Par Ibou FALL –
Un certain Souhaïbou Cissé, patron de Souhaïbou Télécom, qui se vante d’être un self-made man, défraie la chronique ces derniers jours… L’exploit qui lui vaut de monopoliser le buzz : une vidéo le montre sur la route de Touba, précédé par un motard de la police qui lui ouvre la voie à grand renfort d’acrobaties, quitte à emprunter les sens interdits et faire descendre de la route les automobilistes qui lui arrivent droit devant.
C’est le passager qui filme et commente, flagorneur : «Bénéficier d’une escorte de la police de Dakar à Touba, il n’y a que toi qui l’as jamais eu !» Souhaïbou de répliquer, faussement modeste : «A part le Président Macky Sall et ses minis-tres.»
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Le passager auquel on n’apprend plus l’art de cirer les bottes, en rajoute une couche quand la flèche de la police contraint les automobilistes qui arrivent en sens inverse, à se ranger sur le bas-côté : «Laissez passer le président des vendeurs de téléphones !»
Ne soyons pas chiches : cette boutade ne mériterait-elle pas d’être récompensée par une mitraille de liasses de dix mille francs Cfa ?
Ce doit être pour ce brave commerçant un plaisir ineffable de voir l’intermi-nable file des automobiles bondées de nègres très ordinaires marquer le pas, pendant qu’il se paie le luxe de rouler à tombeau ouvert en direction de Touba, sans doute pressé d’y étaler sa réussite, et bien plus si affinités.
Résultat de l’odyssée surréaliste : la hiérarchie décide de suspendre le zélé policier fantaisiste, lequel devra passer devant un conseil de discipline. Quant à ce cher Souhaïbou, il vient sans doute de vivre l’un des plus beaux jours de sa vie : pendant cette folle journée, il se sent l’égal du chef de l’Etat et son eégo sur-dimensionné crève les plafonds…
Ironie du sort : le vendeur de téléphones est injoignable depuis ceretentissant exploit.
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Dans des interviews qu’il accorde à des confrères il y a de cela quelque temps, il n’est pas peu fier de son parcours : gosse de riche, selon lui, il dédaigne le cocon familial et cherche sa voie, au point de se faire virer du domicile paternel. Il se lance alors dans un petit commerce avec vingt-cinq mille francs de mise de départ que lui prête sa brave mère. Il fait vite fortune, mais ça part en fumée tout aussi vite : ce cher Souhaïbou, de son propre aveu, serait un garçon facile dont les cordons du pantalon se dénouent plus vite que de raison… Vous savez bien, ce genre de tare qui vous coûte la peau des fesses !
Ne jamais désespérer du Nègre qui a de l’amour-propre à revendre.
Notre épicurien déclaré remonte la pente et se retrouve, ce dont il se rengorge, à la tête d’un p’tit duché de vente de téléphones, proprio de deux femmes et trois voitures.
Il y est donc, ou plutôt, il s’y croit.
Tout comme s’y croit feu Youssou Diagne en 2001, fraîchement élu président de l’Assemblée nationale, alors dauphin constitutionnel. De retour de son fief, Ngaparou, un lundi matin, pour retrouver ses lourdes responsabilités du haut de son Perchoir, il passe par le sens interdit de l’autoroute avec sa flèche, toutes sirènes hurlantes, parce qu’à cette heure de pointe, quand ça se retrouve coincé dans les bouchons, ça peut y passer la demi-journée.
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La conclusion que j’en tire ? Ben, la réussite, pour nous autres, Sénégalais très ordinaires, est de se payer le luxe de toiser la négraille de haut : enjamber les interdits, doubler les files, violer des pucelles impunément, fouler aux pieds les règles de bienséance et les lois de la République, susciter les convoitises, étaler ses appétits sans pudeur, s’affranchir de ses devoirs et exiger des droits spéciaux, au nom de son clinquant et son bling-bling.
A Hollywood, où se vend le rêve américain, ils ont les Oscars que l’on décerne aux productions et acteurs qui font courir les foules, ouvrent les marchés de la planète au «Made in America».
Au Sénégal, nous n’avons que des lascars du buzz.