La médecine traditionnelle reste une réalité dans ce pays, mais elle bute encore sur l’absence d’un cadre réglementaire. Depuis 2017, le document est dans les circuits administratifs. Par Justin GOMIS –

«La médicine traditionnelle n’est pas interdite au Sénégal. On n’a jamais arrêté quelqu’un parce qu’il soigne par les plantes», précise Pr Emmanuel Bassène. Cependant, le gros problème réside dans son exercice qui tarde encore à être réglementé dans le pays. «Depuis 2017, nous attendons que l’exercice de la médecine traditionnelle soit règlementé», a-t-il dit, même s’il reconnait des avancées significatives dans ce sens. «En 2023, une avancée majeure a été notée par l’adoption de la loi sur la pharmacie et les produits pharmaceutiques. C’est la loi 2023/ du 13 juin 2023. Cette loi a permis de créer la pharmacopée sénégalaise qui est un outil officiel qui permet de reconnaître toutes les plantes dont l’utilisation est suivie», a-t-il soutenu. D’après lui, «toutes les plantes utilisées par les tradipraticiens que l’Etat va reconnaître vont être inscrites dans ce livre qu’on appelle pharmacopée sénégalaise qui sera l’équivalent de la pharmacopée des Etats-Unis, de l’Union européenne. Ainsi, le Sénégal opposera sa pharmacopée pour tous les médicaments qui vont être fabriqués ici. Il ne s’agira pas seulement de médicaments issus de plantes, mais également de tous les médicaments qu’on pourrait fabriquer ici par synthèse à partir du Sénégal».

Malgré ces avancées, les tradipraticiens tiennent à la réglementation de la médecine traditionnelle. Sengane Sène, président des tradipraticiens du Sénégal, insiste sur les enjeux de cette réglementation : «L’absence d’un cadre légal de régulation de l’exercice et de la pratique de la médecine traditionnelle, représente un vide juridique à combler en vue de rendre opérationnelles toutes les synergies interpellées en matière de recherche/développement des connaissances médicales traditionnelles. L’objectif, c’est de voir le Sénégal disposer d’une réglementation à l’instar des autres pays de la sous-région.»
En attendant, les avancées continuent malgré des réticences. «Depuis 2013, par le canal du programme intégré de médecine traditionnelle de l’Ooas (Organisation ouest-africaine de la santé), notre espace régional dispose d’un Cadre réglementaire harmonisé des praticiens, des pratiques et des médicaments de la médecine traditionnelle de l’espace Cedeao», a-t-il rappelé. Ce cadre a été enrichi par la publication en 2013 et 2020, des deux volumes de la Pharmacopée d’Afrique de l’Ouest, un inventaire de formulations de plantes médicinales à efficacité prouvée et un manuel pour le traitement à base de plantes des maladies usuelles d’Afrique de l’Ouest ont été également élaborés pour compléter les monographies de ces deux volumes de Pharmacopée. «Bien que la médecine traditionnelle ait fait ses preuves depuis la nuit des temps, elle est aussi tenue, dans le cadre de l’avènement d’une nouvelle gestion pharmaceutique, d’établir le dialogue avec le milieu scientifique pour ensemble aboutir à l’homologation des études effectuées sur l’innocuité, l’efficacité et la qualité de ses produits. Il y va du devenir de l’humanité en quête d’une médecine du futur sevrée d’une philosophie médicale dont la rentabilité financière s’opère de plus en plus, au détriment de la santé humaine», note le président des tradipraticiens du Sénégal.

Dans l’attente depuis 2017
Il se prononçait ce samedi à l’occasion de la 22e Journée africaine de médecine traditionnelle organisée sous le thème : «Soutenir une médecine traditionnelle de qualité et sûre à travers des mécanismes règlementaires.»

Qu’est-ce-qui explique tout ce retard par rapport aux autres pays de l’Afrique de l’Ouest ? Alors que le 31 mai 2017, le Conseil des ministres a approuvé et transmis à l’Assemblée nationale, le projet de loi sur la médecine traditionnelle. «Le Sénégal ne saurait soutenir une médecine traditionnelle de qualité et sûre en laissant prévaloir une telle situation d’inexistence d’une loi vouée à réglementer le secteur de cette dernière. Il urge que le Sénégal se dote d’un programme national de promotion de la médecine traditionnelle et se hisse au niveau des pays de la région qui non seulement disposent de textes réglementaires appliqués à l’exercice de la médecine traditionnelle, mais aussi de centres d’excellence qui pourvoient leur pharmacie nationale d’approvisionnement et leurs hôpitaux, en médicaments traditionnels à efficacité prouvée», avance Sengane Sène.

Serigne Mbaye, venu représenter le ministre de la Santé, a tenu d’abord à montrer l’importance de la médecine traditionnelle en Afrique. «Selon l’Oms, 80% de nos populations en Afrique ont recours aux soins prodigués par les praticiens de la médecine traditionnelle. Mais, cela contraste avec la sous-estimation de la médecine traditionnelle dans l’offre formelle de soins de santé au niveau de la plupart des pays africains», ajoute-t-il. Et, selon lui, «cette situation est en très grande partie due à l’absence de réglementation dans la pratique des acteurs de la médecine traditionnelle pour rassurer les acteurs du système sanitaire officiel. Et aussi du fait que malgré des études scientifiques poussées sur leurs multiples propriétés pharmacologiques, les plantes médicinales ne font pas encore l’objet de préparations médicamenteuses modernes à mettre à la disposition de nos populations».

Que faire ? «Le gouvernement du Sénégal travaille à offrir au pays un cadre juridique et réglementaire approprié pour permettre aux praticiens de la médecine traditionnelle de prendre en charge les populations en toute sécurité. Nos services accompagneront la fédération dans toutes les initiatives tendant à améliorer le cadre d’intervention des praticiens de la médecine traditionnelle», insiste-t-il.
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