Sorano – Représentation de «L’Aventure ambiguë» : Un chef-d’œuvre intemporel sur les planches

C’est un moment d’histoire que le Théâtre national Daniel Sorano a abrité samedi dernier. Après Mboumba (Podor) en 2023, l’adaptation théâtrale de l’Aventure ambiguë, le roman de Cheikh Hamidou Kane voit le jour à Dakar sur les planches de Sorano, dans le cadre de la célébration de ses 60 ans d’existence. Par Ousmane SOW –
L’Aventure ambiguë, ce roman semi-autobiographique de Cheikh Hamidou Kane publié en 1961, a fait l’objet d’une représentation théâtrale à Sorano jeudi dernier, devant la presse. L’œuvre a prouvé qu’elle n’avait rien perdu de sa puissance. Toujours vivante, brûlante et essentielle. Samedi dernier, une représentation en grande première a eu lieu dans la mythique salle du Théâtre national Daniel Sorano, dans le cadre de la célébration des 60 ans de Sorano. Faisant partie des grands classiques de la littérature sénégalaise et africaine, L’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane retrace l’histoire de Samba Diallo, né dans une famille du pays des Diallobé, dans le Nord du Sénégal. A travers cette œuvre, Cheikh Hamidou Kane a donné une voix à l’âme africaine confrontée à la puissance du monde occidental. L’Aventure ambiguë, un roman où chaque phrase est une question existentielle, chaque dialogue un dilemme, chaque mot une douleur, a reçu le Grand Prix littéraire d’Afrique noire en 1962. Des décennies plus tard, l’œuvre demeure d’actualité pour beaucoup de par sa portée universelle et continue de bouleverser les consciences. Xavier Simonin, comédien et metteur en scène français, a su capter cette intensité pour la transposer sur les planches. «L’Aventure ambiguë, c’est un roman à fort contenu philosophique et spirituel. Nous avons conservé les dialogues, car c’est comme si c’était du théâtre à l’état brut. Nous avons simplement pris la main du spectateur pour le guider dans cette réflexion», confie-t-il après la présentation. Président de l’association Globe au Sénégal, Xavier Simonin de souligner que dans cette pièce, les propos de Cheikh Hamidou Kane sont toujours d’actualité. «Que chacun, quelle que soit sa culture, s’y retrouve. Parce que c’est ça le propre des grands romans, ils sont universels. Ils traversent les ans parce que quiconque les écoute ou les lit, les reçoit pour lui-même. Et c’est ce qui se passe dans cette adaptation de Cheikh Hamidou Kane. Il a écrit ce roman dans les années 60. On est en 2025, je pense que les questions sont toujours là», fait-il savoir. Dans une mise en scène épurée et immersive, le public a suivi Samba Diallo dans son voyage, de son Fouta natal aux bancs de l’école coloniale, puis vers l’exil en Occident.
Un spectacle porté par l’âme du Fouta
La force de cette adaptation réside aussi dans son ancrage territorial. Pour se nourrir de l’essence du roman et de la culture pulaar, les comédiens ont passé du temps à Mboumba, dans le Fouta, lieu d’origine de Samba Diallo et de Cheikh Hamidou Kane. Deux comédiens de cette région, Souhibou Diop, originaire de Soubalo Mboumba, qui faisait partie de la distribution de la pièce jouée à Mboumba en 2023, et Mohammed Sylla, acteur culturel originaire de Dioudé Diabé, ont rejoint la troupe dramatique de Sorano, apportant avec eux le souffle du terroir. Pour Ousmane Barro Dione, Directeur général du Théâtre national Daniel Sorano, L’Aventure ambiguë «nous» a tous bercés, et c’est une évidence. «Sorano fête ses 60 ans et il était primordial d’inscrire cette adaptation dans notre programmation. Beaucoup ont lu ce roman, mais peu ont eu la chance de le voir mis en scène. Nous voulons l’offrir aux Sénégalais, aux Africains, et à tout ce beau monde-là», souligne-t-il. Sans doute, faut-il le rappeler, l’adaptation théâtrale de L’Aventure ambiguë est le fruit d’une rencontre entre plusieurs générations d’artistes. Cheikhou Lô, comédien, directeur de la production de Sorano et pratiquant de la scène, salue ce brassage. «Trois générations de comédiens se retrouvent sur scène : la Troupe nationale dramatique, des acteurs du Fouta et les jeunes talents de l’Ecole nationale des arts. C’est une véritable transmission.» Mais au-delà de la performance scénique, dit-il, l’objectif est aussi de toucher les nouvelles générations, celles qui, happées par l’ère numérique, délaissent parfois la lecture. «Les élèves lisent de moins en moins. Un chef-d’œuvre comme L’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane mérite d’être découvert par tous les élèves du Sénégal. Alors, nous l’avons monté pour susciter cette envie de voir cette œuvre qui pose vraiment une problématique identitaire», insiste Cheikhou Lô.
«Cette œuvre est toujours d’actualité»
Une initiative saluée par Fadel Dia, professeur et membre de la famille de Cheikh Hamidou Kane. «Cette pièce, on l’attendait avec curiosité. Il y a déjà une version cinéma. La version théâtrale arrive. Et qui sait, demain, peut-être un opéra ? On est très impatients. On pense que ce sera certainement une œuvre à la mesure du livre lui-même», explique-t-il. De son côté, le Pr Abdoulaye Elimane Kane, philosophe et ancien ministre de la Culture, a aussi partagé son enthousiasme quant à la dimension de l’œuvre. «L’Aventure ambiguë parle effectivement du tiraillement que tous les Africains ont connu. Est-ce qu’un retour aux sources est possible ? Est-ce qu’il doit être exclusif ? Est-ce qu’il ne faut pas l’associer à autre chose ? Ce sont des questions permanentes soulevées dans l’aventure ambiguë, ainsi que d’autres, effectivement à chaque étape, avec chaque œuvre. On est curieux de savoir justement sous quelle forme ça se présente. Est-ce que ce sont des questions éternelles, des questions permanentes ? Est-ce que ce sont des questions qui sont dépassées ? Nous pensons que cette œuvre est toujours d’actualité, parce que l’Afrique est toujours dans cette situation d’entre-deux», a-t-il laissé entendre. Et pour confirmer ses dires, le metteur en scène, Xavier Simonin, dira que l’auteur lui-même, Cheikh Hamidou Kane, l’a reconnu. Il ne s’attendait pas à ce que son œuvre conserve une telle résonance en 2025. «Je ne pensais pas que mon roman serait autant d’actualité encore aujourd’hui», confiait-il récemment à Xavier Simonin. Un constat qui donne encore plus de force à cette adaptation.
ousmane.sow@lequotidien.sn