Ça s’appelle contre-conférence de presse. Une réplique de Khalifa Sall à la sortie du procureur de la République qui a livré un réquisitoire peu rassurant pour le maire de Dakar et sa gestion de la caisse d’avance et annoncé la saisine du juge d’instruction. Mais hier, Khalifa Sall, qui avait jusqu’ici tenu les coups, n’a pas retenu ses larmes. Et d’autres aussi ont inondé une salle transformée en meeting. Il s’excusera de «ces moments de faiblesse». C’est qu’en homme politique et homme d’Etat, il se rend compte de l’image qu’il pourrait véhiculer. Sauf si l’on croit en sa sincérité. En son innocence ! Mais il pourrait aussi être pris pour un homme qui a peur de la prison, donc peu courageux. Car, il y a bien des larmes de crocodile en politique, qui sont souvent une arme pour convaincre l’opinion. Avant lui, un autre, Idrissa Seck, qui avait déjà subi la discipline de Rebeuss, et raté sa Présidentielle de 2012, avait versé des gouttes qui n’ont pas encore tari. Mais Khalifa Sall, qui fera face au juge d’instruction aujourd’hui, peut compter sur Serigne Moustapha Sy, l’autre star du jour, prêt à le rejoindre éventuellement en prison.
«Je suis convoqué par le juge d’instruction ce lundi à 15 heures»
«(…) Il s’agit aujourd’hui d’un débat de vérité, d’un débat pour la vérité. Cette vérité que nous allons vous servir concernant cette cabale que nous vivons depuis quelques mois. Le processus qui nous est intenté est une démarche, une manœuvre infamante, ignominieuse parce qu’il s’agit de détruire la réputation d’un homme. Il s’agit de salir l’honorabilité et la crédibilité d’une institution. Tout le monde sait que depuis 2009, dans cette ville, nous avons été les meilleurs partout dans notre gestion. Les rapports de l’Armp sont là. Les différents audits sont là (…). Pourquoi alors vouloir jeter l’opprobre sur des gens qui ne font que servir et travailler. Nous ne l’accepterons pas. C’est pourquoi, je veux que, de prime à bord, les uns et les autres comprennent que cette situation est fondamentalement, essentiellement, uniquement politique (…). J’ai été informé dans la soirée de samedi par un de mes avocats que je suis convoqué avec mes collaborateurs par le juge d’instruction demain (Ndlr : aujourd’hui) lundi 6 mars 2017 à 15 heures. Cette convocation intervient au lendemain de l’annonce par le procureur de son intention de saisir le juge d’instruction après une enquête préliminaire conduite uniquement à charge, sans respecter une seule fois la présomption d’innocence qui constitue un droit inaliénable dans toute procédure pénale (…) J’aurais pu également évoquer la violation du secret de l’enquête par le procureur uniquement pour faire sensation. Les procès verbaux d’audition ont été immédiatement communiqués à certains organes de presse qui se sont fait l’écho des convictions des enquêteurs. Nous avons tous assisté à ce lynchage médiatique par trois organes principalement (…). Enfin, j’aurais pu évoquer les déclarations du procureur qui, au lieu de dire la vérité à la presse, a tronqué les réponses de mon directeur administratif et financier devant les enquêteurs de l’Inspection générale d’Etat et de la Division des investigations criminelles toujours avec le même objectif : faire sensation et essayer de justifier a priori, auprès de l’opinion, les desseins politiques qu’il est en train de faire vivre. Ce que les gens doivent savoir, c’est que j’étais présent dans la salle au moment de la confrontation. Et ce qu’a dit le procureur n’est qu’une citation. Il n’a pas dit, il n’a pas lu, il n’a pas porté à la connaissance de l’opinion l’entièreté des déclarations des 5 membres de notre administration (…).»
«Le rapport a été un prétexte pour réduire au silence un potentiel adversaire à la Présidentielle»
«Je tiens tout de même à faire remarquer le zèle inouï du procureur dans le traitement de ce dossier. La vérification a duré 18 mois, le procureur a fait son enquête en 12 jours (…). Mesdames et messieurs, Je m’adresse à vous et, à travers vous, à tous nos compatriotes pour apporter les éléments de clarification que l’enquête a volontairement omis ou tronqués pour manipuler l’opinion. D’abord, et comme pour absoudre toute implication du président de la République dans cette affaire, le procureur a déclaré que le dossier lui a été transmis par l’Inspection générale d’Etat. Vous savez tous que ce n’est pas exact. C’est le président de la République qui lui a transmis les dossiers puisque tous ceux qui connaissent le fonctionnement de l’Inspection générale d’Etat savent que ces rapports sont transmis au président de la République avec des recommandations qu’il peut ériger en directives. La saisine de la justice est une prérogative exclusive du président de la République. Et c’est bien lui qui a transmis le rapport de l’Inspection générale d’Etat au procureur pour l’ouverture d’une information judiciaire (…) L’enquête n’a pas porté sur les recommandations de l’Ige. Mais le rapport a été un prétexte pour mettre en place un complot dont le but avoué est de réduire au silence un potentiel adversaire à la Présidentielle (…).»
