Semer les graines de l’espérance

2021 a été une année étrange à bien des égards. La déferlante antirépublicaine et l’irresponsabilité politicienne n’en sont pas les moindres preuves. Au milieu de la razzia du coronavirus qui engorgeait nos hôpitaux et faisait vaciller notre modèle social, une affaire de mœurs a provoqué une vague de violences sans précédent dans le pays. Quatorze jeunes ont péri sans qu’aucun citoyen épris de justice n’attende la lumière sur les circonstances de ces morts. Des disparitions tragiques touchent ainsi le petit peuple, celui des masses anonymes urbaines et rurales, pour rejoindre la longue liste des victimes du manque, en politique, d’exigence de responsabilité. Qui a tué ces enfants ? Le mémorandum du gouvernement est stupéfiant de légèreté. Celui du M2D est un tract politique indécent et racoleur. A ce stade, je retiens seulement que ces jeunes sont morts pour rien, sacrifiés par des adultes irresponsables qui pensent que la fin politicienne justifie tous les moyens.
Appeler, dans un discours aux accents mi-martiaux mi-christiques, des enfants à donner leur vie pour défendre un individu, dénote du peu de sens républicain des auteurs. Au fond, pris dans un champ de bataille politique, ces jeunes ont été une variable de surenchère et d’ajustement. C’est révoltant et triste à la fois. Hommes politiques, journalistes, activistes, syndicalistes et même universitaires ; chacun a choisi son camp jetant des anathèmes et distillant rumeurs, fausses informations et éléments de manipulation au service d’un camp. Qui a défendu la République ? Peu de gens. Thierno Alassane Sall, Ibrahima Hamidou Dème, Moustapha Diakhaté et quelques autres journalistes courageux, qui ont mis au-dessus de nos petites préoccupations la sacralité de notre pacte républicain malmené par une caste politique qui a perdu ses repères.
La vague conservatrice à laquelle le Sénégal fait face, sortie renforcée des événements de mars, porte ceux qui veulent en découdre avec la République, la démocratie et la laïcité comme la nuée porte l’orage. Ils sont des adversaires attentifs du progrès social qu’ils cherchent à annihiler pour promouvoir une société obscurantiste. Parmi eux, figurent des révolutionnaires du dimanche matin, qui disaient «vouloir que ça pète ; que le système s’écroule pour que le vent du changement embrase le pays et que nous construisions autre chose». Ils se soucient peu de ceux qui paient au prix fort le prix de la violence et du désordre.
Les remous de mars ont menacé la République, notre bien le plus précieux, et fait des victimes chez ceux qui déjà étaient vulnérables, ceux qui souffrent de toutes les formes de domination que le politique promeut. Les morts ont été enregistrés parmi les citoyens des catégories populaires, au cœur du Peuple qui souffre, de Yeumbeul à Bignona. C’est sur eux que la violence des inégalités sociales systémiques s’abat. Ils sont, par la précarité multiforme, sujets aux manipulations et aux mensonges de ceux qui projettent devant eux des promesses qui font fi de toute complexité.
En face, aucun chiffre sur la croissance ne peut cacher la misère insoutenable qui est le quotidien de millions de gens. Respecter la dignité de ceux qui souffrent implique de leur vendre leur pays ; mais pas un pays fantasmé qui ne répond à aucune réalité économique et sociale nationale. Dans les quartiers de mon enfance, je constate l’ampleur de la faillite du politique. Je suis toujours triste de voir que la République laisse des millions de familles dans le dénuement le plus absolu ; des familles laissées à elles-mêmes, qui deviennent ainsi les victimes de tous les marchands de haine qui stigmatisent pêle-mêle la France, les homosexuels, les francs-maçons, les écrivains et les élites.
Dans ce désastre d’un pays que je vois s’effondrer, une petite lumière demeure ; celle des espaces de résistance de la pensée, de la création, de la littérature et de la culture, qui contribue à semer des graines dans le cœur de ceux qui veulent ramener le Sénégal à sa vocation de pays ouvert aux vents humanistes de l’universel.
Aux aurores de cette année nouvelle, j’ai pensé à ceux qui luttent encore pour ce beau mot qu’est la liberté. Il nous faut un profond désir de transformation qui devrait se matérialiser par l’acte symbolique de semer des graines, afin de nourrir les consciences qui demain, vont porter le flambeau de l’égalité et de la liberté.