Le musée du Quai Branly à Paris a ouvert, le 7 février dernier, une exposition-hommage à Léopold Sédar Senghor qui compte parmi ses commissaires l’historien Mamadou Diouf, professeur à Columbia aux Etats-Unis. Intitulée «Senghor et les arts. Réinventer l’universel», l’expo souhaite, selon les organisateurs, mettre en perspective les réflexions et réalisations dans le domaine culturel de l’intellectuel et homme d’Etat sénégalais. Ils ajoutent que «l’exposition revient sur la politique et la diplomatie culturelle sénégalaise au lendemain de l’indépendance, ses réalisations majeures dans le domaine des arts plastiques et arts vivants, mais aussi ses limites». Qu’un grand musée rende hommage à Senghor en mettant en exergue son immense contribution à la culture relève de la logique de l’histoire. Car le père fondateur de notre Nation a été le plus grand avocat des arts et de la culture au Sénégal et en Afrique. Dans ces colonnes, j’ai souvent rappelé la contribution colossale de Senghor à notre histoire. Il a bâti minutieusement notre politique culturelle. L’Université des mutants, le musée dynamique, le Festival mondial des arts nègres, le théâtre Daniel Sorano, l’Orchestre national, le Ballet national la Linguère, l’Ensemble lyrique et l’Ecole artistique de Dakar, les Manufactures sénégalaises des arts décoratifs de Thiès, l’exposition Picasso à Dakar en 1972 sont un ensemble d’infrastructures ou d’initiatives de Léopold Sédar Senghor dont l’objectif était de placer le Sénégal et par ricochet l’Afrique, sur la grande scène du monde et de l’histoire. Senghor voulait faire de la culture le début et la fin du processus de développement du Sénégal et l’apport de notre pays dans ce rendez-vous du donner et du recevoir, où chaque Nation devait venir avec ce qu’il a de plus précieux. Pour comprendre le Sénégal, il faut lire et relire Senghor, qui en est le premier bâtisseur. Le poète Amadou Lamine Sall a raison de toujours rappeler qu’un poète chef d’Etat, c’est rare. Il précise que notre pays a été fondé par un poète, et que ça laisse des traces. Senghor est un penseur et homme d’Etat très critiqué dans son propre pays. Les anathèmes de ceux qui ne l’ont pas lu ou des nouveaux militants qui sont des caisses de résonance de paléo-révolutionnaires ou de petits démagogues ne valent pas la peine qu’on s’y attarde. En revanche, certaines critiques sont pertinentes et relèvent des divergences intellectuelles et idéologiques, notamment de celles et ceux issus des écoles du marxisme et du nationalisme. Mamadou Diouf revient dans une récente interview sur l’origine marxisante et matérialiste de ses critiques de l’époque à l’encontre de Senghor. D’ailleurs, sur les rapports considérés par certains de soumission de Senghor à la France, l’historien tempère ses désaccords de l’époque à la lumière de sa relecture des textes de Senghor. Car, dit-il, «retourner à Senghor, c’est le comprendre dans son temps, mais aussi dans ce temps actuel du monde». En effet, plutôt que de se fendre d’anathèmes ou de critiques sans fond, plutôt aussi de sembler avoir honte de l’héritage du poète-président comme on peut le remarquer chez certains de ses héritiers politiques, il convient de le relire, de confronter sa pensée aux préoccupations contemporaines et de critiquer ses limites ainsi que ses impasses. Une pensée qu’on ne discute pas tombe dans le sarcophage de la muséification qui rend impossible toute forme de discussion. Or, comme le rappelle mon précieux ami Hamidou Sall, éminent senghorien, on n’a jamais autant débattu au Sénégal que du temps de Léopold Sédar Senghor.
Notre pays est dans une période de tension préélectorale, propice à l’agitation sans lendemain des formations politiques. La pensée s’est retirée de l’espace public, désormais laissé aux insulteurs publics et aux excités de tous bords. Or comme l’a dit un ancien Premier ministre français : «L’excès et l’injure avilissent la politique.» Il est regrettable que cette exposition, qui honore notre pays, n’ait jusque-là pas un grand retentissement ici, là où Senghor est né et a été enterré. Ici, sa terre précieuse. Mais l’espoir n’est jamais loin, même en ces temps d’avilissement du monde. Dans un grand éditorial publié récemment par Le Soleil, le poète Hamidou Sall nous invite en ces termes : «Pour ne point ruiner notre âme, enracinés dans les nobles valeurs de notre culture, nous serons ouverts et poreux à tous les souffles de l’ailleurs pour construire notre modernité dans un monde où l’éducation, le savoir, la culture, sont les fondamentaux du socle de l’industrie humaine pour nous conduire vers des lendemains qui chantent.»

PS : comme je le fais régulièrement, je suis allé samedi dernier me recueillir sur la tombe de Senghor. Le cimetière était balayé par des vents frais matinaux et la mort, qui trônait en son sanctuaire, calmait les ardeurs du dehors. Seules les notes du xassida Mawahibu de Cheikh Ahmadou Bamba déchiraient le silence des lieux. Le Parti socialiste avait fait déposer une couronne en fleurs sur la tombe de son fondateur en signe de reconnaissance. Les fleurs étaient… en plastique. Dans la symbolique, c’est comme donner une médaille de pacotille à un champion. A défaut de se montrer à la hauteur de leurs illustres devanciers, qu’ils évitent au moins de leur rendre des hommages au rabais.
Par Hamidou ANNE
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