Je m’étais résigné à cesser d’évoquer les misères et tribulations des passagers au niveau de l’Aéroport international Blaise Diagne de Diass (Aibd). J’ai baissé les bras, comprenant en fin de compte qu’il ne servait à rien de tirer la sonnette d’alarme, d’attirer l’attention, notamment de celle des hautes autorités de l’Etat, sur les méfaits d’une exploitation laxiste à bien des égards et qui finira fatalement par dégrader la qualité de ce bijou qui a occasionné de très gros investissements au Sénégal. Les alertes ont toujours été prises avec une certaine désinvolture et les autorités et autres pontes, qui sont épargnés des tracasseries et désagréments du passager lambda, ne semblent rien faire pour améliorer la situation ; encore que les responsables de l’aéroport prennent l’habitude, depuis toujours, de botter en touche, trouvant, derrière chaque dénonciation, on ne sait quel complot, cabale ou lugubre agenda. Seulement, le fait de fustiger les mauvaises pratiques qui ont libre cours, a fini par rendre difficiles quelques-uns de mes passages dans cet aéroport ! Des agents, en guise de représailles, pouvaient me soumettre à un certain ostracisme ou verser même dans la provocation.

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J’ai eu quelques altercations, parfois fortes, avec des agents de police dans cet aéroport pour n’avoir pas accepté de me laisser marcher sur les pieds. Je décide à nouveau de parler de situations anachroniques que vivent les passagers de tous les vols commerciaux qui décollent ou atterrissent à l’Aibd. Lors d’un passage la semaine dernière dans cet aéroport, des personnes, excédées par les situations vécues, m’ont supplié de donner un écho à leurs exaspérations et leurs cris de détresse. Des agents préposés au service manutentionnaire m’ont également demandé de relayer leur colère. Pourrait-on nourrir un mince espoir que le nouveau ministre des Transports aériens, Me Antoine Mbengue, ne sera pas gagné par la même vénalité que certains de ses prédécesseurs qui en étaient arrivés à ne plus pouvoir exiger quoi que ce soit des différents prestataires de services et opérateurs de la plateforme aéroportuaire.

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Cet aéroport se meurt et si l’on y prend garde, il finira par tomber en dépérissement comme Léopold Sédar Senghor de Dakar, il y a quelques années de cela, c’est-à-dire comme l’un des pires aéroports ou cauchemars pour un voyageur.

L’Aibd ne devrait souffrir d’aucun complexe devant un quelconque aéroport du monde. Les infrastructures sont de qualité et les aménagements ont été faits à la dimension d’un trafic escompté. Il n’est donc pas étonnant que cet aéroport émerveille la plupart des visiteurs du Sénégal. Mais, comme dirait-on, dans ce pays, on sait construire ou réaliser des choses, mais leur maintenance laisse toujours à désirer. C’est encore la gestion de la clientèle qui est des plus mauvaises et la qualité du service est faible aussi bien à l’embarquement qu’au débarquement.

Le rush aux arrivées et l’attente plus longue que la durée du vol
C’est au premier franchissement de la frontière que le visiteur se fait déjà une impression sur un pays, comme la dernière impression qu’il garde sera au moment de partir, de quitter le pays. Bienvenue à l’Aibd ! Quand vous débarquez de l’avion à l’Aibd, vous trouverez le tunnel crasseux avec des détritus et de la poussière au sol et sur les vitres. Cette image vous change de l’aéroport d’Accra (Ghana) ou de Praia (Cap-Vert) ou de Banjul (Gambie), où la propreté est nette dans ces aéroports ! A l’Aibd, les voyageurs, habitués des lieux, se précipitent dans une course folle, pour arriver parmi les premiers au comptoir de la police des frontières. Notre vol venait de débarquer ce jeudi 16 novembre 2023 à seize heures. Une employée de l’aéroport, revêtue de la tenue bleue d’une société privée de services, assez bienveillante, nous prévient, voyant nos pas pressés : «Vous pouvez prendre votre temps, il y a beaucoup de monde à l’arrivée !» On est donc prévenus du calvaire qui nous attend. Le hall est bourdonnant et les files sont longues, car quatre vols internationaux sont arrivés presque en même temps.

