L’avènement du régime du Président Bassirou Diomaye Faye est à coup sûr placé sous les auspices de la rupture et du changement. C’est vrai que les 54, 28% de Sénégalais qui ont voté pour une victoire au premier tour du candidat de la Coalition Diomaye Président avaient exprimé de fort belle manière leur volonté de tourner la page des 12 ans du pouvoir Apr/Bby. Pour autant avaient-ils opté pour une rupture ? Et quelle rupture ?

A l’analyse fine du comportement des acteurs politiques comme de la Société civile, on se rend compte, pour l’essentiel, qu’on a du mal à «tuer le vieil homme» qui est en nous. Comme un leitmotiv, on renvoie à satiété au «règne» de Macky Sall en convoquant les us et pratiques naguère décriés, et qui lui ont valu la sanction des électeurs. La rupture, ce ne doit pas être cela.

Comment peut-on expliquer au citoyen lambda que les tenants de l’actuel pouvoir doivent être ouverts à ceux qu’ils ont combattus pour accéder au pouvoir au détriment de ceux qui ont «sué sang et eau» pour les porter au pinacle ? Si ce n’est un pas un appel du pied, cela y ressemble fort, d’autant qu’on reproche au pouvoir en place d’être inflexible et hermétique. Qui tape à la porte ?

Que l’on se comprenne bien, en moins de 6 mois, on ne fera jamais croire qu’on peut juger un gouvernement, même dans les systèmes institutionnels les plus achevés.

Le penser un tant soit peu, c’est nier la complexité qui caractérise la gestion d’un Etat aussi bien dans sa verticalité (je signale que nous avons hérité d’un état Jacobin, par essence centralisateur) que dans sa déclinaison horizontale plurielle construite autour des collectivités territoriales, de ce que l’on appelle communément le commandement territorial et des espaces géographiques plus ou moins intégrés. Autant de paramètres qu’il faut saisir, dont il faut s’imprégner pour quelqu’un qui vient du privé ou qui a une connaissance sectorielle de cette globalité très imbriquée, faite d’équilibre et qui a ses mécanismes propres.

Personne ne fera croire que François Mitterrand ne fut pas un grand homme d’Etat, l’un des meilleurs présidents qu’a connus la France. Pourtant, son premier mandat a été des plus critiqués, même si le second a été remarquable aussi bien au plan de la politique intérieure qu’étrangère, notamment sur l’Europe.

Pourquoi diable veut-on que ce nouveau pouvoir qui hérite d’un pays dont tout le monde sait, qu’il sortait de la crise la plus profonde de ce dernier quart de siècle, à savoir le Covid-19, dont les grands think tank de ce monde avaient prédit qu’elle provoquerait l’effondrement de la plupart des régimes africains, soit à l’image du roi Taumaturge. Même si notre pays a tenu et de fort belle manière, nous n’avons pas encore achevé notre chemin de résilience. En effet, la crise russo-ukrainienne est venue compliquer la situation économique du pays et notre lourd endettement a fini de rehausser le niveau des challenges que le gouvernement du Premier ministre Ousmane Sonko doit relever.

Ce n’est pas faire preuve de complaisance que de dire que c’est trop tôt pour «décréter l’état d’hystérie collective» pour soi-disant alerter. Alerter qui et sur quoi ?

Si ce sont les citoyens, dans leur grande majorité, ils ont opté pour la posture d’intelligence, pour constater, comprendre et se faire un point de vue qui sera sans aucun doute extrêmement exigeant.

Cette posture requiert que la rupture tant attendue soit inscrite dans un processus de transition, et elle doit être graduelle, sans brutalité et sans haine. Le système qui a été mis en place pour capter les ressources de l’économie est très robuste, et le gouvernement actuel ne tardera pas à s’en rendre compte pour en tirer toute la conclusion qui sied.

Celle-ci n’est rien d’autre que le refus de la capitulation face aux puissants lobbies pyromanes et sapeurs-pompiers à la fois, qui chercheront vaille que vaille à se retrouver dans le prochain schéma de capture des dividendes d’un dialogue qu’ils auraient eu le bonheur de coacher. Ils sont à la manœuvre pour conserver leurs privilèges de toutes sortes.

On est tous d’accord que la rupture sera sur la démarche, mais aussi sur la méthode et bien sûr, sous l’encadrement de la légalité absolue. Cette dernière est essentielle pour ne pas tomber dans les travers de l’euphorie d’une victoire aussi éclatante que provisoire, car il faudra la consolider aux élections législatives, si telle est la volonté du suffrage universel.

La rupture se fera sans aucune arrière-pensée pour un second mandat, sinon c’est fichu. D’abord c’est trop tôt d’y penser, ensuite il est impensable que ce que les Sénégalais avaient refusé à Macky Sall et son régime, qu’ils le tolèrent pour un autre, particulièrement celui qui est au début et à la fin de la théorie de l’anti-système.

L’actuel pouvoir, qu’on le nomme «pastéfien» ou autrement, n’est pas notre problème, pourvu qu’il s’occupe des préoccupations criardes des Sénégalais. Ils y sont et on le sent, et c’est ça la vérité.

Ce n’est pas certainement l’avis des «rentiers» du système pour qui la nouvelle démarche de transparence irrite au plus haut point. Elle a fini de paralyser leur manière de penser et d’agir, sans toutefois mettre en déroute les forces d’inertie tapies dans l’ombre à des niveaux insoupçonnés.

Il faudra leur faire face dans la justice et l’équité, notamment en ce qui concerne la reddition des comptes. Le changement, c’est aussi cela.
Mamadou NDAO
Juriste Consultant
Expert en Communication
Diplômé des Université de Montpellier 1 et Paris 1 Panthéon Sorbonne
Dakar