Avant-hier, lors de sa première prise de parole en tant que chef d’Etat nouvellement élu, M. Bassirou Diomaye Faye n’est pas sorti des sentiers battus. Ayant sans doute fait l’état des lieux de la situation dont il va hériter dans une dizaine de jours, il a indiqué que son élection concrétise pour le Peuple sénégalais, «le choix de la rupture pour donner corps à l’immense espoir» suscité par le projet de société porté par le «Projet» présenté par le mouvement qui l’a conduit au pouvoir. Pour répondre à l’espoir qu’il a nourri, le nouveau chef de l’Etat assure vouloir «gouverner avec humilité, dans la transparence, combattre la corruption à toutes les échelles». Il veut aussi se consacrer «pleinement à la refondation de nos institutions et au renforcement des fondements de notre vivre-ensemble».

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Sans doute peu habitué à s’exprimer devant de nombreux micros et caméras des médias, le Président élu a été assez emprunté dans son discours et sa gestuelle. Cela ne l’a pas empêché d’exprimer clairement ses objectifs dont l’un des plus importants aura été «l’allègement sensible du coût de la vie». Pour ne parler que de cela. Les propos qu’il a tenus peuvent être considérés comme étant les mêmes qui ont été développés dans son projet de campagne électorale, et qui ont abouti à sa victoire le 24 mars dernier.

En attendant de revenir prochainement de manière plus élaborée sur les grandes lignes du «Projet» de M. Faye, on ne peut s’empêcher de comparer certains points avec ceux qui ont été développés par son prédécesseur, ou du moins ceux dont il nous avait vendu certaines grands points. Ainsi, quand il parle de la refondation de nos institutions, cela fait écho au slogan de l’Alliance pour la République, «la Patrie avant le parti !», dont on a vu comment Macky Sall l’a déroulé. Un point positif toutefois à l’actif de Diomaye Faye, est sa démission, selon les informations distillées hier, «de toutes les instances de Pastef». Même s’il n’en a jamais été le leader, il a tout de même été le Secrétaire général de cette structure. Sa mise à l’écart des instances de décision augure d’une bonne séparation des instances de décision du parti avec les rouages de l’Etat. Qu’il tienne parole et vide les régies financières de tous les militants de partis politiques, et même des syndicalistes politiciens. Cela serait bénéfique pour l’atmosphère de travail dans ces institutions. Et renforcerait «les fondements de notre vivre-ensemble».

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L’un des points sur lesquels le nouveau Président est le plus attendu par la majorité de la population est l’allègement du coût de la vie. Pour cet objectif, le «Projet» de prise de pouvoir avait montré les indicateurs suivants : «Nous développerons nos capacités de production et nos produits locaux pour mieux répondre à la demande intérieure en tenant compte des exigences liées à la protection de l’environnement ;

Nous développerons, professionnaliserons et moderniserons le commerce de proximité ;

Nous développerons les infrastructures routières, ferroviaires et maritimes pour faciliter le transport des matières premières et des produits agricoles, et l’accès aux zones agricoles ;

Nous renforcerons la promotion de la consommation locale et des produits de nos terroirs par :- La valorisation de notre identité culinaire en revisitant les recettes sénégalaises et en innovant ou en réinventant nos plats locaux ou africains ;

– La labellisation et la production de nos produits locaux et leur protection (ex. Aoc)»…

Et pour s’assurer qu’il n’y aura pas d’évasion fiscale et pour éviter un très grand déséquilibre de la balance commerciale, le «Projet» prévoit : «Nous développerons l’industrialisation et la transformation locale de nos produits pour une meilleure compétitivité à l’exportation par : – L’augmentation des moyens financiers alloués à la R&D pour améliorer la qualité et renforcer notre compétitivité ;

– La mise en place d’une politique d’industrialisation sectorielle et d’accompagnement des entreprises et des exploitations agricoles ;
– Le renforcement des exigences sur la qualité et la traçabilité des produits locaux, notamment le respect des normes internationales.»