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Des agents de police viennent faire passer devant nous des personnes, sans aucun titre ni droit, et de surcroît qui ont voyagé en classe économique. Elles passent ainsi, devant des personnes qui ont pourtant payé un billet bien plus onéreux mais ne bénéficient d’aucun privilège. Dans tous les aéroports du monde, il existe une différenciation de traitement entre les passagers en fonction de leurs types de billets ou de statuts de voyageurs. Cela induit un traitement privilégié, à l’embarquement comme au débarquement, mais à l’Aibd, on semble instaurer de fait un égalitarisme entre tous les passagers. Pourtant, des box portant l’enseigne bien visible «Officiels ou Classe affaires» sont prévus, sans pour autant qu’on y trouve systématiquement des agents pour recevoir les passagers. Comble, il nous a été donné de nous présenter devant ce box, muni d’une carte d’embarquement en «Business class» et nous voir éconduit parce que l’agent de police considérait que ce passage n’était prévu que pour les personnes détentrices d’un passeport officiel. Qui a bien pu passer les bonnes consignes ? Mais le plus regrettable est que c’est seulement au Sénégal où des agents viennent, le plus naturellement du monde, accueillir, à la coupée de l’avion, des personnes qui ne visitent pas le pays pour une mission diplomatique. C’est donc à l’Aibd que des policiers, des gendarmes ou des militaires en tenue, et parfois avec des galons ou des grades bien mis en relief, viennent récupérer un passager à la coupée de l’avion pour lui faire passer tous les contrôles et même récupérer ses bagages des tapis sans aucune autre forme de contrôle ou de vérification. Il fut un temps où une société privée officiait, en faisant facturer cette prestation. Heureusement que l’activité avait cessé après une dénonciation faite à travers ces colonnes !

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Au niveau des formalités, les agents de police ne se gênent pas à vous demander de leur donner de quoi acheter un déjeuner ou un dîner. Si vous ignorez la demande, cet agent vous aura à l’œil et vous le fera payer à votre prochain passage. Un autre agent peut se permettre de retenir le numéro de téléphone qu’il vous demandera pour vous appeler par la suite, pour vous solliciter, pour telle ou telle autre raison, ou pour vous proposer même les bons services d’un marabout de son entourage. J’ai vécu personnellement tout cela. Après une longue attente pour passer la police et recevoir un cachet sur votre passeport, vous êtes encore obligé de vous mettre, à nouveau, en rang devant d’autres policiers, chargés de repasser en revue votre passeport pour vérifier si le cachet des arrivées a été bien apposé, alors qu’ils avaient bien observé, de leur siège, l’autre agent le faire. C’est encore du temps perdu inutilement car j’ai eu à recevoir une réponse négative à ma question de savoir si jamais il avait été trouvé qu’un cachet n’avait pas été posé. Et comme pour donner de l’importance à leur mission, le contrôle à ce niveau est encore si tatillon… On se permet de chercher à en rire mais franchement, c’est si pénible, éprouvant même, pour un voyageur qui vient de débarquer d’un vol de plusieurs heures. Il nous a été donné de constater, à l’arrivée d’un vol en provenance de Paris, qu’une passagère, nécessitant une assistance pour débarquer, a dû attendre plus d’une heure et demie dans l’avion, le temps de trouver un conducteur de l’ambulatoire !

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C’est au tapis de livraison des bagages que se trouve la plus grosse cohue, pour ne pas dire pagaille. C’est justement à l’Aibd où à l’arrivée, aucune distinction de bagages prioritaires n’est faite. Dans tous les autres aéroports du monde, la priorité est faite aux bagages portant l’étiquette prioritaire ! Mais à Diass, le voyageur attend de longues heures pour espérer apercevoir son bagage parmi tous les autres jetés en vrac sur le tapis bondé. Le temps d’attente est trop long. Les porteurs, qui sont parfois aussi nombreux que les passagers, rétribués au pourboire par les passagers, (une autre spécificité ou archaïsme de l’Aibd), peuvent expliquer que la lenteur des opérations de manutention est due au manque d’effectifs. «Depuis la période du Covid-19, les effectifs des personnels manutentionnaires sont réduits de manière drastique et ils sont deux ou trois à décharger chaque vol.» Notre interlocuteur nous permet de mieux prendre la mesure : «Figurez-vous que chaque voyageur a généralement deux ou trois valises. Cela fait donc pour chaque vol, plus de cinq cents valises d’au moins vingt-trois kilos chacune, à décharger manuellement et à poser sur le tapis des bagages. Certains bagages sont très lourds et quand ces agents sont fatigués, ils se reposent et les passagers attendront forcément.» Un agent manutentionnaire confirme cette situation et ajoute : «Nous avons saisi les responsables, mais ils ne veulent pas recruter du personnel. Nos situations sont précaires et si vous êtes identifié comme un récalcitrant ou un protestataire, vous perdez immédiatement votre travail. C’est pour cette raison que nous hésitons à faire grève.»

