Il nous a quittés le 9 juin 2007. Nous étions hier, le 9 juin 2023. En cette année, nous célébrons son centenaire. Le grand homme à qui nous rendons un hommage aujourd’hui et toute l’année, s’appelait Sembène Ousmane. Malheur à celui qui aurait eu l’outrecuidance de l’appeler Ousmane Sembene. Cette exigence de s’identifier par son patronyme participait de son combat pour la liberté, la libération de l’être humain de toute forme d’asservissement et de domination culturelle.
Dès son jeune âge, Sembène s’est engagé pour cette libération :
— libération du monde du nazisme, en tant que soldat engagé volontaire dans les années 1940, pendant la Seconde guerre mondiale ;
— libération des travailleurs de l’exploitation du système capitaliste, en tant que syndicaliste actif ;
— libération de l’Afrique du colonialisme et de l’impérialisme, en tant que militant panafricain usant de la plume et de l’image pour une plus grande mise en évidence de la réalité sociale et de la conscience collective aux fins d’un éveil des consciences des peuples africains et une prise en charge de leur destin.
L’homme, qui a officialisé le cinéma africain, s’est assumé toute sa vie durant. L’écrivain qu’il fut, a pris part à la première rencontre des intellectuels, artistes et écrivains noirs qui s’est tenue en 1956 à la Sorbonne, à Paris. Le cinéaste qu’il fut, a compris avec les autres pionniers, dès l’aube des Indépendances, la nécessité de créer nos propres images et des espaces de rencontres entre nos populations et nos œuvres filmiques.
D’où la création :
— en 1966, en Afrique du Nord, des Journées cinématographiques de Carthage, avec un autre grand homme à la tête, Tahar Cheriaa ;
— en 1969, en Afrique de l’Ouest, d’un festival de cinéma qui va devenir en 1972, le Fespaco ;
— en 1980, en Afrique de l’Est, du Mogpafis à Mogadiscio. Il est fermé depuis à cause de guerres dévastatrices, triste situation qui nous est imposée pour le contrôle de nos ressources naturelles, du Congo au Sahel.
Sembène et les pionniers avaient l’ambition de boucler le cadrage du continent avec un dernier festival à Johannesburg pour l’Afrique australe. L’apartheid ne le permit pas. Il a fallu attendre 1990 pour voir un festival dans cette région avec la Fédération panafricaine des cinéastes (Fepaci), dirigée par Gaston Kaboré. Cette Fepaci a été créée en 1970. Le Tunisien Brahim Babai et le Sénégalais Ababacar Samb en sont respectivement le président et le Secrétaire général.
Hommage aux pionniers et à leur doyen, Sembène, l’Aîné des Anciens.
Sembène, depuis ton départ le 9 juin 2007, nous n’avons de cesse de parcourir tes écrits, de visionner tes images et de nous remémorer ces moments de joie, faits d’affections, mais aussi d’engueulades où certains se faisaient remonter gentiment les bretelles sur ta terrasse à Dakar, face à la mer grondante ou autour de l’arbre à palabres de l’hôtel Indépendance à Ouagadougou, où beaucoup étaient tenus à distance. Certains de ses compagnons comme Mme Alimata Salembere et M. Souleymane Ouédraogo nous ont aidés dans la préparation du centenaire.
Sembène, pour ton centenaire en cette année 2023, le Sénégal, ton pays d’origine, en accord avec ton pays d’adoption, le Burkina Faso, et le Fespaco, a fait faire ton buste qui fut inauguré sur tes traces dans la cour du Fespaco à Ouagadougou, le 26 février 2023. Tu y côtoies depuis ce jour ton ami, ton collègue, ton compatriote, Paulin Soumanou Vieyra, dont un buste honore aussi cet espace. Vous engagerez dans le monde invisible ces discussions qui vous avaient tant réunis. Les arbres qui vous entourent dans cette cour désormais mythique par vos présences, vont bruire de vos riches enseignements. Puissent les initiés pouvoir les décrypter pour le cinéma africain que vous avez tous tant aimé.
Dormez en paix, chers pionniers !
Que la terre vous soit légère !
Cheick Oumar SISSOKO
Secrétaire général de la Fepaci