On attend de voir comment ces objectifs sortiront du cadre des vœux pour embrasser la réalité. Le Sénégal a connu, depuis 2007, d’importants programmes de lutte contre l’insécurité alimentaire et pour l’autosuffisance agricole. Plus que Abdoulaye Wade, qui voulait réagir à une situation conjoncturelle de crise alimentaire mondiale, Macky Sall s’est donné, dès sa prise de pouvoir, l’objectif de réaliser l’autosuffisance en riz.

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Il a débauché l’un des meilleurs spécialistes mondiaux du secteur, le Dr Papa Abdoulaye Seck, dont il a fait son ministre de l’Agriculture. Ce dernier a voulu mettre en place un programme agricole depuis la base, en dotant l’Isra de moyens et en équipant les paysans de matériel agricole. Il a voulu conjuguer ces ambitions avec les impératifs politiques à court terme de son chef. Il est parti sur un constat d’échec, et le pays continue d’importer encore plus de riz, même si ses niveaux de production ont augmenté.

Cette spéculation n’est d’ailleurs pas la seule à subir les aléas de la politique, en dépit des moyens qui lui sont consacrés. L’horticulture vivrière ne se porte pas tellement mieux, et les ménagères qui se rendent au marché connaissent le mieux les fluctuations des prix des carottes, de l’oignon ou de la pomme de terre, pour ne pas parler des autres légumes. N’oublions pas le sucre et la tomate dont le Sénégal peut se suffire de sa production et exporter dans les pays voisins, mais qui sont plombés par des mauvaises décisions politiques encouragées par des intérêts mercantiles de certains.

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Si Diomaye Faye veut inverser la tendance qui conduit aux dépenses faramineuses qui aboutissent au gaspillage des deniers publics, il sait ce qu’il doit faire. Et il sait qu’il aura en face de lui une bonne coterie de négociants en affaires, d’importateurs et de courtiers, bien introduits dans les milieux du commerce. Sa volonté de lutter contre la corruption doit s’affirmer dès les premiers moments de sa prise de fonction, et ne pas se soumettre aux envies de renforcer politiquement et financièrement son camp politique. Macky Sall pourrait lui en dire de bonnes. Le pays en a amplement assez de la volonté de certains dirigeants de vouloir satisfaire l’envie de reddition des comptes qui a animé le Peuple, pour servir leurs propres intérêts. Au point que l’une des causes de rejet des politiques publiques de Macky Sall a été pour de nombreuses gens, son manque de volonté de lutter contre la corruption et l’impunité dont ont semblé bénéficier certains proches de son régime. La déclaration de réconciliation qu’a faite Bassirou Diomaye Faye ne devrait pas non plus être un tri qui épargnera certains pour frapper durement d’autres. Cela, sans être une épée de Damoclès que l’on mettra au-dessus de certaines têtes pour les inciter à servir les intérêts des nouveaux dirigeants.

Une lutte efficace contre la corruption est indispensable pour un pays qui veut commencer à régler la question de l’emploi des jeunes. Surtout dans un contexte où l’Etat est le premier créateur d’emploi, à la place du secteur privé.
Il est d’ailleurs, également, le premier client des entreprises privées. Il ne peut pas jouer son rôle en mettant en avant le favoritisme et le népotisme, autres formes de corruption. Sur tous ces points,

le nouveau chef aura bien de leçons à apprendre de son prédécesseur, pour ne pas l’imiter. De toute façon, BDF sait très bien qu’il ne bénéficiera d’aucun état de grâce. Les échanges qu’il aura avec son prédécesseur, même lors de la passation des pouvoirs, lui en apprendront encore plus. A lui de voir, dans le tas de promesses qu’il a faites aux nombreuses foules qui suivaient sa caravane, celles qui sont réalisables à très court terme, et qui lui donneront suffisamment de répit pour s’attaquer aux plus importantes.

Par Mohamed GUEYE – mgueye@lequotidien.sn