Soutien au Président Ibrahim Traoré : Les activistes burkinabè fustigent le mauvais signal de Guy Marius Sagna

Habillé en Faso Dan Fani, Guy Marius Sagna s’est rendu dans les locaux de l’ambassade du Burkina pour faire une déclaration de soutien au Président burkinabè et répéter sa rhétorique anti-impérialiste. Dans une lettre adressée au président de la République du Burkina Faso, Ibrahim Traoré, le député de Pastef réaffirme son soutien au Peuple burkinabè, dénonce «une guerre imposée par l’impérialisme international», fustige «la manipulation de terroristes et de séparatistes par l’impérialisme». Pour lui, les peuples du Burkina Faso, du Mali et du Niger «veulent s’extraire de l’oppression néocoloniale de l’impérialisme». Dans son entendement, il y a un distinguo à faire entre les putschistes. A ses yeux, il y a les militaires «manipulés par l’impérialisme contre leurs peuples» et «ceux qui font aboutir la mobilisation des peuples contre des régimes néocoloniaux». Pour GMS, il y a «des putschs et juntes de militaires au service de ses intérêts» et, a contrario, «ceux qui parachèvent les mobilisations des peuples qui veulent l’indépendance réelle». Tout en condamnant «l’hypocrite duplicité des impérialistes et de leurs médias». Il écrit en outre : «Depuis l’assassinat du héros martyr Sankara, le Peuple burkinabè a mis un terme à des décennies de putsch néocolonial dirigé par des juntes civiles valets de l’impérialisme.»
Cette sortie du député a retourné des journalistes et activistes burkinabè qui le voyaient comme un membre de leur clan, un des leurs, alors que la plupart se retrouvent dans le viseur des autorités. A l’image de Guy Hervé Kam, détenu depuis plusieurs mois alors qu’il s’était constitué pour défendre Sonko. Un de ses proches est ulcéré par cette sortie de Guy : «Guy Marius Sagna a oublié que Me Kam est encore dans les prisons de IB. Ce même Me Kam qui s’est constitué au Sénégal pour défendre Pastef et Ousmane Sonko. Ça fait mal de voir un frère se retourner contre nous au moment où on attendait son soutien. On était enthousiastes quand on a vu l’annonce, mais dès qu’il a parlé, on a compris qu’il nous avait lâchés. C’est le pouvoir qui est comme ça avec les faux.»
Face à la machine répressive de IB, certains ont pris le chemin de l’exil. «Oui. Terrible. Terrible. Je crois que la question simple qu’on peut lui poser : soutient-il un coup d’Etat au Sénégal avec la suppression des partis politiques, l’interdiction des activités politiques des Osc, la censure stricte des médias, l’enlèvement massif de militants pour la démocratie et la traque des activistes critiques ? Normalement, c’est ce qu’il souhaite pour le Sénégal. Quand on ne veut pas de coup d’Etat chez soi, on n’applaudit pas le coup d’Etat du voisin ! Il faut que nos hommes politiques soient cohérents !», note un activiste passablement agacé par cette sortie. Un autre journaliste exilé ne cache pas son indignation : «Le combat pour la justice ne se fait pas aux côtés des bourreaux. Il y a des silences qui honorent. Et des paroles, des gestes, des présences qui font honte et qui blessent. Votre participation à cette conférence de presse aux côtés d’un ambassadeur frère direct de Ibrahim Maïga -un homme tristement célèbre pour ses appels à la haine et à la violence contre les Burkinabè exilés- est une injure. Une insulte aux victimes, aux familles brisées, aux voix muselées, aux cœurs exilés. Une gifle à tous ceux qui croient encore que l’Afrique peut et doit défendre les droits humains, la dignité, la liberté d’expression. Comment comprendre qu’un homme tel que vous, jadis figure de proue des combats contre les injustices au Sénégal, puisse aujourd’hui accorder son soutien à un régime qui a plongé le Burkina Faso dans une nuit d’effroi ?» Amère, la pilule ne passe pas : «Juste deux petits exemples pour illustrer mon indignation. Sous Ibrahim Traoré, plus de 12 journalistes ont été enlevés ou portés disparus, et plus de 18 autres vivent aujourd’hui en exil, fuyant des menaces de mort ou des convocations musclées par des services opaques. Les partis politiques sont bâillonnés, les Osc surveillées, et des citoyens ordinaires, pour un simple like ou un commentaire sur Facebook, se retrouvent enrôlés de force ou jetés en détention. Mais il y a pire, M. Sagna, le silence que vous cautionnez tue.»
«A tous ceux qui pleurent un proche enlevé, exilé, enterré sans adieu»
Les témoignages de ce journaliste, qui vit loin de chez lui pour échapper à des réquisitions d’enlèvement dans les Vdp ou d’emprisonnement, font froid dans le dos : «Laissez-moi vous parler d’une vieille femme de 85 ans, la mère d’un journaliste exilé. Chassée de sa maison familiale sans préavis, menacée, privée de soins, privée même de ses petits-fils chargés de prendre soin d’elle et neveux du journaliste. Ils ont été enlevés et portés disparus. Leur crime, être les neveux du journaliste en question. Une femme âgée, souffrant de diabète et d’hypertension, qu’on a expulsée comme une criminelle du domicile familial, à qui l’on a donné cinq minutes pour quitter les lieux. Cinq minutes. Quand les terroristes, eux, laissent parfois trois jours avant de frapper. Voilà le visage du «sankarisme» selon Ibrahim Traoré : s’acharner sur une vieille dame de 85 ans, analphabète, qui n’a jamais écrit une ligne sur la politique de son pays. Son crime à elle, être la mère de ce journaliste critique. C’est cela que vous soutenez ? Et pendant que cette mère dort dehors, sous l’œil silencieux de ses bourreaux, vous, Guy Marius Sagna, homme du peuple, vous êtes là, à tendre la main à ceux qui l’écrasent.» Et le reste est une leçon d’histoire : «Vous dites défendre les idéaux de Sankara ? Alors pourquoi soutenir un homme qui, contre la volonté de la veuve et des enfants de Thomas Sankara, a enterré de force les restes de ce héros, refusant à sa famille le droit fondamental de faire son deuil ? Comment osez-vous approuver l’édification d’un symbole creux d’une trahison maquillée en hommage ? M. Sagna, votre attitude est une offense. A tous ceux qui luttent pour un Etat de Droit. A tous ceux qui, même en exil, même dans la douleur, gardent foi en la justice. A tous ceux qui pleurent un proche enlevé, exilé, enterré sans adieu. Vous avez choisi votre camp. Et ce n’est pas celui des opprimés. C’est celui de ceux qui chassent les mères, qui enferment les enfants, qui détruisent les voix. L’histoire s’en souviendra. Et face à ce tumulte, il ne reste à ceux qui croient encore à la dignité qu’une seule arme : la mémoire. Et la certitude qu’un jour, les masques tomberont.»
S’ils ont préféré parler à visage découvert, Le Quotidien a décidé de garder leur anonymat pour éviter des mesures de représailles à leur encontre.
Par Bocar SAKHO – bsakho@lequotidien.sn