La volée de Ebongué a provoqué un trauma national, une traversée du désert des Lions. Après avoir raté deux Can de suite (96 et 98), ils se qualifient en 2000 grâce à Peter Schnittger, choisi pour relancer l’Equipe nationale de foot, secouée par l’échec de 92. Guidés par des joueurs locaux essentiellement issus de la Ja et du Jaraaf, soutenus par quelques professionnels comme Fadiga et Pape Sarr, les Lions se qualifient pour les quarts de finale et se retrouvent face à l’ogre nigérian, co-organisateur de la Can avec le Ghana. Il y avait en face Okocha, Ikpeba, Oliseh… Ce match a marqué les esprits à cause de scènes d’intimidation. On sera battu après prolongations, après avoir mené au score jusqu’à la 84ème minute. Car Julius Aghahowa a tout changé, aidé par un environnement hostile aux Sénégalais qui finiront par perdre le fil du match (1–2). Avec «Souvenirs de Can», Le Quotidien vous replonge dans la ferveur de certains matchs qui ont jalonné les parcours des Lions en Coupe d’Afrique des nations.Par Amadou Mbodji et Bocar SAKHO

– Visage légèrement ramolli par le poids de l’âge, Pape Niokhor Fall n’a rien oublié du 7 février 2000. «C’était notre quart de finale contre le Nigeria», désarchive-t-il. Oui, il y a 23 ans, le Rufisquois vécut le match le plus épique de sa carrière de footballeur. Pour raconter cette journée, il faut beaucoup de larmes pour remplir le stylo. Au Stade national de Surulere de Lagos, une véritable cocotte-minute, les Lions ont écrit pourtant à l’envers le scénario du quart de finale de la Can 2000 face au Nigeria, devant son public surchauffé. Alors qu’ils ont tout bien fait jusqu’à la 84ème minute…

Ce match aura laissé un goût étrange, mélange de passion, d’enthousiasme, de reconnaissance et d’amertume. Même si on était loin du sommet continental, les Lions avaient bousculé l’ogre nigérian, programmé pour gagner la compétition chez lui. Ce fut le suspense d’un impitoyable combat marqué, en fin de match, par un dénouement cruel. Mais, c’était fabuleux à Surulere, avec son mystère et ses fantômes. Un lieu pour une curieuse désignation d’un match de football.
Devant 40 mille spectateurs, Khlalilou Fadiga ouvra la marque à la 7ème mn. Son but jeta un lourd silence dans cette cathédrale du football nigérian. Puis surgit aux 84e et 93e minutes, Julius Aghahowa, entré à la 68e à la place de Tidjani Babangida, ancien ailier explosif de l’Ajax d’Amsterdam. Dans ce mythique stade, où le Nigeria n’avait plus été battu depuis 1981, des joueurs de talent comme Okocha, Kanu, Okpara, West, Finidi, Ikpéba, Oliseh, subjuguaient la planète foot. Ils étaient sûrs de leurs forces chez eux, aidés aussi par un public passionné, parfois aux exigences débordantes.

En face, les Lions essayent de reconstruire sur un champ de ruines. Après avoir raté deux Can de suite (96 et 98), ils se qualifient en 2000 grâce à l’Allemand Peter Schnittger, choisi pour relancer l’Equipe nationale de foot, traumatisée par l’échec de 92. Cette reprise de volée de Ebongué en quart de finale de cette Can organisée à domicile avait fait basculer le Sénégal dans le chaos sportif. Même s’il y a eu la parenthèse de 94 à Tunis décrochée grâce un repêchage de la Caf. Elle s’est achevée aussi en quart à cause d’un tir lointain de Sakala à la 38e.
Guidés par des joueurs locaux essentiellement issus de la Jeanne d’Arc, du Jaraaf de Dakar, de l’Entente Sotrac Ouakam (Eso) comme Henri Camara, Pape Malick Diop, Oumar Diallo, Assane Ndiaye, Ousmane Diop, Oumar Traoré, soutenus par quelques professionnels comme Fadiga, Omar Daff et Pape Sarr, évoluant dans d’obscurs clubs comme Auxerre, Sochaux, les Lions, coachés par Peter Schnittger, débarquent à Lagos sans aucune certitude. Sans aura ! San stars ! Ils étaient tombés dans une poule C assez difficile avec l’Egypte, championne d’Afrique en titre, la Zambie et le Burkina Faso. On débute par une victoire facile contre les Etalons (3-1), mais on chute face à l’ogre égyptien (0-1), mené par son inusable capitaine, Hossam Hassan, qui avait marqué le but de la victoire. Puis, il y a eu un match nul (2-2) contre les Chipolopolos pourtant obligés de gagner pour se hisser au second tour. Raté !