«Je demande au président de la République de déclassifier le rapport de l’Ige»
«L’inspection générale d’Etat n’a jamais parlé de détournement ou d’escroquerie. Et je demande officiellement et solennellement au président de la République de déclassifier le rapport et de le rendre publique afin que tous les Sénégalais puissent apprécier par eux-mêmes. Dans cette affaire, il n’y a pas d’escroquerie sur des biens publics, il n’y a pas de détournement de deniers publics. Il n’y a pas de faux et usage de faux. La gestion de ces fonds politiques est parfaitement légale et totalement transparente (…). Ces fonds relèvent d’un dispositif très clair et ce dispositif est dérogatoire à la réglementation en vigueur. Ce dispositif dérogatoire à la réglementation en vigueur permet au maire de dépenser l’argent directement avec ou sans l’administrateur de la caisse d’avance ou selon des procédés qui sont propres à chaque maire (…). J’ai entendu dire que la ville n’a pas de fonds politiques. Ce sont des fonds politiques qui fonctionnent de la même manière que tous les autres fonds politiques (…). Le fonds est de 30 millions qui sont régulièrement renouvelés. Comment peut-on renouveler pendant 20 ans, des fonds sur la base de faux sans que personne ne soit au courant, sans que personne ne le dénonce, sans que personne n’y mette un terme ? (…)»
«Je suis prêt à aller à la Crei avec tous ceux qui m’accusent»
«Cet argent n’a pas servi à un enrichissement quelconque (…). Je suis prêt à aller à la Crei avec tous ceux qui m’accusent (…). Ces 30 millions étaient répartis en 3 grandes dépenses, 3 grands volets, 3 chapitres. Premier type de dépense : cet argent a été dépensé conformément aux dispositions de l’arrêté de 2003. Il a servi d’une part dans nos relations avec les structures déconcentrées de l’Etat, les institutions, les organes, les organismes selon qu’on les ait sollicités, selon qu’il nous ait sollicités à prendre en charge l’objet de la dépense (…). Deuxième type de dépense et ça, M. le procureur, je ne peux pas le dire (…). J’assume l’entièreté de ma responsabilité. C’est moi l’ordonnateur de dépenses. Je refuse que les collaborateurs soient chargés. Et c’est tellement vrai que les éléments de la Dic qui faisaient la confrontation ont entendu ces jeunes leur dire : «Nous avons signé parce que cet argent sert pour les fonds politiques.» Ça, le procureur ne l’a pas dit (…) Le deuxième volet de l’intervention de la caisse porte sur la prise en charge des grands malades de cette ville et même de ce pays (….) Dans les 8 hôpitaux, il (le procureur) sait. Le troisième volet est subdivisé en deux grandes parties. La première grande partie porte sur tous les grands dégâts. C’est-à-dire que ceux qui sont victimes d’incendie, ceux qui ont des maisons qui s’écroulent, ceux qui ont de gros problèmes personnels, que nous prenons en charge (…).»
Il pleure et dit : «Je suis désolé, je m’excuse de ces moments de faiblesse»
«Ça fait un an que les fonds sont arrêtés (…). Je veux rassurer tous mes amis, je suis quitte avec ma conscience. Parce que je sais que dans cette affaire, j’ai essayé d’être irréprochable (…) Je sais que ma famille, mes amis, ont été choqués (Il fond en larmes, encouragé par des applaudissements du public). Je suis désolé. Je m’excuse de ce moment de faiblesse. Ce matin, c’est ma maman malade (Il ne termine pas et craque à nouveau. Avant de se reprendre pour la fin de la conférence de presse après quelques minutes de brouhaha). Je ferai face (….) Je me rendrai demain (Ndlr aujourd’hui) à la convocation du juge d’instruction parce que je respecte les institutions de notre pays (…).»