Un haut responsable administratif de l’Aibd admet cette situation et la regrette, estimant que cette activité est du ressort d’une société de handling gérée par des Turcs et que les récriminations ne semblent servir à rien. Après trois heures chrono, tous vos bagages sont entre vos mains. Une dame qui venait d’Abidjan fait remarquer à qui voudrait l’entendre, qu’elle venait de passer plus de temps à attendre ses bagages que dans le vol d’Abidjan à Dakar ! Une autre dame européenne vient de sauter avec une joie non contenue sur son sac et ne peut s’empêcher ce commentaire qui nous rend un peu penaud : «C’est pourtant un bagage prioritaire ! La priorité, ça marche bien !» Il faudra encore une longue file pour passer l’un des deux seuls scanners de la Douane. Vous n’êtes pas encore au bout de vos peines. A la sortie, vous êtes assailli par une foule de gens qui vous demandent de l’argent, vous proposent du change de monnaie, qui vendent on ne sait quel bibelot, des sachets d’eau ou des tasses de café. Des mendiants inondent le parking et chacun d’eux cherche à vous soutirer quelque chose, sans que les gendarmes préposés à la sécurité ne les dégagent. Au moindre moment d’inattention, quelqu’un va fourrer sa main dans vos affaires. Que dire de ces guimbardes qui font office de taxis de l’aéroport ? Assurément, tout est fait pour heurter le visiteur.

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La situation est similaire pour les départs, avec la seule différence que ce sont les agents d’une société privée, chargés du contrôle de sécurité aéroportuaire, qui se montrent vraiment assez professionnels, pour ne pas dire corrects. Jamais l’un d’eux ne s’aventure à rançonner, d’une façon ou d’une autre, le passager. En tout cas, je n’ai pas encore connaissance d’un cas ! Peut-être que la surveillance est de rigueur ou que des chefs ont veillé à la qualité de leurs recrutements. La seule remarque négative à formuler à ce niveau restera que les passagers sont passés à la fouille par un seul scanner, alors que d’autres sont en place mais ne sont pas utilisés. Cela fait perdre beaucoup de temps au voyageur, encore que là non plus, il n’y a pas de différenciation entre les catégories de voyageurs, comme c’est encore le cas dans tous les autres aéroports du monde. Les agents de la police des «Départs» ont les mêmes travers que leurs collègues au niveau des «Arrivées». Sans doute que ce sont les mêmes équipes. C’est comme si chacun doit rentrer à son domicile, à la fin de ses horaires de travail, avec un bakchich. Cette tare, les policiers de l’Aibd la partagent avec leurs collègues de l’Aéroport Mohammed V de Casablanca. La pratique est si courante que les policiers marocains vous baragouinent des mots en wolof pour vous soutirer de l’argent !

Les infrastructures se dégradent à vue d’œil
En période de pluie, il nous a été donné d’observer que de l’eau de pluie suintait de nombreuses parois de la toiture de l’aéroport et des flaques d’eau étaient visibles partout dans les halls d’embarquement. Les agents ne semblent être point gênés. «Il a beaucoup plu ces jours-ci», comme si cela devait être une fatalité. Allez aux Business lounge ! Vous trouverez des cafards en divagation et des fauteuils et des moquettes qui demandent à être changés. Seules trois toilettes sont en service : une pour les hommes, une autre pour les femmes et une pour les personnes handicapées. Quand les vols partent dans des créneaux horaires proches, on s’imagine l’attente pour pouvoir utiliser les toilettes et encore que leur hygiène peut être repoussante.
Je sais bien que mon prochain passage à l’Aibd sera encore difficile mais tant pis, si cela peut servir à corriger les choses !

Par Madiambal DIAGNE – mdiagne@lequotidien.sn