Le grand-père, Sakhewar Fatma, repose à Thilmakha. Le petit-fils, Lat Dior Ngoné Latyr Diop, n’a pas survécu à la bataille de Dékheulé. Leurs tombes sont mises à la disposition de la dégradation et des animaux sauvages. Les héritiers de la famille royale veulent que le dernier Damel du Cayor soit traité et célébré comme un «héros» qui a osé affronter le Blanc «à armes inégales».
La royauté part du berceau et ne prend fin que dans les flancs de la tombe. Cayor, terre royale. Ngaye, le terreau, ville de culture, champ de bataille, grenier artisanal. Entre selles, armatures, gris-gris, ces mains expertes étaient au service des Damels. Le souvenir est le sel de la mémoire. Lat Dior Ngoné Latyr Diop, un combattant qui a écrit son histoire en 44 ans de vie. De Ngol Ngol, Samba Sadio à Dékheulé, l’homme a livré plusieurs batailles. Lors de ces combats, le résistant utilisait des fusils que les wolofs appelaient à l’époque Meukh Doom. L’un d’eux a résisté au temps et fait partie des objets historiques qui meublent la galerie d’art de Ngaye.
Un bâtiment réfectionné et peint en jaune. Sur les murs sont suspendues des photos cadrées. Elles sont les produits du génie artistique des jeunes du terroir. De belles images : représentation de femme avec son enfant, tableaux qui mettent en évidence les instruments culturels tels que les koras, les guitares, entre autres. Les artisans présents sur les lieux confectionnent des chaussures avec du cuir, pour ensuite les commercialiser. Subitement, le maitre des lieux sort un fusil. C’était celui du dernier Damel du Cayor. L’arme a vieilli. Le fer a rouillé, le bois s’est effrité, la gâchette ne répond plus. Les visiteurs, sans doute nostalgique d’une époque qu’ils n’ont pas connue, jouent avec. Babacar Seck, communicateur traditionnel à Walfadjiri Tv, se met en position de tir et braque l’arme sur un des compagnons de route. Elle est vite rangée. Les attentions vont rapidement se porter sur un tableau en fer avec le portrait de l’ancien roi. Suffisant pour que tout le monde commence à réciter l’histoire de l’homme.
Lat Dior est décédé le 27 octobre 1886 à Dékheulé. Un nom chargé d’histoire, un village lointain et enclavé. Pour s’y rendre, il faut des heures de route, avec beaucoup de secousses. Sur la route de ce mythique village, le «pèlerin» passe par plusieurs villages. Gateigne, terre de griots où vit et revit la tradition orale. Ngol Ngol, théatre d’affrontements en 1863 entre les troupes de Lat Dior et les colons. Longhor, village où le roi a été circoncis. Il y a également fait ses humanités. Thilmakha, terroir du grand-père Sakhéwar Fatma. Sa tombe est au milieu d’une nature qui attire par sa verdure, la beauté des champs de maïs.
Un cimetière abandonné, des tombeaux datant des années 1700, sans clôture ni identification. Quatre vieillards se prosternent devant une brique. Ici repose Sakhewar Fatma. C’est l’une des figures historiques du Cayor. Ces personnes âgées prient pour le repos de son âme puis s’indignent : «La tombe de Sakhewar ne devrait pas être dans cet état. C’est un héros. Il mérite respect et considération.» De Thilmakha à Dékheulé, il faut abandonner le macadam et prendre la latérite, renoncer au confort pour supporter les supplices des virages. Une quinzaine de minutes en voiture avant d’être accueilli par un tableau avec un message indicatif : «Mausolée de Lat Dior Ngoné Latyr Diop (1842-1886).» La flèche rouge se charge d’indiquer la direction à prendre. A sa gauche, le célèbre marigot de Ndem, champ de la bataille fatale.
Le sommet du monument érigé en 1986 lors de la célébration du centenaire est visible de loin. Lunettes bien ajustées, Saër Diop, petit-fils de Lat Dior, joue au Maitre de cérémonie : «Nous sommes arrivés là où repose le guerrier.» Contrairement à la tombe de Sakhewar, celle de Lat Dior est clôturée par un mur qui a fini de perdre son esthétique. Dépeint, plein de fissures, il résiste pourtant. Les insectes noirs sont nombreux et redoutés. Les pas impatients de s’approcher du monument fendu en forme de trapèze piétinent l’herbe toute verte. Les descendants de la famille royale s’accrochent aux grilles qui protègent la tombe de leur ancêtre. Le fer est menacé par la rouille, des parties jadis noires sont devenues brunâtres. Les uns prient, les autres font des selfies pour immortaliser ces moments à côté de leur héros. Puis ils se plaignent. Dans ces instants riches en souvenirs, ils parlent d’oubli : «Lat Dior mérite plus que cela. A part Abdou Diouf, aucun président n’a rien fait pour l’entretien du mausolée de ce grand homme», déplore Ousseynou Sakho, chargé de la culture et de l’artisanat à la mairie de Mékhé.
«Le Cayor mérite plus»
Au moment de dire au revoir à Lat Dior, les visiteurs tombent sur des sacs couverts par une bâche bleue. C’est du ciment destiné à la construction du musée du 33ème Damel du Cayor. Dans ce chantier situé à droite du mausolée, les maçons sont à pied d’œuvre. Ça avance. Le bâtiment commence à prendre forme. Les appréciations sont diverses. Vêtu d’un boubou traditionnel bleu, assorti d’un bonnet blanc, Bamba Diop donne ses impressions : «Je suis heureux, ragaillardi d’avoir une nouvelle fois prié sur la tombe de mon grand-père. Mais je suis un peu déçu car Lat Dior et le Cayor méritent plus que ce mausolée, plus que ce musée. Il est un patrimoine national qui s’est battu pour son terroir et pour son peuple.» Son demi-frère Saër Diop lui emboite le pas : «Dékheulé doit bénéficier du programme de modernisation des villes religieuses et historiques pour ainsi devenir un site touristique.»