La résilience est une constante dans l’histoire politique du Sénégal. Aucune politique de réduction de l’opposition à sa plus simple expression n’a donné le résultat attendu. Chercher à étouffer la vie politique, les médias, la Société civile, les libertés publiques, la Justice, sous le prétexte d’apporter «le bonheur à la population» dans le but de conserver le pouvoir ne sera pas facile. Il n’y a présentement aucun signe prometteur d’un avenir enchanté. Au contraire, l’abîme se creuse entre le discours politique volontariste et les faiblesses des résultats sur le terrain. Le contexte national est difficile. Désabusé, l’exaspération n’est pas loin pour un gouvernement qui a une mauvaise représentation des attentes réelles des populations dont le quotidien est bousculé par les crises plurielles, qui range aux oubliettes ses exigences fortes et ses attentes légitimes. Le pouvoir doit être un lieu de travail, de confrontation avec la réalité, en regardant devant plutôt que dans le rétroviseur. L’art du spectacle et du simulacre a des limites. L’aura dans l’opposition résiste toujours mal à l’expérience du pouvoir.

Le premier remaniement, avec le remplacement de quelques noms, s’inscrit dans une même logique de continuité, au détriment d’un casting capable de gouverner durablement le pays. La gouvernance n’est pas un exercice comptable. C’est l’engagement des moyens de l’Etat pour le bien commun. Une volonté de rigueur budgétaire sans ambition sociale et économique fondée sur du faire mieux avec moins oblitère l’attractivité au profit de la fiscalité d’épicerie. L’investissement suppose d’abord la confiance et la stabilité. Une fiscalité soutenue par une logique de profit entame souvent la confiance des agents économiques, et in fine s’avère inefficace et injuste. Dans le traitement nécessaire de la délinquance économique et financière, les décisions judiciaires doivent veiller à préserver les droits de la défense et garantir l’indépendance juridictionnelle. La Justice n’est pas un pouvoir, mais elle peut recourir à des pouvoirs que les autres institutions n’ont pas.

La lutte contre la délinquance économique et financière nécessite également des réponses pénales variées et adaptées. L’autorité judiciaire, de même que la Cour des comptes et la Centif, à elles seules, ne peuvent contrôler, détecter et sanctionner. Elle nécessite un système institutionnel souverain avec des moyens, un cadre légal et une diplomatie judiciaire. La vocation de la Justice n’est pas d’humilier, ni de porter atteinte à la dignité des justiciables, mais d’appliquer le Droit en toute rigueur, avec discernement. Une Magis­trature soumise, c’est le risque de voir un système judiciaire en instrument d’oppression. Tout juge, par principe, doit être allergique aux ambitions de carrière, aux décorations, aux honneurs. Il doit pratiquer le devoir d’ingratitude et rester dans le champ du défenseur de l’Etat de Droit. L’indépendance n’est pas compatible avec la courbette !

Par ailleurs, il est souhaitable que l’institution judiciaire sorte de temps à autre de son mutisme pour communiquer, afin de mieux faire connaître son travail et ainsi contribuer à sortir des clichés d’une Justice à géométrie variable.
Avec un pays dont l’Administration tourne à vide, de l’aveu même du Premier ministre, il n’est nul besoin d’un homme fort, mais d’un Etat de Droit qui fonctionne avec efficacité et parcimonie. Les éléments de langage politique faits de discours creux, de calculs, de postures, et la concentration du pouvoir chez l’Exécutif sans aucune délibération publique sont une pathologie démocratique. L’excès d’autorité est paradoxalement une source de désordre. C’est en faisant ensemble qu’on va plus loin.

L’exercice de toute fonction publique est moins un honneur ou privilège qu’une éthique de responsabilité qui oblige. Ainsi, l’idée pour les députés de jouer aux procureurs, pour des raisons purement politiques, est un calcul partisan médiocre. La simple possibilité de l’audition d’un magistrat est une forme de mise en accusation contraire au statut des magistrats.

Que fait-on de leur droit de se taire, reconnu par la loi ?
A terme, la pilule risque d’être amère face aux promesses inachevées. La misère sociale est un tombeau pour la démocratie politique. Les Sénégalais doivent s’interroger sur eux-mêmes. Chacun doit bien s’efforcer de comprendre raisonnablement ce qui arrive. Où veut-on ensemble amener le pays et comment y résister si le chemin pris est mauvais ?

A l’heure où la pensée recule, que l’éthique se retire, que les repères s’effritent, l’art de parler ou de faire des posts pour ne rien dire doit cesser. Politicien d’un jour ne doit pas toujours rimer avec politicien toujours.

Les actes disent toujours ce que nous sommes et pourquoi nous agissons.
Pour le pouvoir, la stratégie de tout conflictualiser, à jouer sur la peur comme moyen de gouvernance, avec un néo-souverainisme populiste primaire, motivé par une logique transactionnelle et clientéliste, n’a rien d’un véritable projet politique porteur d’un changement profond et d’élargissement de la démocratie électorale aux plans social et économique. Le culte de l’esprit guerrier, belliciste et de division est un circuit fermé qui va tourner sur lui-même.

Dans un contexte régional incertain, avec un fatalisme résigné et rentré, mais capable d’exploser, les Sénégalais font face à une crise économique profonde qui va de plus en plus engendrer du malheur social, qui va nourrir une frustration qui naguère fut le carburant politique de l’actuel gouvernement. Il est naïf et suffisant de croire qu’un retour de flamme est improbable. L’inattendu peut advenir. Entre l’enthousiasme et la révolte, la frontière est mince. Le faux patriotisme mensonger, le nationalisme agressif, l’allergie à toute critique sont contraires à la raison, à l’éthique, à la foi. La politique de l’autoritarisme ne gagnera pas sur le long terme. Le pays n’a besoin ni de saints, ni de héros, mais de travailleurs compétents et intègres engagés à bâtir son avenir.
Maya LY
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