Dans son entreprise de destruction du «système», le leader du Parti «Pastef», Ousmane Sonko, a une stratégie très simple. Détricoter tout ce qui représente un pouvoir organisé dans le pays. Le Pouvoir exécutif, le Pouvoir législatif, la Justice, l’Armée, la Police, la Gendarmerie… Tout y passe. Avec ses partisans, ils veulent nous habituer à la vulgarité, à l’outrance et à la démesure. L’objectif de leur stratégie est de banaliser la transgression. Dire tout haut l’indicible. Une volonté de transmutation des valeurs (transvalium) comme disait Friedrich Nietzsche. Sa dernière sortie s’inscrit en droite ligne dans sa vision rétrograde. Les attaques répétées du leader de «Pastef» à l’endroit des journalistes sont aussi à mettre dans cette stratégie globale.
Avec Ousmane Sonko, c’est la transgression permanente. Chacune de ses sorties est un coup de burin qu’il donne aux fondements de notre commun vouloir de vivre ensemble. Depuis qu’il est revenu des alcôves, Sonko n’a rien perdu de sa traditionnelle gouaille tonitruante. Il ne rate aucune occasion pour rudoyer les journalistes qui ne semblent pas être acquis à sa cause, à défaut de les accuser sans preuve. Sonko demande aux journalistes de renoncer à ce qui fait l’essence de leur métier : la liberté d’expression. Il appelle de ses vœux à l’avènement d’un journalisme couché à plat ventre, acceptant perinde ac cadaver, tous ses caprices. Si ses foucades contre la presse se limitaient à de simples paroles, il n’y aurait aucune crainte. Car la presse est habituée à être critiquée, voire accusée. Mais, l’objecteur de conscience et ses obligés veulent aller plus loin. Casser du journaliste.
Pendant les émeutes de mars 2021, la presse a été une cible de choix de ces nouveaux maîtres de la pensée unique. Des voitures du groupe Futurs médias sont incendiées, leurs locaux vandalisés. La Rts et le journal «Le Soleil» sont attaqués à coups de cocktails molotov. Voilà le sinistre bilan d’une folle journée d’actions d’une opposition rétive à toute forme de critique. Jamais dans l’histoire de ce pays, les journalistes n’ont été aussi menacés. Coincés entre les pressions d’un pouvoir, les intérêts des propriétaires et les menaces de destruction de l’opposition, les journalistes marchent, sur une corde, les yeux bandés, le long d’un gouffre. Ils peuvent basculer à tout moment, dans l’abîme.
Durant la campagne pré-électorale des élections législatives du 31 janvier 2022, des informations font état de certains organes de presse qui ont été mis sous protection policière. Heureusement que l’obscure «Force spéciale», bras armé d’une certaine opposition, a été démantelée. N’eût été la perspicacité des Forces de défense et de sécurité, les attaques pouvaient être meurtrières. Lobotomisés par la propagande, ses «possédés» se sentent investis d’une mission de purification de l’espace public de tous les intervenants jugés impertinents à leur goût. De sorte que contredire Sonko est devenu un acte de courage. Depuis qu’il a surgi dans l’espace public, le débat est enchâssé dans un piège binaire.
Quand on en arrive à bunkériser un journal tout simplement parce que l’opposition se prépare à organiser une manifestation, cela donne une idée de la menace qui guette la démocratie sénégalaise.
Devant les menaces et actes de violence de Ousmane Sonko et de ses féaux, des voix s’élèvent pour appeler les journalistes à plus de responsabilité et d’équilibre. Quelle hérésie ! Les intellectuels qui soutiennent cette manière de faire sont en train de tendre à leur futur bourreau, le couteau avec lequel ils seront égorgés. Ce n’est qu’une question de temps. Une fois la presse mise sous coupe réglée, les intellectuels dissidents seront la prochaine cible de cet escadron de fossoyeurs de la liberté. Tous les régimes fascistes ont procédé de la sorte.
Il est temps de résister à cette menace dont l’objectif ne vise rien d’autre qu’à imposer l’autocensure aux journalistes, voire la capitulation. Le Sénégal est une démocratie ouverte qui admet le commerce des idées. Chacun doit pouvoir exprimer ses opinions sans risque de représailles. Il n’appartient à aucun homme politique, de quelque bord où il se situe, de dicter à la presse la manière de faire son travail. Ces organes de pression sont héritiers d’une tradition d’un journalisme d’opinion, donc partisan.
Au commencement, il y avait : Xaré bi (Aj/Pads), Daan Dole (Pit), La Condition humaine (Bda), Siggi (Rnd), Sopi (Pds), etc. Comble du ridicule, ceux qui critiquent la presse sont les gardiens de cette tradition. Ils détiennent leurs propres médias, des machines à propagande qui tournent à plein régime. C’est triste de constater que ce pays, naguère terrain fertile de débats d’idées, s’éclaire désormais à la bougie du conformisme consensuel, notamment des réseaux sociaux.
Dans une démocratie, de telles dérives sont inacceptables. Chaque journal a la liberté de définir une ligne éditoriale à sa convenance. Les lecteurs sont libres de suivre les organes de presse de leur choix tant la palette est large. Tant les titres, les radios et les chaînes de télé foisonnent.
Si des gens sont capables d’utiliser la violence pour régler leur contradiction avec des journaux, de quelles armes vont-ils user, une fois arrivés au pouvoir ? En tout cas, c’est la promesse d’un voyage au bout de la nuit.
Baye Makébé SARR
Journaliste