La mise en place des Dac aura demandé un investissement financier et humain lourd qui n’est pas encore totalement payé, car tout le travail n’est pas encore livré. Il faudrait donc éviter que ce concept totalement nouveau de production agricole en vienne à être dévoyé et détourné de ses objectifs initiaux qui doivent changer la face de l’agriculture sénégalaise.
La production sous serre qui est en train d’être développée par le Prodac, notamment à Séfa et à Keur Samba Kane, permet d’assurer une production maraîchère optimale tout le long de l’année. «Dans chaque serre, on pourrait facilement faire travailler jusqu’à 20 personnes en moyenne, sans arrêt, car il y a toujours du travail dans un serre, et la production ne s’arrête pas.» Ce qui permet d’atteindre les chiffres impressionnants donnés par le ministre de l’Emploi lors de son discours à Séfa.
Et surtout, cela pourrait permettre d’arrêter les exportations. Il est assez aberrant de voir, dans certains supermarchés de Dakar, les chalands se voir proposer des fruits et légumes importés que l’on pourrait trouver sur place, et à moindre prix. Comme disait un Occidental, «même en Europe, le kilo de tomates ne coûte pas 6 500 francs Cfa, comme dans les supermarchés de Dakar». Et le plus incroyable est que les gens achètent.
C’est dire que les gens veulent consommer des produits de qualité. Et les serres des Astc peuvent leur en fournir. Le directeur de Green 2000 assure qu’il n’y a rien de plus simple que de produire dans une serre des fruits et légumes conformes aux normes européennes. En plus de couvrir la demande locale, une centaine de serres bien réparties pourraient largement booster les exportations sénégalaises, mais il faudrait pour cela que tous les acteurs soient conscients des enjeux et tirent dans la même direction.
Le modèle des éléphants blancs
On le sait, les plus grands problèmes de beaucoup de projets agricoles en Afrique, et surtout au Sénégal, se posent non pas lors de l’inauguration, ni parfois même pendant la première année de fonctionnement. Ainsi, le ministre Abdoulaye Diop, le coordonnateur du Programme national des domaines agricoles communautaires, Mamina Daffé, et tous les participants à la cérémonie d’inauguration du 21 décembre étaient aux anges ce jour-là. On peut s’attendre aussi, au vu de la beauté du site, où chaque bâtiment allie esthétique et utilité, où les citernes d’eau et l’alignement des serres ne bouchent pas la vue aux champs ouverts et aux étables d’exposition d’élevage, que le Président Macky Sall, le jour où il se rendra sur les lieux pour l’inauguration définitive, ait également le même sentiment. Néanmoins, une fois les lampions de l’inauguration éteints, au moment de la gestion au jour le jour, les choses sérieuses commencent et les difficultés surviennent, car il s’agira alors de savoir comment pérenniser l’activité et l’infrastructure.
D’ailleurs, au Dac de Séfa, les techniciens ont un exemple patent de ces problèmes devant les yeux. Sur le site qui précède celui du Prodac, on trouve un gros terrain laissé en jachère depuis des années, où une plaque indique que le terrain est propriété de l’Anida, un autre projet ambitieux destiné à fixer les jeunes dans le monde rural par le biais de l’agriculture. Pour quels motifs un terrain sur lequel ont été réalisés de gros investissements est-il ainsi laissé à l’abandon ? Y répondre serait trouver la réponse à la mort de tous ces nombreux éléphants blancs qui jonchent le monde rural au Sénégal, de l’indépendance à nos jours. Néanmoins, le Dac veut dans son principe casser ce cycle de gaspillage en révolutionnant l’agriculture sénégalaise. Ce qui fait que beaucoup de spécialistes qui suivent cette conception ne sont pas loin de penser que «normalement tous les projets agricoles dans les régions devraient tourner autour des Dac». Il faudrait que tous les acteurs le comprennent ainsi. Et le fait que la tutelle des Dac relève du ministère de l’Emploi, après avoir été sous celui de la Jeunesse, ne fait pas toujours plaisir à tout le monde. Mais on ne peut dire que cela soit la justification des retards que connaît ce projet, surtout avec ceux liés au financement.
Daniel Pinhasi, le Dg de Green 2000, explique la philosophie de ce projet qui a déjà fait ses preuves dans plusieurs pays, notamment en Angola et au Nigeria, pour ne parler que de l’Afrique, en dehors d’Israël : «Avec 5 000 paysans, organisés dans des coopératives de 20 personnes, vous avez environ 250 Gea, collaborant avec le Centre. Ces 250 Gea développent leurs activités agricoles dans leur villages, gagnent de l’argent et améliorent leur vie sur place. On évite ainsi l’exode rural et l’émigration des jeunes.»
Mais mieux que cela, ajoutera-t-il, c’est que quand le Prodac, à travers son «Cœur de Dac» est en contact avec 250 Gea, il connaît chaque parcelle, ses problèmes, les fertilisants qu’il utilise, les difficultés auxquelles il doit faire face, ses revenus et ses profits… «Alors, imaginez que vous avez ainsi 10, 15 ou 20 Dac à travers le pays. Vous avez alors toute l’information nécessaire sur l’agriculture nationale. Vous avez tous les détails dont vous avez besoin pour faire de la planification pour toutes les spéculations que vous voudrez produire. Vous savez par exemple quels efforts et à quel endroit vous devez vous déployer pour atteindre une autosuffisance en riz. Tout est bien contrôlé, vérifié et planifié. C’est un système complet de modernisation de l’agriculture.»
La conception des Domaines agricoles communautaires est différente de l’agro-industrie. Ici, la base c’est la création d’emplois à travers le développement des activités agricoles. «L’agro-industrie ne permet pas au paysan de sortir de la pauvreté. Il y a une entreprise qui cultive dans la vallée du Fleuve et qui fait de l’exportation. Elle paie à ses ouvriers environ 8 euros (5 300 Cfa) par jour, parce qu’elle doit respecter les normes européennes de production. Et les paysans sont contents. Avec notre modèle, le producteur reçoit au minimum 14 euros (9 500 Cfa) par jour. C’est le revenu minimal du propriétaire du lopin de terre, mais il lui permet aussi de créer des emplois, en embauchant environ 2 personnes par hectare», indique le directeur de Green 2000.
De plus, l’agro-industrie, avec sa forte mécanisation, n’est pas spécialement réputée pour créer des emplois, alors que le Prodac a pour mission d’en pourvoir autant que possible.
Les pouvoirs publics ont sans doute compris les enjeux liés à ces nouvelles infrastructures. Ce qui justifie sans doute le fait que, par contrat, il est prévu que les techniciens de Green 2000 restent sur le terrain pendant une année au moins pour assurer la formation des paysans et les initier à des méthodes culturales plus performantes. Au fur et à mesure de la maîtrise des outils de production, les techniciens étrangers sont remplacés petit à petit par des experts locaux.
mgueye@lequotidien.sn