Le collectif de la Voix des sans-papiers de Bruxelles (Belgique) communément appelé Vsp est une organisation indépendante. Il est créé en 2014 à la suite de l’occupation d’un bâtiment à Molenbeek (Ribaucourt) par 250 personnes dites «sans-papiers». Depuis lors, le collectif a érigé l’occupation comme un cadre de lutte et de revendication pour le respect de la dignité humaine, avec comme point d’honneur la régularisation de toutes les personnes en situation irrégulière par la République fédérale belge. Depuis 5 ans, le collectif occupe un immeuble fédéral dans la commune d’Ixelles, avec plus d’une cinquantaine de femmes et d’hommes liés par un destin migratoire.

Immeuble fédéral Abritant la Vsp à Bruxelles depuis 5 ans dans la commune de Ixelles

Pape Moussa DIALLO (Envoyé spécial à Bruxelles) – En ce jour de mardi, le soleil est haut dans le ciel dégagé de Bruxelles. On croise les doigts pour que le ciel n’ouvre pas ses vannes. La météo n’avait pas annoncé de pluie. Mais à Bruxelles, il faut toujours avoir son parapluie à portée de main. «Il pleut tout le temps», dit-on. De l’avenue du Roi Forest, on se dirige vers la commune d’Ixelles sise à 30mn, où on a rendez-vous avec des membres du collectif de la Voix des sans-papiers de Bruxelles (Vsp). D’abord, on se tape 5 mn de marche pour se rendre au tram, ensuite on fait 10mn de marche au sortir du tram pour arriver à l’immeuble imposant qui abrite les membres du collectif dans la commune d’Ixelles. A l’intérieur de l’immeuble, tout est grand mais calme. Un parfum doux et froid vous accueille, avec des flèches pour orienter le visiteur. On se rend vers la chambre de Thierno Dia, un Sénégalais, membre fondateur de la Vsp.

A quelques pas de sa chambre, le parfum du thé, qui embaume l’air dans son couloir, vient nous accueillir. Après voir toqué à la porte de la chambre, on nous ouvre. Un Burkinabè et un Bissau-Guinéen sortent avant d’aller quérir Thierno qui s’était absenté juste avant notre arrivée. Dans ce logis, les affichages sont expressifs : photos, calendriers d’activités tapissent les murs. Autour de la théière, les débats ne manquent pas. Après quelques minutes d’attente, Thierno fait son apparition. Un peu élancé, il a le sourire au visage, taquin à première vue. Ce quadra, après les explications et présentations, sert un bon thé chaud en guise de bienvenue. En compagnie de son ami et camarade de lutte Alberto Isifin Tchama, originaire de la Guinée-Bissau, il nous retrace le parcours de la Vsp : «La Voix des sans-papiers a été créée depuis 2014 pour demander leur régularisation.»

C’était pour aider des personnes qui avaient fait plus de 12 ans, voire 20 ans en Belgique sans avoir de papiers. Dia et ses camarades ont mis en place un collectif pour être un contrepoids, une force de proposition et de revendication, pour pousser le gouvernement fédéral à régulariser les personnes qui n’ont pas de papiers. «Je suis arrivé en 2011 à Bruxelles avec un visa. J’avais déjà trouvé des personnes qui avaient fait 15 ans sans avoir de papiers. Il est difficile d’avoir un travail dans ces conditions et de se mouvoir», explique Thierno Dia. Cette situation a poussé le collectif à manifester à plusieurs reprises dans les rues de Bruxelles pour exiger au gouvernement belge la délivrance de papiers.

