Sénégal : la nécessité d’une évaluation plus nuancée des risques souverains

Le 10 octobre 2025, nous avons assisté à la dégradation de la note du Sénégal de B3 à Caa1 par l’agence de notation Moody’s. C’est la troisième dégradation de sa note souveraine, par cette même agence, en moins d’un an. Le Sénégal n’est pas seul dans ce contexte. D’autres pays africains comme Madagascar, le Rwanda, l’Ouganda et la Tanzanie, etc., sont considérés comme connaissant un risque réel de crise. Une décision justifiée, selon l’agence de notation Moody’s, par la situation économique préoccupante du pays, avec un déficit budgétaire de 14% et un encours de dette publique représentant 119% du Pib (Produit intérieur brut).
Le reproche que les autorités sénégalaises font à l’agence de notation, est que l’évaluation ne reflète ni la réalité des fondamentaux économiques du pays ni les mesures de politique publique mises en œuvre pour consolider la stabilité budgétaire et renforcer la soutenabilité de la dette. Cet argument pourrait être crédité dans la mesure où l’histoire récente du monde de la finance a montré que certaines notations ne reflétaient pas toujours la réalité économique de l’entreprise ou du pays évalué. Pour les entreprises, nous avons vu en décembre 2001, une société Enron en catégorie «investissement» la meilleure, faire faillite quatre jours plus tard. Le 14 septembre 2008, une banque d’investissement multinationale Lehman Brothers, notée «A», s’effondre le lendemain de sa notation. On peut également se souvenir de Vivendi Universal qui fait faillite en mars 2003, deux semaines après avoir été estampillée Aaa.
Pour les pays, il y a le cas du Ghana qui a continué d’être noté B/B- pendant des années alors que sa dette s’accumulait de manière insoutenable. Lorsqu’il a finalement été rétrogradé à la Ccc et a fait défaut en 2022, cela a soulevé la question de savoir si des notations plus réalistes, émises plus tôt, auraient pu signaler des problèmes ou permettre un redressement de trajectoire. A l’inverse, le Nigeria a parfois obtenu une note similaire à celle des pays comparables malgré une dette extérieure beaucoup plus faible, peut-être en raison de facteurs qualitatifs tels que des problèmes de gouvernance. D’autres erreurs commises par les agences de notation dans leur évaluation des pays africains peuvent également être soulignées, comme l’erreur commise par l’Agence de notation Fitch en Tunisie en 2022 en publiant sa notation en dehors du calendrier prévu, sans tenir compte de toutes les informations disponibles et pertinentes. Trois mois plus tard, Fitch a corrigé cette erreur, mais uniquement pour se conformer à l’exigence réglementaire de l’Autorité européenne des marchés financiers, qui impose aux agences de notation de ne pas s’écarter du calendrier de publication des notations souveraines. Cette erreur aurait pu être évitée si Fitch avait eu une présence locale dans le pays. De novembre 2022 à août 2023, Moody’s a noté le Cameroun sur la base des informations non vérifiées concernant des retards de paiement du service de la dette extérieure entre janvier et novembre 2022. Un an après, les rapports sur les retards de paiement du service de la dette du Cameroun suggèrent que l’agence ne disposait pas d’informations officielles opportunes et factuelles.
Pour le cas du Sénégal, nous retenons un défaut de coordination au niveau de la communication. Les nouvelles autorités ont voulu jouer la transparence sur une «dette cachée» de près de 7 milliards de dollars1, imputable au précédent gouvernement. Mais malheureusement, cela s’est transformé en effet pervers, parce que les marchés financiers ne retiennent que l’instantané. Cette situation a entraîné la suspension du programme de prêt de 1, 8 milliard de dollars validé en 2023 et a poussé les autorités à se tourner d’abord vers le marché financier régional et ensuite vers la diaspora bond en raison de difficultés à accéder à des financements internationaux. La même chose était arrivée au Mozambique en 2016, lorsqu’une dette cachée de 2 milliards de dollars avait été découverte.
Le nouveau gouvernement est en train de s’organiser au niveau le plus élevé pour rétablir la confiance des partenaires internationaux, en mettant l’accent sur la transparence, la responsabilité budgétaire et la relance des secteurs-clés de l’économie. Les pourparlers avec le Fmi ont repris en vue d’un nouvel accord financier, et les nouvelles sont encourageantes pour les investisseurs.
En définitive, la récente dégradation de la note souveraine du Sénégal par Moody’s met en lumière l’importance d’une évaluation rigoureuse et équilibrée de la situation macroéconomique nationale. Si les défis économiques et budgétaires du pays sont réels, il convient que les analyses des agences de notation prennent également en compte les fondamentaux structurels solides et les réformes en cours, susceptibles de soutenir la résilience et la croissance à moyen terme.
Dans cette perspective, le Sénégal gagnerait à renforcer son dispositif de suivi macroéconomique et sa stratégie de communication financière avec les agences de notation, en vue d’une meilleure prise en compte des réalités locales et régionales dans les évaluations souveraines.
Enfin, cette expérience souligne plus largement la nécessité, pour les pays africains, de développer des mécanismes régionaux de notation et d’analyse du risque, afin de compléter les appréciations des agences internationales et de promouvoir une lecture plus contextualisée du risque de crédit sur le continent.
Dr Serigne Momar SECK
Economiste
1 Le Fmi a confirmé «des déclarations erronées significatives des déficits budgétaires et de la dette publique sur la période 2019–2023»