Situation sociale et économique : ÉTAT EN TENSIONS

La crise à l’Ucad est un mélange explosif de revendications sociales légitimes (bourses), de failles structurelles (massification) et d’une réponse sécuritaire qui attise la confrontation. Malgré des tentatives de médiation et une apparente «suspension» du mouvement par le collectif, le chaos sur le campus demeure, et un apaisement réel ne pourra être atteint sans une solution pérenne au problème du financement et de la gestion des bourses, et une révision profonde du système universitaire sénégalais, comme l’appel aux Etats généraux de l’enseignement supérieur.
L’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) est de nouveau le théâtre d’une crise profonde, caractérisée par des affrontements violents et un blocage des activités pédagogiques en fin d’année 2025. Cette situation, récurrente, met en lumière des failles structurelles et une tension croissante entre la communauté estudiantine et les autorités. La crise actuelle a été principalement déclenchée par des revendications classiques, mais exacerbées, de la part des étudiants : le retard de paiement des bourses, qui est le point d’ignition majeur. Les étudiants dénoncent des retards prolongés et systématiques dans le versement de leurs allocations, rendant précaires leurs conditions de vie et d’études. Ce problème financier est l’étincelle qui allume la mobilisation. Les tensions antérieures (notamment celles de 2023 liées au contexte politique) et les affrontements récents avec les Forces de l’ordre ont soulevé la question de la sécurité sur le campus et du respect des franchises universitaires. La crise a connu une escalade rapide, transformant le campus et ses abords en zones de fortes tensions. Les manifestations sur la Corniche-ouest et à l’intérieur du campus ont dégénéré en violents affrontements avec les Forces de défense et de sécurité (Fds). Le déploiement de chars antiémeutes et d’éléments du Gmi (Groupement mobile d’intervention) est un signal fort de la montée en puissance de la confrontation, avec des blessés rapportés des deux côtés.
L’entrée des Fds à l’intérieur du campus est considérée par beaucoup comme une violation des franchises universitaires, un seuil symbolique rarement franchi qui exacerbe la colère étudiante et la critique de la part de l’opinion publique. Face au chaos, le Conseil académique de l’Ucad a autorisé le Recteur à faire appel aux Forces de l’’ordre pour «sécuriser le campus», officialisant l’intervention policière dans l’enceinte universitaire. Après une nouvelle journée de manifestations violentes, il est prévu un temps d’accalmie aujourd’hui et demain. Le Collectif des amicales de l’Ucad a décidé de suspendre pour 48h son mouvement de contestation. Il a pris cette décision hier, après une rencontre avec le Khalife général de Bambylor et Serigne Moustapha Absa Tilala. «Après de longues discussions sur la situation critique que traverse l’université, sur les raisons profondes des mouvements, ainsi que sur les nombreux blessés enregistrés ces derniers jours, les deux autorités ont exprimé leur pleine compréhension du combat mené par les étudiants», écrit le Collectif des amicales de l’Ucad.
Lors des discussions, les deux figures religieuses ont demandé aux étudiants d’accepter une «suspension de 48h» pour leur permettre «d’intervenir personnellement dans la résolution de cette crise et d’éviter de nombreux nouveaux blessés». Pour aller plus loin, les deux guides religieux ont «affirmé être prêts, si nécessaire, à prendre directement contact avec le président de la République». Insistant sur leurs personnalités «écoutées, influentes, et reconnues pour leur rôle», ils ont précisé que «si l’Etat ne prend pas ses responsabilités dans le délai de 48h», ils «s’impliqueront pleinement dans le processus pour aider à trouver une issue, ce qui donnerait une autre dimension à la situation».
Suspension de 48h du mouvement
Par ailleurs, le Collectif des amicales des étudiants a décidé de suspendre le «mot d’ordre de 48h avec évidemment des conditions : «L’annulation de la note autorisant les Forces de l’ordre à entrer dans le campus et la cessation de toutes les activités pédagogiques par respect aux autorités religieuses qui se sont déplacées et ont pris l’engagement de s’investir dans cette médiation.» Le collectif réaffirme enfin «son engagement total, sa détermination et son sens de la responsabilité pour défendre jusqu’au bout les intérêts légitimes des étudiants».
En Conseil des ministres, la question a été totalement occultée par le chef de l’Etat et le Premier ministre. Alors que le ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation s’est contenté d’une phrase simple pour évoquer la crise : il a «fait sa communication sur l’amélioration du système de paiement des allocations d’études».
bsakho@lequotidien.sn

