L’exploitation à ciel ouvert du basalte dans les carrières de Ngoundiane par des géants de l’industrie a fini de produire un effet néfaste sur l’environnement et la santé des populations. Et du fait de la pollution et des conditions de vie précaires, les dégâts sont incommensurables. La dernière tragédie est la mort de Daouda Faye, le 24 juillet 2018, dans les carrières de basalte à Diack.
Nichées dans les communes de Ngoundiane et Tassette, les carrières d’exploitation du basalte ont aujourd’hui négativement impacté la vie des populations. Lesquelles, au lieu de profiter de la richesse de leur sous-sol, souffrent plutôt des nuisances environnementales. Les communes de Ngoudiane et de Tassette comptent leurs malades par milliers. Les postes de santé ne désemplissent pas. Dans ces localités minières, presque tout le monde est malade. Les dispositions élémentaires du respect du Code minier, dans ces carrières, étant foulées du pied par les nombreux exploitants des carrières. Ces géants de l’industrie dispersent leur poussière sur les habitants de Ngoudiane et de Tassette qui comptent leurs malades mais aussi leurs morts. La dernière est la mort tragique de Daouda Faye, le 24 juillet 2018. C’est le 8ème décès accidentel en 4 ans provoqué surtout par les mauvaises conditions de travail.
A présent, les habitants de ces villages situés dans un rayon de 2 kilomètres, ceinturant les carrières de basalte, un matériau utilisé dans la construction immobilière et les infrastructures routières, restent traumatisés par la précarité de leur santé et l’environnement qui se dégrade de jour en jour. Et en est une parfaite illustration le village de Diack, situé à moins de 4 kilomètres des carrières de Gecamines, qui porte les stigmates des nuisances environnementales. Une végétation inexistante dresse un tableau sombre. Tout est sec et mort. Les arbres tristes et décharnés agonisent et lancent leur dernier souffle. Quelques arbres appelés «Cadds» résistent encore, leurs feuilles couvertes de poudre blanche distillée en de fine poussière par les entreprises qui exploitent le basalte noir dans les carrières. Comme un dattier perdu en plein désert, le village de Diack affiche ses bâtiments obsolètes. Quelques rues sont recouvertes de grains de basalte. De la poudre aux yeux des habitants qui ne profitent pas des retombées des carrières établies dans leur localité.
A proximité du poste de santé de Diack, se dresse la bâtisse du sieur Mamadou Sène. Vêtu d’un boubou bleu, il tâte dans le vide pour répondre aux «salamalecs» du visiteur du jour. Dans sa chambre, des photos de sa jeunesse sont accrochées au mur. «Vous avez vu au dessus du lit, il y a une photo où je porte une chemise noire», indique-t-il. Chemise noire décolletée, une paire d’yeux fixant l’objectif devant lequel pose Mamadou Sène. L’homme venait de boucler ses 30 ans. Cette photo est le dernier regard que Mamadou Sène a porté sur son épouse et ses enfants. Puisque depuis lors, il est devenu aveugle suite à un accident de travail dans les carrières. 62 ans, il se souvient avec amertume de de ce jour tragique. Le 11 février 1981, dans les carrières de la Sosecar, au moment où il essayait, avec 4 autres mineurs, de déclencher un engin pour dynamiter les grosses pierres de basalte, la mine a explosé sur eux. Le bilan est sans appel. Les 4 ouvriers meurent sur le coup projetés et déchiquetés par la puissance de l’explosion. Lui, le plus chanceux du groupe, il se réveille dans un lit d’hôpital au service de traumatologie de Robert Fustec de l’hôpital Le Dantec de Dakar avec un polytraumatisme sanctionné par une fracture ouverte de la jambe droite, de l’avant-bras droit et de multiples plaies. Avec des lésions oculaires graves, le mineur percevait vaguement les objets à 10 cm de son œil. «Le Marocain n’avait pas de matériels. On bricolait pour faire exploser les mines. Au moment où nous avons déclenché l’engin, il a explosé sur nous», se souvient-il, la voix frissonnante.
8 morts en 4 ans
Il y a à peine une trentaine d’années de cela que Mamadou Sène vit avec ce handicap. Un drame toujours vivant dans sa tête. Depuis, ce non voyant est guidé dans ses moindres déplacements. Et depuis 30 ans déjà, il court après une indemnisation. «Malgré ce grave accident que j’ai eu dans les carrières, je n’ai pas été indemnisé. J’ai écrit au président de la République Macky Sall pour que je puisse être indemnisé. Je garde l’espoir que le Président Macky Sall va réagir, au mieux même de m’aider lui-même pour que je puisse dérouler des activités agricoles», signale-t-il. Depuis 1981, Mamadou Diène se rend à Dakar pour son indemnisation. Et finalement, il a fini par baisser les bras avec la mort de son avocat. «Quand je me rendais à Dakar, il me fallait m’occuper de la prise en charge de mon accompagnant parce que je n’ai aucun parent à Dakar. Lassé, je m’en suis remis à Dieu», signale-t-il. Mamadou Sène dit se suffire de sa rente mensuelle à la Caisse de sécurité sociale même si cela ne couvre pas ses charges familiales. Ses filles travaillent à Dakar comme ménagères pour l’aider à supporter les charges familiales. «J’ai sollicité un puits auprès du maire Mbaye Dione pour faire de l’exploitation maraichère dans mon champ», dit-il. 30 ans déjà que se produisait ce fâcheux accident du vieux Sène, les conditions des ouvriers n’ont toujours pas évolué dans les carrières de Ngoundiane.
La liste des accidents macabres dans les carrières basalte de Diack s’alourdit d’année en année. La dernière tragédie est la mort du jeune marié, Daouda Faye, le 24 juillet 2018, fustige Assane Sène, membre de la Coordination des cadres républicains de Ngoundiane (Ccrn). Qui dénonce «la recrudescence des accidents mortels de travail dus à des mauvaises conditions de travail au niveau des carrières de Ngoundiane liées surtout à la négligence des exploitants». L’Apériste déplore surtout «la mort tragique d’un ressortissant de Mbalokh après celle d’autres jeunes travailleurs de la localité comme Saliou Tine et Lamine Faye pour ne citer que ceux là. Les populations de Diack sont dans le désarroi à cause de cet énième accident mortel du jeune Daouda Faye». Assane Sène dénonce : «Ne se limitant plus à la spoliation de nos terres cultivables, les carrières de Diack sont en train de faire subir à la population de Ngoundiane des dommages extrêmement graves à cause des accidents mortels récurrents, des mauvaises conditions de travail qui ne respectent ni le Code du travail ni le Code de l’environnement. Ces dites carrières nous ont embarqués dans un logique mercantiliste d’exploitation sauvage de nos ressources naturelles qui n’a jamais profité à la population locale.»
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