Tout compte fait, avec Macky Sall, ça n’a pas le temps de s’ennuyer… Alors que l’on s’achemine benoitement vers le démarrage d’une campagne électorale de trois semaines, samedi 3 février 2024, à quatorze heures, après deux heures de stress et d’attente, coup de théâtre : le chef de l’Etat annonce froidement qu’il décide d’annuler le décret qui convoque le corps électoral. En français facile, ça se traduit par l’élection est reportée. Il y aura un arbre à palabres et quelques autres ajustements d’ici là, dont les lacrymogènes qui tonnent et quelques manifestants en garde-à-vue. Circulez, il n’y a plus rien à voir…

Ô stupeur planétaire.
Sur le plateau d’Europe 1, en France, un éditorialiste pince-sans-rire, Vincent Hervouet, nous enseigne doctement qu’on n’est pas dans le «coup d’Etat» comme ça se fait sur le continent habituellement, mais tout juste dans «le braconnage électoral», après que les députés Pds et Bby qui, détaille le caustique confrère, «se parlent la nuit, comme on dit en Afrique», et finalement concoctent le report de la Présidentielle au 15 décembre 2024.
Dit simplement, sauf deuxième report, on a neuf mois pour accoucher d’un nouveau régime.

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En attendant, des rats et des souris quittent l’embarcation à la dérive en claquant la porte avec panache, se souvenant qu’ils ont de sacrés principes sur lesquels ils ne transigent pas : pourquoi pensez-vous donc à l’ancien intrépide «journaliste d’investigation», le super Latif Coulibaly, Sg du gouvernement, et Eva Marie Coll Seck, ministre d’Etat, prof de Médecine chargée de surveiller nos mines, (pas nos bouilles déconfites, mais notre sous-sol) ?

Bien sûr, les réactions ne se font pas attendre : le gourou exalté du groupe Walfadjri, Me Cheikh Niasse, avocat du Barreau français, patron de presse sénégalais contrarié, annonce en direct qu’il va écrire de ce pas au procureur pour renoncer à sa «seule» nationalité ; il joint le geste à la parole en faisant mine de cisailler sa carte d’identité de la Cedeao. Sur le plateau de l’émission, il réfléchit à haute voix pour trouver un point de chute, après avoir vendu le bijou de famille Walfadjri. Question impie : si demain la présidence de la République lui adresse un chèque de dédommagement pour calmer ses nerfs tendus, comment va-t-il donc le retirer ?

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Allez, en bon Sénégalais, mêlons-nous de ce qui ne nous regarde pas : va-t-il recueillir l’avis de ses frères et sœurs avant de balancer le bébé avec la baignoire et toute la baraque ?
Il y a des réunions de famille qui s’annoncent agitées !

Si ce n’était que ça… Dans l’opinion, ça se déchaîne : les opposants sont partagés. Il y a les irascibles, qui parlent de «putsch constitutionnel», de «forfaiture» et tirent des têtes d’enterrement. Et puis, il y a les tièdement fâchés, les recalés des parrainages, habituellement fauchés et donc incapables de déposer une caution, qui se demandent si ce ne serait pas «Dieu qui est fort» comme on dit vers Abidjan, et qui leur adresserait un clin d’œil appuyé, comme celui pour l’Equipe de foot de Côte d’Ivoire en huitième de finale face au Sénégal.

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Dans le camp des partisans de Ousmane Sonko, porte-flambeau de la radicalisation que l’on commence à oublier au fond de sa geôle, c’est jubilatoire : «Pros avait tout prévu ! Il l’avait dit !» Raison pour laquelle, par un tour de passe-passe dont lui seul a le secret, il se retrouve en prison, une diversion géniale pour que son lieutenant passe par les mailles du filet et se retrouve parmi les vingt candidats. De la stratégie de haute voltige, crâne-t-on dans les rangs des ex-militants du parti dissous.
Y’en a qui cultivent du masochisme, comme le paysan sénégalais, de la cacahuète.

Quant aux p’tits chroniqueurs de mon acabit, qui bouffent au râtelier du pouvoir dictatorial, tapent aussi dans la tirelire trop sonore des opposants timides, tout comme dans le bas-de-laine élimé de la Société civile, le verdict est sans appel : «Votre heure viendra, bande de corrompus !»
En résumé, on l’a dans l’os, plastronne-t-on sur les réseaux sociaux en délire.
En fait, on se rend compte seulement maintenant que lorsque le 4 juillet 2023 (sic), le président de la République, le visage grave, le ton solennel, nous apprend qu’il renonce à sa candidature pour février 2024, il oublie de nous préciser le détail qui tue : il n’y aura pas d’élection à cette date.
La nuance n’est pas banale.

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A la suite de la Cedeao qui fronce les sourcils, les Etats-Unis prennent-ils la mouche, juste parce que c’est l’anniversaire de l’indépendance des Américains, un 4 juillet (sic), que Macky Sall renonce à sa candidature pour 2024 ? Leur département d’Etat, sous la plume de son porte-parole, Matthew Miller, vient de publier une sorte de remontrance qui n’a rien de diplomatique : «Les Etats-Unis sont profondément préoccupés par les mesures prises pour retarder l’élection présidentielle du 25 février au Sénégal, qui vont à l’encontre de la forte tradition démocratique du Sénégal.»

Le p’tit cirque des collègues de Mame Diarra Fam, Coura Macky, Ahmed Aïdara et Guy Marius Sagna n’est apparemment pas du tout à son goût : «Nous sommes particulièrement alarmés par les informations selon lesquelles les Forces de sécurité ont expulsé de force des parlementaires qui s’opposaient à un projet de loi visant à retarder l’élection, ce qui a donné lieu à un vote à l’Assemblée nationale qui ne peut être considéré comme légitime compte tenu des conditions dans lesquelles il s’est déroulé.»
En un mot comme en cent, «les Etats-Unis exhortent le gouvernement du Sénégal à organiser son élection présidentielle conformément à la Constitution et aux lois électorales».

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Ultime petite tape sur les doigts des pontes de cette République bananière : «Nous appelons également le gouvernement sénégalais à rétablir immédiatement le plein accès à Internet et à garantir que les libertés de réunion pacifique et d’expression, y compris pour les membres de la presse, soient pleinement respectées.»

De quoi je me mêle ? Comme si nous on proteste quand les potes à Trump envahissent le Capitole ou qu’une balle perdue abat un Nègre parce qu’il fouille dans sa boîte à gants… Ils n’en ont cure manifestement : «Les Etats-Unis resteront engagés auprès de toutes les parties et partenaires régionaux dans les jours à venir.» Il y aurait dans ce billet doux, comme un arrière-goût de menaces.
Si ça se trouve, en ce moment, c’est Yahya Jammeh qui exécute des galipettes de cabri !

Par Ibou FALL