Le Quotidien a pris comme prétexte la Journée internationale des détenus, célébrée aujourd’hui, pour donner la parole aux proches de prévenus qui, à la lumière des échanges, purgent une peine loin des Maisons d’arrêt et de correction. La solitude, l’abandon et la précarité rongent ces hommes et femmes, qui quêtent la main divine pour sauver leurs enfants en rupture de ban.

Aujourd’hui, c’est la Journée internationale des détenus, instaurée en signe de solidarité aux bagnards. Loin des cellules crasseuses des différents centres pénitenciers du pays, les familles des personnes en détention sont enfermées dans une situation horrible. Il est 15 heures à la Maison d’arrêt et de correction de Rebeuss. Sous un soleil accablant de ce mois d’août, les proches des détenus font la queue à l’entrée de la porte de derrière pour envoyer à leurs proches leur déjeuner du jour. Ils sont tous munis d’une assiette solidement enroulée dans un pagne au bout duquel est attaché un bout de carton sur lequel on peut lire le prénom, nom et le numéro de chambre du destinataire. Le fil est plutôt constitué de femmes et de jeunes filles. Les garçons sont ici minoritaires. Mais, il s’agit tous de proches de détenus, qui vivent difficilement au quotidien l’incarcération de leurs parents dans un pays où les détentions préventives se prolongent sans délai. «Je purge une peine parallèlement à celle de mon fils depuis maintenant plus d’un an», confie avec voix étreinte par le trémolo N. Sèye, une vaillante sexagénaire. Sa peine, elle la purge non pas à l’intérieur d’une maison d’arrêt et de correction mais aux yeux de la société en subissant notamment le regard inquisiteur du voisinage immédiat. Arborant avec beaucoup de sérieux le sujet, elle demande d’abord si Le Quotidien ne s’intéressait pas à ceux qui sont sur le point d’être condamnés à cause de dettes colossales. Car, dit cette maman d’un prévenu de 28 ans, inculpé pour vol dans le domicile d’un douanier à la Médina, est inconsolable : «Je suis à bout de souffle et je risque l’emprisonnement sous peu à cause des dettes colossales qui pèsent sur ma conscience et que j’ai contractées suite aux incarcérations de mon unique fils qui n’est pas encore jugé pour le vol qu’il a commis vers 3 heures du matin chez notre voisin et à l’occasion duquel, il a blessé le chef de famille», reconnait-elle, stoï­que.
Mine triste, elle enchaine un discours mélancolique, qui trahit sa vie de mère de famille démunie et abandonnée mais obligée de prendre soin de sa progéniture. «Je suis vraiment fatiguée. Je souffre, Dieu sait que je vais mal. Mon fils était incarcéré dans un premier temps pendant 3 ans pour vol au Camp pénal. Il n’a pas la main tranquille et je le reconnais. Ce qui me cause beaucoup de problèmes. Pour l’assister, je me suis fortement endettée. J’ai commencé par prendre l’argent de la tontine dont je suis la gérante. J’ai pris jusqu’à trois reprises sur cet argent soit la part de trois cotisants, plus les autres dettes que j’ai contractées, j’ai au total une dette d’environ 5 millions. Je ne sais plus comment faire pour rembourser tout cet argent puisque je suis dans un dénuement total, sans aucun soutien. Tout le monde nous a abandonnés. Je faisais du commerce mais là c’est plus possible car je suis malade. J’ai vendu tous mes biens même mes habits, on m’a offert ce boubou et ce foulard là que je porte. Je n’ai plus rien, je cuisine un jour sur deux. Parfois je peux rester deux jours sans repas, faute d’argent. Et quand je cuisine, c’est du gnankatan (riz blanc) plus le poisson séché et des feuilles d’oseille bouillies seulement», raconte, avec beaucoup d’amertume, la mère de K. Diallo. Pour attester ses propos, elle défait le foulard, soulève le couvercle du récipient. Constat : le bol contient un peu de riz blanc avec comme accompagnement un poisson sec et du nététou. «Je veux voyager pour aller demander de l’aide mais je n’ose pas car dès que je sors de la maison, mes ennemis dont mes voisins alertent mon entourage et leurs disent que je m’apprête à m’enfuir sans payer mes dettes. Je vis tellement mal que je passe mon temps à demander pardon à tous. Je crains de mourir sans éponger mes dettes», désespère la vieille dame, qui demande de l’aide aux bonnes volontés.

«Je purge une peine de prison au même titre que mon fils»
Même son de cloche chez une autre femme de teint noir assise sur une murette sous l’ombre d’un acacia à quelques pas de Rebeuss. Elle a devant ses pieds un bol bien noué dans un foulard de couleur marron sur lequel est solidement attaché un bout de carton avec les références du destinataire du repas. Mine triste et très calme, elle accepte de partager son chagrin mais sous couvert de l’anonymat. «Je suis là pour apporter le repas à mon fils détenu dans cette prison depuis deux mois. Il n’est pas encore jugé et je n’ai aucune idée de quand il le sera car ne je n’ai pas les moyens de lui prendre un avocat. Je viens de Yeumbeul tous les jours, mais c’est très difficile pour moi. C’est certes difficile pour lui mais je souffre autant que lui, même si je ne suis pas emprisonnée», confie cette maman dans un wolof approximatif. Timide au début, elle enchaîne maintenant, se lamente pour se libérer de sa souffrance. «Je tenais un petit commerce et j’arrivais tant bien que mal à subvenir aux besoins de ma famille, mais depuis qu’il est incarcéré, il m’est impossible de le faire. Quand on a un détenu, on est aussi condamné car on ne peut manger quand on ignore s’il mange, on ne peut dormir quand on pense qu’il n’a peut-être pas où se coucher et on ne travaille plus à cause des démarches à effectuer et les allers et retours pour le voir et lui apporter son repas. C’est vraiment dur pour une maman, vraiment dur», insiste-t-elle, le regard perdu comme si elle se parlait toute seule.

La peine de la société
Sur le chemin de retour de Rebeuss, mère Nafi, soixantaine révolue, trimballe avec sa main droite, un sac en plastique transparent, qui laisse voir une assiette vide. Dans un ensemble grand boubou de tissu multicolore léger communément appelé voile, la vieille dame, assez corpulente, traine le pas. Elle est toute en sueur. «Cela fait deux ans que je brave soleil, froid et vent pour apporter le petit déjeuner et le repas à mon petit-fils inculpé alors qu’il essayait d’intervenir pour séparer deux bagarreurs. C’est plus que difficile d’autant plus qu’il n’est pas encore jugé. Personne ne peut imaginer encore moins jauger ma peine. Malgré mon âge et ma maladie, je suis la seule à pouvoir l’assister car ses deux parents sont morts et ses autres grands parents n’habitent pas Dakar», confesse-t-elle. Une seule chose l’encourage dans sa navette quotidienne : l’espoir de voir son petit-fils libre un jour, peut-être bientôt. «Au moins, il est là vivant et va sortir dès qu’il sera jugé car il est juste mêlé à cette histoire par pure bonne foi. Il aurait pu y mourir et là je l’aurais perdu à jamais, c’est pour cela que je rends grâce à Dieu même si c’est très dur.»
11 heures à la Chambre criminelle du Tribunal de grande instance de Dakar. Le brouhaha contraste avec le silence à l’intérieur de la salle 4 du Palais de justice de Dakar. Ici, plusieurs destins se jouent et les familles des détenus tendent les oreilles pour entendre une sentence clémente du juge. Mais, ce n’est pas gagné d’avance.
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