Sambou : Témoignage
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En cette période de Tabaski, je voudrais avoir une pensée pieuse pour feu Sambou Oumané Touré qui, chaque année, me faisait l’amitié de venir me présenter ses vœux. Il a été arraché à notre affection au courant du mois de juin dernier. Le jour de la levée du corps, le timing imposé ne m’avait pas permis de rendre public tout le bien que je savais du disparu.
Bien que nous soyons de la même génération, ce ne sera qu’au début des années 90 que nos chemins se croiseront, au moment où je fus appelé à la tête du ministère de l’Intégration économique africaine.
De l’avis général, Sambou Touré était le spécialiste national de la question, depuis que ce dossier fut initié par le ministère du Commerce. Bien des années plus tard, c’est à juste titre que Monsieur Mankeur Ndiaye, ancien ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, écrira dans son ouvrage intitulé Diplomatie, 20 ans à la Place : «Sambou Touré…était la pièce maîtresse dans (le) dispositif… (Il) maîtrisait parfaitement les grands dossiers de l’intégration économique régionale… L’essentiel des questions traitées relevait de sa direction.» (p.65)
Ainsi que le laissera sous-entendre le ministre Mankeur Ndiaye, il convient de préciser que le haut fonctionnaire Sambou O. Touré collaborera avec la même ardeur, la même loyauté, la même compétence avec mon prédécesseur Ps, avec mon Cabinet Pds ou avec l’équipe Pit suivante. Administrateur civil de classe exceptionnelle, commandeur dans l’Ordre national du mérite, expert émérite dans les complexes questions de l’intégration régionale, premier directeur de service du Département, directeur général de la Sapco, ancien secrétaire général de l’Ipres, membre du bureau politique du Ps, il finira président du Conseil régional de Kaolack.
En militant Ps engagé, il s’était pleinement investi sur le terrain dans le combat pour l’élection du candidat Macky Sall, rallié au second tour par le Parti socialiste. Pourtant, alors que le programme politique Yoonou yokkuté du nouveau chef d’Etat ne l’avait pas prévu, voilà que, sous l’influence néfaste de théoriciens, jamais élus à quoi que ce soit, ignorants des faits et réalités des collectivités locales, le président de la République supprime les régions. Sambou demeurera stoïque ; il ressentit cependant une blessure non pas personnelle, mais territoriale, car il était très avancé dans son projet de partenariat en vue de la redynamisation du port de Kaolack.
Evidemment, personne n’avait encore découvert le vrai visage du nouveau président de la République, adepte de la sale habitude de privilégier les opportunistes, les transhumants et autres situationnistes au détriment de ceux – y compris Apr – qui se sont battus pour son accession au pouvoir. Attendre que Sambou soit étendu sur son lit de mort pour le gratifier d’un passeport diplomatique afin de lui faciliter une évacuation en France relève de la part de Macky Sall, à tout le moins, du dérisoire.
Or donc, Sambou restera sans poste de son niveau alors qu’il méritait amplement une nomination significative, mais il n’était pas du genre à solliciter des faveurs administratives ou politiques, bien qu’il ait eu dans sa proximité un frère magistrat de très haut niveau qui occupa plusieurs positions à grande visibilité dans l’Etat et une sœur, sherpa du chef de l’Etat.
Travailleur acharné, il lui arrivait souvent de rentrer de mission à 23 heures pour repartir le lendemain, non sans avoir auparavant lu, corrigé ou signé des rapports précédents, déposé le brouillon du dernier rapport et pris toutes les dispositions pour la bonne marche du service durant son absence. Homme de tact, d’un commerce agréable, modèle achevé de probité et de désintéressement, homme d’un calme diplomatique inné, d’une stature élancée lui conférant une élégance mandingue à la gestuelle délicate, homme de patience, il nous a été souvent utile lorsque différents ego ou intérêts divergents faisaient bouchons à l’occasion de rencontres difficiles. En vérité, Sambou bénéficiait de beaucoup de respect et de considération dans le milieu inter africain de l’intégration régionale, surtout auprès de ses collègues experts et des ministres.
