, surtout quand il s’agit de sortir des billets. Nous ne faisons que notre travail pour le bien du pays, mais les gens nous voient parfois d’un autre œil», avance El Hadji Diop. Cela paraît insolite, mais vrai. Des moutons à la Fourrière. Il y en a. Sidibé ne dira pas le contraire. L’homme, le visage suant, est venu avec son oncle récupérer 7 moutons qui erraient dans l’espace vert du Grand Théâtre. Devant une facture de 14 mille francs, soit 2 000 francs par tête. Le sieur paie, mais rouspète : «L‘herbe a fini par coûter cher. 2 000 francs par tête», déplore-t-il. Il n’était pas le seul puisque des gérants de kiosques étaient sur les lieux pour récupérer les matériels saisis. A côté d’une camionnette blanche, des hommes avec le logo d’une société de téléphonie charge les kiosques un en un. L’un d’eux déplore la manière dont ils ont été emportés : «Nos affaires ont été un peu endommagées, mais pas de gros dégâts.» Le plus grand point de discorde est la récupération des véhicules saisis. Certains créent des problèmes à la Fourrière sous prétexte qu’ils ont perdu certaines pièces détachées. Et ils parlent parfois de vitres cassées et exigent le remboursement. «Des gens nous poursuivent dès fois en justice. Mais ce sont les risques du métier, ce n’est pas facile. On essaie toujours de gérer les cas, surtout les conflits. Tout le monde sait qu’avec le temps, les véhicules changent d’état. Notre gestion est transparente. Les règles sont claires. Les autorités municipales et policières sont nos interlocutrices. C’est le percepteur qui encaisse l’argent. Pour les particuliers, c’est 50 mille francs à l’entrée et 4 000 francs par jour. Pour les charriots, 10 mille francs à l’arrivée et 1 000 par jour. En ce qui concerne les animaux, comme vous l’avez constaté dans mon bureau, c’est 2 000 francs par tête. On se base sur les textes. Tout est traçable. Si quelqu’un après présente une mainlevée, on lui rend ce qui lui revient de droit. On ne peut leur empêcher de râler», se défend le directeur. A quelques mètres de la Fourrière se trouve l’Hôpital général de Grand-Yoff. Devant cette structure sanitaire, deux conducteurs de taxi sont adossés à leurs véhicules et attendent des clients. L’un d’eux, Adama Diouf, tee-shirt rouge, lunettes noires, peine à comprendre le travail de la Fourrière. «Pour rien du tout, on peut nous envoyer à la Fourrière, nous soutirer de l’argent et ralentir notre travail. A mes débuts, j’ai été victime d’une opération de désengorgement avec mon 405. J’avoue, c’était difficile à digérer pour moi. Je les invite à être plus cléments avec les gens, surtout les chauffeurs», lance-t-il, sur un débit rapide, le visage sévère, le mouchoir à la main.
L’insécurité
Sa proximité avec la gendarmerie ne suffit pas pour décourager les malfaiteurs. Elle ne leur empêche pas de tenter de dérober avec tact et subterfuges certaines pièces des véhicules garés devant la porte du service. La Fourrière n’a qu’un seul gardien. Un civil. Une mission très difficile pour lui, surtout lorsque le véhicule saisis est à l’extérieur, faute d’espace à la suite : «Des vols, il n’en manque pas. J’ai constaté de mes propres yeux la disparition de certaines composantes. C’est déplorable, mais nous faisons de notre mieux pour garder intacts les biens d’autrui, malgré les difficultés et les défis sécuritaires.»