En Afrique, les patients sont plus jeunes et y subissent des interventions moins lourdes. En théorie, la mortalité devrait donc être moins élevée qu’ailleurs et pourtant c’est tout le contraire, expliquent les auteurs de cette étude, notamment à cause des complications postopératoires. Une situation que vit au quotidien Ahmadou Lamin Samateh. Ce chirurgien a pris la tête en mai dernier du plus grand hôpital de Gambie, le Edward Francis small teaching hospital (Efsth) de Banjul. Ici, ce sont 200 mille patients qui sont traités chaque année dans des conditions difficiles : «Les problèmes dans cet hôpital sont énormes. La plupart de nos bâtiments sont vieux, et ne sont pas toujours aménagés de façon efficace. On a parfois du mal à se procurer des anesthésiques. On en a un temps, puis on commence à être à court et alors c’est très compliqué. Tout l’hôpital doit courir partout pour en trouver, les négocier, pour que l’opération se passe bien.»
Des manques criants
En manque de spécialistes, le pays fait appel à des docteurs cubains pour compléter ses effectifs. Mais difficile de travailler dans de telles conditions, comme l’explique ce chirurgien orthopédiste : «Le plus gros problème, c’est la salle d’opération. Les conditions ne sont pas bonnes pour opérer. Des fois, il y a des urgences, mais il n’y a que deux places. Et il arrive qu’on n’ait pas le matériel, pas de vis par exemple. Autre problème : dans la salle commune, il n’y a pas d’espace séparé pour des patients avec des infections, tout le monde est mélangé.»
D’ailleurs, selon l’étude, près d’1 patient sur 5 a développé une complication postopératoire et parmi eux, presque 1 sur 10 en est mort alors que 4 patients sur 5 étaient considérés à risque faible : ils étaient jeunes et en bonne santé. «Beaucoup de vies pourraient être sauvées par un suivi efficace des patients», peut-on lire dans The Lancet.
Et cette situation de manque se retrouve dans différents services de l’hôpital de Banjul. La pharmacie est en constante pénurie de médicaments. Les machines de stérilisation des instruments sont rarement en état de fonctionner. Quant au service radiologie, depuis une semaine, le docteur Fatoumatta Jobarteh ne peut même plus travailler : «On attend que les techniciens viennent voir s’ils peuvent réparer la machine. C’est la deuxième fois que ça arrive en un an. On galère tous, la plupart des machines qu’on utilise sont des dons, et elles sont vieilles. C’est très dur d’établir un diagnostic.»
10 mille dossiers de patients étudiés
Ahmadou Lamin Samateh sait donc quelles sont les difficultés que son personnel doit chaque jour affronter : «Malheureusement, on a été délaissé par le précédent gouvernement. On devrait avoir de meilleures conditions que ce qu’on a aujourd’hui.» Le nouveau gouvernement gambien a promis plus de 2 millions d’euros pour l’achat d’équipements et de médicaments pour soulager temporairement les hôpitaux du pays.
Mais l’hôpital de Banjul n’est pas le seul à avoir été au cœur de cette étude décrite comme la plus vaste et la plus fouillée sur la chirurgie africaine. Elle a réuni plus de 30 chercheurs qui ont rassemblé les données de 247 hôpitaux dans 25 pays du continent, de l’Algérie à l’Afrique du Sud en passant par le Sénégal et les deux Congo. Plus de 10 mille dossiers ont été étudiés pour arriver à ces conclusions. Et pour améliorer ces résultats, l’équipe de chercheurs appelle désormais à une amélioration de la surveillance des patients pendant et juste après leur opération.
Autre sujet d’inquiétude : le besoin criant de chirurgie sur le continent où seulement 212 opérations sont pratiquées pour 100 mille habitants par an, soit «20 fois moins» que ce qui serait nécessaire pour couvrir les besoins vitaux de la population. Il n’y a même pas un chirurgien, un obstétricien ou un anesthésiste pour 100 mille habitants alors qu’il en faudrait entre 20 et 40. «Une pénurie de main-d’œuvre et de ressources aboutit à une chirurgie moins sûre», selon les chercheurs pour qui «l’absence de chirurgie en Afrique tue énormément et de manière silencieuse».
Rfi