Arrivé au ministère en avril, je devais passer à l’Assemblée nationale en juin (c’était le cas à l’époque) pour défendre le budget du Département. Le briefing efficace de Sambou me permit de m’acquitter honorablement de la mission. Mieux, c’est sur ses conseils et indications que nous disposerons, grâce à des initiatives engagées auprès du Pnud et de la Ceao (bien que finissante), de moyens financiers autrement plus conséquents que les sommes ridicules allouées par l’Etat.
Le ministère fonctionna idéalement ; il assura son autonomie pour certaines dépenses courantes, y compris celles liées à des missions à l’extérieur ; il put s’équiper en mobilier et en matériel bureautique, de même qu’en moyens roulants. Le compte bancaire logé dans un organisme financier de la place fonctionnait sous la seule signature de Sambou. Au moment où nous quittions, il restait un solde créditeur significatif. Je déclinai la suggestion de Maître Wade, ministre d’Etat, de verser cet excédent au Trésor. Je pris la décision de répartir l’argent parmi le petit personnel de nos ministères Pds (ex : les gardes de corps). Sambou ne demanda rien, mais plus tard, j’ai traîné le regret de ne l’avoir pas gratifié pour sa bonne gestion, car il avait droit ne serait-ce qu’à un bonus. Probité et désintéressement !
Je reviens sur son passage comme directeur général (1998-2001) de la Sapco (Société d’aménagement et de promotion des côtes et zones touristiques) pour signaler qu’il fut le seul – à tout le moins l’un des très rares – à occuper ce poste, puis l’avoir quitté sans devenir propriétaire d’un réceptif touristique quelconque (hôtel, restaurant, campement ou autre), sans s’octroyer des hectares de terres. Probité et désintéressement !
Lorsqu’au début des années 2000 Barthélemy Dias décida de s’engager en politique en adhérant au Ps, où avait milité son grand-père, il prit à mon insu l’attache de Sambou Touré, ami de notre famille, qui siégeait déjà au Bureau politique. C’est Sambou qui accueillera Barthélemy, pilotera l’opération, guidera ses premiers pas et se porta garant de la sincérité de son engagement, car déjà des voix malveillantes commençaient à murmurer je ne sais quel complot que cacherait cette démarche.
C’est cette adhésion qui, avec la mise sur pied de Convergence socialiste, fera sortir le Ps de son état de sidération suite à la défaite de l’an 2000 et catalysa la résilience subséquente.
Autre éclairage : Au cours de ces dernières années, Sambou Touré consentit à travailler avec un ministre de l’actuel gouvernement en qualité de conseiller spécial. Toutefois, son option pour un Parti socialiste allant compétiteur électoral ainsi que son histoire le lui commande, sa préférence pour un Ps des valeurs plutôt que pour une formation politique qui viole ses propres textes, dans le fond comme dans la forme, aux fins d’adopter une posture digne d’un mouvement de soutien, amèneront Sambou à démissionner pour demeurer constant et conséquent avec lui-même. Il n’a donc jamais été démis de ses fonctions, ainsi que la désinformation tenterait de le faire croire.
En fin décembre 2017, le gouvernement de la République du Cabo Verde créa un ministère de l’Intégration régionale. En février 2018, l’on m’invita à me rendre sur place, à Praia, pour apprécier l’organisation du nouveau département et échanger avec les hautes autorités de ce pays frère sur les positions et stratégies à adopter.
J’avais effectué le travail préparatoire en étroite collaboration avec Sambou Touré. Pour le suivi, je l’avais proposé comme consultant, mais Allah en a décidé autrement.
J’espère qu’un jour, une promotion de l’Ecole nationale d’administration (Ena) portera son nom. Il reste à ceux qui chuchotent à l’oreille du président de la République de le convaincre de s’intéresser à la famille de Sambou Touré, à s’occuper concrètement des études et de l’emploi des enfants. C’est le minimum que la République doit à ce grand serviteur de l’Etat.
A Dieu Sambou ! J’ose imaginer que les Anges et les Archanges t’ont accueilli, t’ont tenu par la main pour te mener à ton Seigneur, dans la Lumière de Qui tu reposes à présent.
Jean-Paul DIAS
1 Comments
Merci mr diaz, vous au moins, vous réchauffez nos coeurs, je suis un cousin de sambou oumani touré et je confirme vos propos.Que dieu l’accueille en son paradis et vous garde vous mr diaz longtemps sur cette terre. Ameen