Peut-être que le temps est venu, pour le Sénégal, d’appuyer et de faire la promotion de ses capitaines d’industrie. L’exemple de Wari, idée de Kabirou Mbodj, qui a fini par s’inscrire dans notre quotidien et notre vocabulaire, est à saluer. Une telle réussite, avec une internationalisation progressive de ce groupe, mettant une multitude de personnes à la tâche, est à célébrer. Les points de transfert d’argent et les services de monétique se multiplient dans toutes les villes sénégalaises. Le modèle Wari fait tache d’huile et un tour dans la sous-région ouest-africaine, notamment à Abidjan où affiches publicitaires et spots radio annonçant l’arrivée du service de transfert d’argent Joni-Joni (issu aussi du Sénégal) en Côte d’Ivoire, témoignent d’une ambition sénégalaise de créer du viable et de l’épandre sur le continent.

Etre prophète chez soi
Le rachat de Millicom-Sénégal par Wari, la semaine dernière, est un fait majeur méritant qu’on s’y attarde. Il doit servir de coup de fouet, de motivation pour nos industriels, hommes d’affaires et entrepreneurs. Il leur est possible de se faire les locomotives de l’économie nationale, d’assurer une création pérenne d’emplois, de générer de la valeur ajoutée et de se déployer à l’international. De nombreux Sénégalais ne semblent pas s’y tromper et ont décidé de se procurer une puce Tigo, afin de donner un coup de main à l’audace de Kabirou Mbodji. Ce nouvel élan semble révéler que les Sénégalais avaient soif de voir des hommes d’affaires se décomplexer, se libérer de toutes emprises étouffantes, pour chercher à jouer dans «la cour des grands». Avant Kabirou Mbodji, un Ameth Amar par exemple avait mené avec succès une opération de rachat des Moulins Sentenac, pour renforcer ses positions dans le domaine de la minoterie. D’autres réussites ont été enregistrées, réalisées par des Sénégalais qui avaient débuté avec peu de moyens et qui ont forcé le destin. On peut citer par exemple un Babacar Ngom avec Sedima ou un Baba Diao avec Itoc. A l’ère où le Sénégal investit avec succès dans une offensive de maitrise du secteur de l’énergie, notamment de l’énergie solaire, on doit relever l’audace du jeune Moustapha Sène, avec sa société Energy Ressources Senegal, qui est en train de monter une centrale solaire à Kahone ; la seule centrale détenue à 100% par des capitaux nationaux. L’expérience d’un Moustapha Sène révèle que le flambeau des «pères» (Alla Sène en ce qui le concerne en particulier) qui avaient réussi à bâtir des fortunes familiales, à la sueur de leur front, peut être porté par de dignes héritiers. L’économie sénégalaise avait longtemps été portée, par des acteurs qui passaient pour être des géants du secteur informel. Aujourd’hui, dans les domaines des assurances et des télécommunications, les entreprises sénégalaises ont su consolider leur force et entamer leur expansion dans différentes régions africaines. Seulement, il faut dire que la grande industrie «Made in Senegal» peine à bien s’ancrer sur ses terres avant de penser à l’ouverture. De nombreux facteurs peuvent expliquer un tel état des choses. En effet, la faible disponibilité des ressources financières, les conditions complexes pour bénéficier du soutien des banques, le manque d’expertise reconnu dans certains secteurs, les lourdeurs administratives sont parmi les éléments souvent mis en avant. Néanmoins dans des secteurs comme celui des Btp, des groupes sénégalais tels que Cde ou Cse sont bien présents dans différents pays africains et rivalisent avec des concurrents internationaux dans la réalisation de routes et d’infrastructures. Le savoir-faire est là, les réalisations peuvent être conséquentes.