Dans son approche et ses démarches, le collectif est bien structuré. Alberto Isifin Tchama parle d’une organisation avec des structures internes, extérieures qui font le lien avec les syndicats, les partis politiques pour se faire entendre. «Au fil des ans, le collectif s’est élargi et participe à beaucoup d’activés. Avant de compter sur les autres, on compte d’abord sur nous-mêmes et la mobilisation de nos membres pour faire respecter nos droits», assure M. Tchama. Il poursuit : «Un être humain ne peut pas rester comme ça pendant plusieurs années. C’est une question de dignité humaine.» Un engagement humain. Le collectif compte plusieurs nationalités. «Le collectif de la Voix des sans-papiers de Bruxelles compte plus de 15 nationalités, parmi lesquelles des Africains subsahariens et d’autres originaires du Moyen-Orient», informe Alberto Isifin Tchama.

Malgré tout, il a des difficultés à collaborer directement avec le gouvernement fédéral, mais collabore avec les communes et les partis politiques. «On sait que les partis politiques sont liés et ne peuvent pas souvent honorer leurs engagements, mais au moins ils prennent en compte nos revendications dans certains cas. Mieux, le collectif aide les partis politiques à mieux comprendre la migration afin d’avoir les arguments pour en parler en Belgique», précise Alberto.

Par ailleurs, la population belge a une méconnaissance des personnes dites migrantes et de leur trajectoire. Le collectif travaille dans l’information et la communication pour une meilleure compréhension de la population belge sur la migration, le parcours migratoire des personnes, la vie et l’histoire de ces dernières. «Ce sont les politiques qui les manipule en disant des choses qui sont complétement erronées sur la migration», tempête Thierno Dia. Il y a des propos «racistes et xénophobes», et la persistance des clichés du genre : «Ce sont des bandits. Ce sont des gens qui sont venus pour prendre votre place, votre emploi, etc. Alors qu’il n’en est rien.»

Aujourd’hui, il y a la montée des extrêmes, du racisme, du repli sur soi, de la peur face à l’inconnu, de la xénophobie, entre autres. Pour inverser la tendance, le collectif de la Voix des sans-papiers de Bruxelles «sensibilise pour expliquer aux populations des pays d’accueil que ce que les politiques disent n’est pas la vérité. En Belgique, la population commence à comprendre, même s’il y a encore des efforts à faire», dit-il.

Prenant le train en marche, Mamadou Taslim Diallo, un autre membre engagé de la Vsp, originaire de la République de Guinée, n’y est pas allé par quatre chemins pour fustiger la nature des relations avec les politiques à Bruxelles. «Les politiques n’ont pas la volonté que nous demandons. Il y a eu plusieurs gouvernements qui se sont succédé à Bruxelles, mais ils n’ont jamais parlé de la situation des sans-papiers», tempête M. Taslim.

Pourtant, le collectif met à disposition des politiciens belges, un cahier de recommandations pour leur permettre d’avoir de la matière. Tamsir précise : «On a un bureau d’études des personnes sans papiers et accompagné par le Conseil de formation de société (Cfs) qui fait des études. Avec ce bureau, on a fait des cahiers de recommandations pour les élections législatives et mêmes européennes. Pour dire qu’on fait tout à notre niveau pour permettre à ces leaders de disposer de la documentation et parler de la question migratoire.» A titre d’exemple, M. Diallo cite le Ptb qui aurait pris 80% de leur cahier de recommandations pour l’inclure dans son programme de campagne cette année. Très en verve contre le système en place, il embraie : «Lorsqu’on revendique la dignité humaine, c’est aussi valable pour l’autorité belge. Parce que c’est indigne la manière dont on nous exploite, traite et juge étant sans-papiers.»

par la Voix des sans-papiers de Bruxelles. Il consiste à retracer le parcours migratoire de personnes «sans-papiers». Ce travail est accompagné de textes explicatifs qui retracent l’itinéraire de ces personnes du départ à l’arrivée, en passant par toutes les péripéties par lesquelles elles ont été confrontées sur leur route migratoire. «Au titre du projet «Baraka», on a déjà sorti une bande dessinée (Les Turbulents). Il est prévu la publication d’une autre en 2025. Ce, dans le but de montrer une autre image de la Vsp et de déconstruire toutes les fausses idées reçues», explique Thierno Dia.

Nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile
Le Parlement européen a adopté, en avril dernier, dix textes législatifs visant à réformer la politique européenne en matière de migration et d’asile, comme convenu avec les Etats membres. Ce nouveau pacte, qui a fait couler beaucoup d’encre en Europe et dans le reste du monde, n’a pas échappé à l’analyse du collectif de la Voix des sans-papiers de Bruxelles. Alberto lance : «Il y a chaque jour des lois qui sont fabriquées. On a conscience aussi que ces lois, notamment ce Pacte européen, ne nous sont pas favorables. Le constat est là. Ils ont déplacé des Forces de sécurité partout avec Frontex qui a le pouvoir de contrôler partout. Ce qui rend plus difficile la libre circulation d’une part, et d’autre part, il y a qu’on n’arrive pas à comprendre comment on peut toujours continuer à nous minimiser. Alors que ces mêmes personnes qui votent ces lois sont celles qui viennent nous appauvrir chez nous.»

En plus du nouveau Pacte européen sur la migration, vient s’ajouter la montée fulgurante de l’Extrême-droite au sein des gouvernements européens. Ce qui ne facilite pas la gouvernance migratoire dans le monde et menace la stabilité de l’équilibre de tout un écosystème. «Les leaders de l’Extrême-droite sont une véritable menace pour l’équilibre du monde. C’est elle la véritable menace, et non les populations dites migrantes», note Thierno Dia. Il poursuit : «C’est une montée qui n’est pas favorable à la migration au regard du discours de haine qu’ils répandent partout où ils passent. On a vécu de plein fouet les agissements d’un militant de l’Extrême-droite qui a voulu nous priver de notre droit de marcher en nous sommant de quitter la place. Il nous a traités d’étrangers et nous a clairement dit qu’on n’était pas les bienvenus. Il a failli se faire lyncher n’eut été la présence de la police.»

Pour faire face à ces agissements et comportements «xénophobes», en plus des projets, le collectif a pris sur lui l’initiative d’être l’artisan de son propre narratif, pour raconter sa propre histoire afin de mieux la faire comprendre à la population belge. Ce, pour lui éviter de tomber dans les manipulations politiciennes qui augmentent le discours de haine et le rejet d’autrui sans avoir des éléments solides d’appréciation. «Tous nos projets sont nés de l’idée d’être notre propre porte-parole. On touche même les enfants pour expliquer des fois des situations qui peuvent survenir dans la vie d’une personne pour qu’elle décide de voyager. Leur faire savoir que des fois, ce sont des circonstances exceptionnelles qui font qu’une personne se déplace pour se rendre en Europe», s’est défendu Mamadou Taslim Diallo. Il révèle qu’avec le projet «Exil et création», «il y a plein d’artistes exilés qui sont mis à contribution. On a fait beaucoup de sensibilisation pour faire comprendre aux populations que nous sommes des humains. Que nous vivons avec des traumatismes des fois, etc.».

Revenant sur le statut de la Vsp, Mamadou Taslim Diallo ajoute : «C’est une organisation autogérée par des personnes sans papiers, placée sous tutelle d’une Association sans but lucratif (Asbl) dénommée les Amis des voix des sans-papiers créée depuis 2016-2017.» Cette reconnaissance permet au collectif de pouvoir signer des conventions de partenariat, d’organiser des occupations ou encore demander des autorisations de manifestation. Pour la structure, le combat est le respect de la dignité humaine par une revalorisation des personnes sans papiers et l’inscription au débat en lien avec la migration au sein du Parlement belge. Le collectif avait initié une pétition dite : «We ere belgium too», qui a évolué vers «In my name». Il a pu collecter, voire dépasser le nombre de voix requis par la loi pour inscrire un sujet au sein du Parlement. Le collectif a été invité à faire un speech au Parlement. Mais, depuis lors, se désole Mamadou Taslim Diallo, «rien n’a bougé».