La justice est sur la sellette depuis quelques semaines.
A la grève persistante des greffiers est venue s’ajouter un différend entre magistrats.
Un conflit de générations est ainsi évoqué, même si nous estimons que le respect des règles n’est point lié à l’âge de l’acteur concerné.
Cette fois-ci, les coups portés contre l’institution judiciaire ne peuvent pas être imputés à un quelconque élément étranger.
Aucun acteur politique, aucun justiciable frustré par une décision de justice défavorable, l’amenant à exprimer des états d’âme, ne peut être ciblé.
La justice est mise à mal par ses propres acteurs qui devaient pourtant être les premiers à la protéger, au prix de leurs intérêts matériels, de leur orgueil ou amour propre, de leurs agendas personnels (car il en existe) de leur propension au «vedettariat».
Car si le désordre est nuisible dans tous les secteurs de la vie quotidienne, il l’est davantage au niveau de la justice.
La justice doit toujours rester debout, sereine, mesurée, équitable, car elle est seule à pouvoir rassurer le citoyen de ce que ses droits et avantages relatifs à sa liberté, à sa vie familiale, à son patrimoine, seront garantis en toute circonstance.
Lorsqu’on se voit conférer le pouvoir d’intervenir de manière décisive dans ce que l’individu a de plus important et précieux, à savoir sa vie, sa liberté, sa famille, son patrimoine, on doit savoir qu’il y a une contrepartie qui réside surtout dans le comportement irréprochable.
Il peut être observé que dans tous les pays où un désordre, parfois violent, s’est installé, la solution à trouver passe d’abord et toujours par un redressement de l’institution judiciaire ou par la création d’une instance judiciaire chargée de juger ceux dont la responsabilité est engagée.
Le rôle de la justice est de juguler ou de mettre un terme au désordre et non de le provoquer, surtout en son sein.
Aucun avantage ne vaut pareille attitude.
Les acteurs judiciaires doivent définitivement se convaincre qu’ils sont forcément différents, car ils participent à une œuvre qui est d’essence divine.
Cette différence ne doit pas être vue comme un avantage dont on doit jouir en se réjouissant, mais comme une conscience que l’œuvre de justice est essentielle à l’équilibre de la société et qu’elle appelle à un don de soi à nul autre pareil.
Quand on est chargé de juger ses semblables ou de participer à cette œuvre, alors que l’on ne peut pas prouver être meilleur que ces derniers, l’on doit hisser sa conscience, sa probité, son intégrité à des niveaux élevés.
Comment un magistrat, qui doit juger des faits d’injure, peut-il lui-même tenir des propos injurieux, et les porter à la connaissance du Peuple au nom duquel il rend la justice ?
Comment un magistrat peut-il, sans aucune précaution, accuser son collègue de corruption, mettant ainsi de l’eau dans le moulin des justiciables qui portent quotidiennement de telles accusations ?
Est-il logique à partir de ce moment de continuer à soutenir qu’il n’y a pas corruption dans la justice ?
Comment comprendre qu’une décision rendue ne soit pas disponible 6 ans après et qu’il soit possible d’emporter le dossier physique lors d’une affectation ?
Le rôle du juge est-il de porter ainsi gravement atteinte aux droits du justiciable qui doit garder prison, car ses recours ne peuvent pas être jugés du fait de l’indisponibilité de la décision et du dossier ?
Extraordinaire dans ce Sénégal du 21ème siècle, réputé démocratie majeure.
Le magistrat, ou plus généralement l’acteur judiciaire, doit veiller sur son comportement même si tout un chacun peut comprendre qu’ils sont des êtres humains susceptibles de se tromper.
Cependant, l’erreur ne peut pas être volontaire, a fortiori être provoquée par soi-même.
La situation actuellement vécue procède de ce que les grands principes qui régissent l’institution judiciaire et le comportement des acteurs sont aujourd’hui piétinés.
Ces principes ont pour nom la compétence, l’intégrité, la courtoisie, la retenue, le sens de la mesure, le don de soi, la réserve.
Des magistrats de renommée, de grands avocats, des greffiers reconnus pour leur grandeur et la maîtrise de leur domaine ont mis en œuvre ces règles.
Certains sont décédés, d’autres sont à la retraite et certains sont encore en service.
Les problèmes n’ont pas manqué, mais ils ont toujours été gérés et réglés par ces derniers dans la discrétion et le sens des responsabilités.
Ils ont fait faire à la magistrature, au barreau et au greffe, des avancées considérables que nul ne peut contester.
Ces derniers méritent le respect et en tout état de cause, aucun acteur de justice ne doit s’adresser à son collègue, à son confrère ou à un justiciable, dans un langage que réprouvent l’élégance, la courtoisie et la délicatesse.
Ceux qui sont dénommés la jeune génération des acteurs judiciaires doivent se rendre compte qu’ils arrivent à une période qui doit les amener à faire preuve de plus de vigilance, même si la frustration résultant de la discrimination en ce qui concerne l’âge de la retraite, ou le niveau de rémunération, est compréhensible.
Cette période est caractérisée par des attitudes d’ignorance et d’indiscipline qui peuvent, peut-être, prospérer ailleurs, mais pas dans la justice.
Elle se caractérise ainsi par la propension aux déclarations puériles, tapageuses et idéalistes qu’on pense de nature à conférer le sceau du vrai citoyen et la considération des trompettes de la renommée.
Il ne faut jamais céder au terrorisme de la pensée, qui veut arracher aux autres toute liberté de penser, de parler et de bien faire, tout bon sens, parce qu’il ne faut plus aujourd’hui s’embarrasser de manières, de formes, de courtoisie, de discernement et de bien faire.
Nous devons nous souvenir que la meilleure protection du magistrat réside dans son statut et son serment, et non dans des déclarations activistes et autres attitudes et comportements répréhensibles.
Il en est de même de l’avocat qui ne peut être l’adepte des déclarations fracassantes, qui s’écartent des règles de courtoisie et de délicatesse de sa profession.
Il faut se ressaisir pendant qu’il est encore temps, car la justice ne doit en aucun cas être le problème, mais toujours la solution.
Elle ne doit pas ajouter des soucis à la société qu’elle est chargée de protéger, surtout en cette période de pandémie et d’instabilité régionale, où les Etats et leurs institutions s’interrogent sur leur devenir.

Me Mbaye GUEYE
Avocat à la Cour
Ancien Bâtonnier de l’Ordre
des Avocats du Sénégal