Avec la tendance actuelle de quête d’émergence et d’accélération des performances économiques un peu partout en Afrique, il est clair que les opportunités d’affaires dans tous les secteurs se présenteront. Pour sortir des gains d’un contexte aussi favorable, il est primordial que l’accompagnement des entreprises et acteurs économiques nationaux soit davantage plus conséquent et découle d’une réelle volonté politique. L’Etat du Sénégal doit se faire promoteur des entreprises nationales et ainsi, doit prôner l’affirmation de champions nationaux. Hors de nous, l’idée de protectionnisme épidermique, mais il semble nécessaire que l’Etat du Sénégal se fasse promoteur des acteurs économiques comme bien des pays le font. L’Etat français est souvent caricaturé comme le premier agent commercial des entreprises d’aéronautique, de défense et d’automobile. Le roi du Maroc est accompagné systématiquement, dans ses déplacements internationaux, par une suite d’hommes d’affaires à la quête d’opportunités dans les pays visités. Les Etats-Unis d’Amérique, dans un contexte de mondialisation poussée et d’interdépendance, s’orientent de nouveau vers une logique du produit estampillé Usa. Le président Donald Trump se veut le champion de cette nouvelle approche de son pays. Les pays émergents dont le Brésil, la Chine, l’Inde et la Turquie, convient des rendez-vous diplomatiques et de coopération à l’attention des pays africains, lors desquels le savoir-faire et les réalisations de leurs entreprises nationales sont mis en exergue. Le jeu économique est devenu un enjeu dans lequel un accompagnement bienveillant d’entités étatiques semble indispensable. Le Sénégal, tout en garantissant un cadre d’affaires ouvert et attractif, comme le prétend l’Apix, doit trouver des voies et moyens d’encourager la consolidation des acteurs nationaux de son économie. Il ne sera pas le premier pays à le faire et en profitera grandement.

S’inspirer de ce qui se fait de mieux ailleurs
Un exemple d’accompagnement des industries nationales par les pouvoirs publics bien réussi, est celui du «Québec Inc.» au Canada. La question du contrôle de l’économie nationale a longtemps été en débat au Canada de façon générale et dans la province du Québec tout particulièrement. Les gouvernements qui s’y sont succédé, au courant du 20e siècle, ont fait face, jusque dans les années 1980, à la question de la présence de nationaux dans l’économie. Le voisinage avec le géant américain et les liens historiques avec le Royaume-Uni, ont occasionné non seulement une grande présence dans l’économie intérieure canadienne de capitaux britanniques et américains, mais surtout une rareté d’acteurs économiques autochtones en mesure de rivaliser avec eux. Dans la province du Québec, un sursaut a eu lieu dans les années 1960, pour régler cette question. A cette période, la production manufacturière, l’industrie pétrolière et gazière, les fonderies et les mines étaient en majorité contrôlées par des actifs étrangers dans tout le Canada. Une entreprise de rachat de l’économie nationale, menée par des Québécois, se mit en place. Celle-ci s’opéra par une collaboration entre les entrepreneurs et l’appui de l’Etat provincial pour protéger l’activité économique nationale et créer des emplois locaux. Un des résultats majeurs du «Québec Inc.» fut la consolidation de la compagnie publique d’électricité Hydro-Québec, avec une nationalisation d’une dizaine de compagnies d’électricité, faisant d’elle une compagnie leader et le fer de lance de l’économie de cette province. On peut s’imaginer que cette politique avait inspiré le président Abdou Diouf qui lançait, durant les années 1985, le slogan «du sursaut national» pour inciter aux investissements sénégalais et à consommer sénégalais.
Il reste que nous devons nous faire violence pour corriger nos travers. L’émoi suscité par la panne à Le Dantec, a permis de révéler ce que notre peuple recèle de plus exécrable. Le Sénégal aurait pu ne pas trop souffrir de l’arrêt de ladite machine si les projets, dans le secteur, initiés par le cancérologue, le Pr Abdou Aziz Kassé, n’avaient pas souffert d’ostracisme ou de mesquinerie. Le Pr Kassé est en train de réaliser un centre de traitement du cancer, doté de deux accélérateurs de dernière génération. Un tel centre aurait dû être réceptionné depuis l’année dernière et ainsi la panne qui handicape le centre de traitement du cancer de l’hôpital Le Dantec n’aurait pas été ressentie. Mais c’est sans compter avec les blocages dont le projet innovant et ambitieux du Pr Kassé a eu à souffrir. Figurez-vous que lors de la pose de la première pierre du chantier de ce projet, aucun «chat» du ministère de la Santé n’avait été aperçu sur les lieux. Le Centre international de recherches médicales que réalise l’éminent Pr Souleymane Mboup à Diamniadio, a essuyé le même désintérêt de la part des autorités du même ministère.
Une dynamique de solidarité doit animer les acteurs économiques et l’Etat, pour créer les conditions d’une meilleure présence nationale dans l’économie. Un terreau socio-culturel existe déjà avec différentes initiatives dans les milieux confrériques et associatifs. Il est nécessaire de s’appuyer, de s’entre-motiver et de renverser une fois pour toutes, le panier de crabes qu’est devenu le Sénégal.