Le Premier ministre Ousmane Sonko, incidemment président du parti Pastef au pouvoir, a décidé, alors que personne ne le lui demandait, de porter la réplique au gouvernement français, qui a décidé d’accorder le statut de «Morts pour la France» à 6 des tirailleurs sénégalais tués à Thiaroye en décembre 1944. Il faut rappeler que la cause de leur décès a été de réclamer leur solde avant de retourner dans leurs villages. Le gouvernement français de l’époque a décidé de leur payer la dette de sang avec des balles. Jusqu’aujourd’hui, même leurs assassins ne savent ou ne veulent pas dire combien de personnes ont été tuées ce jour-là, dans ce coin de la banlieue de Dakar.

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Les Sénégalais n’étaient pas les seuls à être tombés sous les balles de l’ingratitude ce jour-là à Thiaroye. En plus de ne les avoir pas rémunérés comme de bons et braves soldats ayant sacrifié leur force et leur jeunesse loin de leur Patrie, au même titre que leurs camarades de combat français, la France a voulu aller jusqu’à effacer le souvenir de leur bravoure. Combien en France et dans les pays africains se rappellent vraiment la part qu’ont prise ces tirailleurs dans la libération de la France ? Combien de temps a-t-il fallu à plusieurs parmi eux, après quelles luttes et quels sacrifices, pour que le peu de survivants qui restaient, puissent avoir droit, dans le peu de temps qu’il leur reste à vivre, à une pension d’anciens combattants équivalente à celle de leurs camarades de combat ?
Il faut le dire, pendant des décennies, ces braves soldats ont vécu d’aumône. Et si cela a continué, c’est que le système néocolonial mis en place dans nos pays a contribué à le perpétuer. Pour ne parler que du Sénégal, combien savent la modicité de la pension versée par ce pays aux anciens combattants, tirailleurs des guerres coloniales ? Même s’ils avaient payé le prix du sang pour les colonialistes, combien de gouvernements leur ont été reconnaissants de leurs sacrifices ?

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Il a fallu attendre presque la fin de son pouvoir, pour voir Abdoulaye Wade, un ancien combattant lui-même, rappeler aux Sénégalais la part de courage de leurs compatriotes dans les guerres coloniales, en Europe et dans les colonies, Madagascar, Congo, Indochine, ou Algérie. Cette part n’a pas toujours été glorieuse, il faut avoir le courage de l’avouer. Mais c’est ce silence et ce mépris de la France qui ont longtemps été blessants pour les Africains. Toutes les manifestations de mépris et de marginalisation dont ils ont été l’objet de la part des Français, que ce soit dans les représentations diplomatiques ou sur le sol français, ont poussé les descendants des tirailleurs à se demander si le sacrifice de leurs ancêtres était utile, quoi qu’en ait pu penser et chanter Léopold Sédar Senghor.

La proclamation de l’Etat français de ne reconnaître «que 6» tirailleurs sur les assassinés du camp de Thiaroye a donné l’occasion de faire déverser encore leur bile. Le Premier ministre Ousmane Sonko a enlevé ses gants pour cogner : «Nous demandons au gouvernement français de revoir ses méthodes, car les temps ont changé !
D’aucuns ont salué comme une grande avancée la décision des autorités françaises d’accorder leur «reconnaissance» à six des soldats africains froidement abattus en 1944 au camp de Thiaroye par l’Armée française. Une reconnaissance qui consiste à leur attribuer, à titre posthume, l’étiquette «mort pour la France». Pourquoi cette subite «prise de conscience» alors que le Sénégal s’apprête à donner un nouveau sens à ce douloureux souvenir, avec la célébration du 80e anniversaire cette année ?
Je tiens à rappeler à la France qu’elle ne pourra plus ni faire ni conter seule ce bout d’histoire tragique. Ce n’est pas à elle de fixer unilatéralement le nombre d’Africains trahis et assassinés après avoir contribué à la sauver, ni le type et la portée de la reconnaissance et des réparations qu’ils méritent.
Thiaroye 44, comme tout le reste, sera remémoré autrement désormais.»

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On aurait pu applaudir cette déclaration de M. Sonko si elle avait été faite selon l’orthodoxie des règles. D’abord, en tant que leader de parti politique, quelle prérogative a-t-il de parler au nom d’un Etat souverain, et d’annoncer que le Sénégal s’apprête à donner un «nouveau sens à la commémoration de ce douloureux souvenir» ? Les Sénégalais n’ont pas oublié que le maire de Ziguinchor, M. Ousmane Sonko, avait voulu denier aux tirailleurs sénégalais leur souvenir, en voulant baptiser une rue de sa ville en mémoire des «tirailleurs africains», qui n’ont pas existé dans la mémoire historique.

Cette sortie du président de Pastef, au moment-même où le président de la République Diomaye Faye se trouve en France, ressemblerait fort à un épisode sénégalais de la politique locale. Ayant le sentiment d’étouffer à l’ombre de son ancien lieutenant devenu le no1 dans le pays, Ousmane Sonko donne l’impression de vouloir tout faire pour montrer qu’il a encore une voix qui compte dans ce pays. Et sur le plan légal, il est, comme tous les Sénégalais, tributaire de la signature en bas du décret de celui qui a fait de lui un Premier ministre, il veut faire croire à sa population de «talibés» qu’il n’est pas uniquement bon à inaugurer les chrysanthèmes. D’où le besoin d’inviter Mélenchon à l’Ucad, de mobiliser ses militants au Grand Théâtre, de se présenter après le chef de l’Etat à une cérémonie de l’Armée. A propos de ce point, quand est-ce que le Général Kandé va-t-il rejoindre son poste à New Delhi ?

Par Mohamed GUEYE – mgueye@lequotidien.sn