Saïd, Sidy, Seydou, Seydina, Sidna, le Cid ou même le Caïd, c’est la même racine, Sidy Lamine Niass fut un grand meneur d’hommes, un Caïd positif, chef non pas d’une bande de marginaux, mais le porte-voix des locataires de la marge, des subalternes et des déshérités de la République. Sidy Lamine Niass, l’homme au nom prédestiné.
Il a vraiment porté son titre, lui qui n’aimait pas les titres et les honneurs, mais qui cherchait tout le temps les actes héroïques dans le quotidien de la vie. Mais il savait faire la différence entre la gloire et la gloriole. Il était prétentieux sans être présomptueux, ce qui est difficile. Sidy Lamine Niass fut un homme éclectique et inclassable, chef religieux descendant d’une pure lignée de saints meneurs d’âmes, arabophone, mais surtout «arabophile» militant, francophone et soufi initié à la «Maarifa» ( la connaissance de Dieu), mais Ghazalien adepte du doute méthodique et de la rationalisation de la jurisprudence islamique, adepte de l’Ijtihad (effort d’interprétation personnelle des textes scripturaires de l’islam), défenseur incorruptible de l’islam et de la cause palestinienne, redoutable polémiste, il n’avait pas peur d’aller au front.
Sidy Lamine a toujours cherché le martyr intellectuel à la manière de son éminent grand-père Cheikh Al Hadji Abdoulaye Niass qui a préféré l’exil en Gambie à la soumission au pouvoir colonial. Sidy sait de qui tenir. Le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre, mais il faut dire pour solde de tout compte que le codex principal qui a informé toute l’œuvre de Sidy Lamine Niass c’est l’islam. Qu’il soit démocratique, citoyen, droit de l’hommiste, politique, journaliste, intellectuel ou autre, Sidy va laisser une vie énorme. Sa source principale est la foi et l’islam.
Pour marquer l’histoire, il faut s’inscrire dans le récit national par la pensée, les actes et les paroles. Sidy Lamine sans nul conteste a réussi cette mission. Il y a peu d’hommes publics qui peuvent être l’objet de la narration patriotique et nationale. Sidy Lamine Niass en est un. L’épreuve du récit national se pose à beaucoup d’hommes et de femmes, écrivains, artistes, hommes d’Etat, politiciens, la plupart ne sont pas suffisamment forts pour franchir le seuil du récit national. Les slogans et même les livres ne suffisent pas. Sidy a voulu être un héros à ses risques et périls, il l’a parfois payé très cher. Un héros signifie «un demi-dieu», c’est-à-dire un homme qui porte provisoirement certains attributs divins. Pour ce faire, il faut en payer le prix, le coût même, le prix de l’incompréhension et même de la stigmatisation. Franchir le seuil de l’impensable, c’est déjà impossible pour beaucoup d’intellectuels, mais la Tarbiya, l’éducation de l’âme enseignée par les écoles mystiques permettent de se fondre même dans «l’impensé».
Sidy Lamine a fait des choses incroyables qui parfois faisaient sourire, parfois contradictoires, mais surtout asymétriques ; c’est un dogmatique qui aime discuter, ce profil psychologique est très rare. Les dogmatiques en général n’aiment pas débattre. Sidy Lamine remettait tout en cause, revenant souvent sur ses propres positions. Cela, il l’a appris dans les «daaras», ces humanités islamiques où les débats sont houleux à un niveau supérieur.
Son profil gênait beaucoup une certaine élite sénégalaise qui s’est toujours arrogée le privilège de forger des idées, il leur tenait la dragée haute en bon caïd des idées, comme le Cid de Pierre Corneille inspiré de l’Andalousie arabique «aux âmes bien nées la valeur n’attend point le nombre des années», Sidy Lamine était prédestiné à certaines choses, quelques grandes choses qui feront parler de lui jusqu’à son enterrement qui est l’objet de discussions. Tout cela c’est du Sidy Lamine Niass, même post-mortem, il ne laisse personne indifférent et nous dit dans sa voix d’outre-tombe que toutes les vérités humaines sont provisoires, mais l’âme de Sidy est immortelle, à part cela rien ne compte. Merci Said ! Repose en paix !