Le (mauvais) sort en… est jeté. Les Lions se coltinent les Super Eagles le 7 février à Lagos. Ils doivent faire face aussi à la pression du public comme le montre la violence des supporters nigérians après le match nul contre le Congo en poule. C’était un signe avant-coureur de l’envahissement du terrain contre le Sénégal en quart de finale. Bien sûr, ce match a marqué les esprits à cause de scènes d’intimidation, un environnement hostile aux Sénégalais abandonnés à leur sort. Milieu de terrain des Lions, Pape Niokhor Fall se souvient de ce moment. Lui qui était au marquage de Jay Jay Okocha. Il dit : «A la veille du match, j’avais dit à Henri Camara que nous devons nous rendre beaux comme les joueurs nigérians. On devait se raser. J’avais pris une chaussure de Henri. Si vous regardez les images, j’avais joué avec des chaussures différentes : l’une était blanche et l’autre noire.» Ces moments le replongent dans un monde enchanteur. Lui, le gamin de Rufisque sorti des terrains vagues du National Pop, quelques mois plus tôt. Il avait brillé sous les couleurs de Door Fapp avant de rejoindre la grande Jeanne d’Arc de Dakar, qui régnait sur la scène nationale et entrevoyait la conquête de l’Afrique.

Comme lui, Cheikh Sidy Ba avait disputé au Nigeria la seule Can de sa carrière. Les images sont toujours fraîches dans son disque cérébral, 23 ans plus tard. Il dit : «Avant qu’on ne parte à la Can au Nigeria, nous n’avions pas réussi à nous qualifier aux deux Can précédentes. La majorité des Sénégalais n’avaient pas d’espoir en notre équipe qualifiée pour disputer la Can au Nigeria. Il n’y a pas eu d’engouement. Nous n’avions rien senti qui puisse apporter un soutien à cette équipe sénégalaise», se souvient l’actuel directeur sportif du Jaraaf.

Cheikh Sidy Ba : «Les équipements que nous portions à la Can 2000, c’est Peter qui est allé les négocier avec Adidas Allemagne»
Dans l’indifférence, ils rallient Lagos. Mais, ils étaient assez préparés pour faire une bonne compétition sous les ordres du méticuleux Peter Schnittger qui cumulait les fonctions d’entraîneur national et de Dtn. Car, le trauma de 92 avait propulsé l’Allemand, arrivé à Dakar dans le cadre de la coopération entre Dakar et Bonn à l’époque, à la tête des Lions, qui avaient bouffé l’essentiel des coaches locaux, qui avaient été nommés pour relancer l’Equipe nationale : le duo Bocandé-Boubacar Sarr Locotte Amsata Fall, Lamine Dieng, Karim Séga Diouf, Mayacine Mar. «Nous faisions des regroupements avec Peter Schnittger. Ces regroupements ne se faisaient pas auparavant. Les causeries d’avant-match se faisaient chez Peter. La vieille des matchs nous la passions chez lui. C’est lui qui faisait toutes les dépenses, il payait les collations. Et même les équipements que nous portions à la Can 2000, c’est Peter qui est allé les négocier avec Adidas Allemagne. C’est vous dire que nous nous étions préparés dans l’indifférence, il n’y avait pas de moyens. Il y avait le strict minimum, nous nous débrouillions pour prendre en charge les choses relatives à l’équipe. Cela a contribué à renforcer la solidarité au sein de l’équipe, à nous donner plus de force et de renforcer le mental de l’équipe. Nous nous sommes dit qu’il fallait que nous nous battions pour montrer qu’on est capables de faire quelque chose de grand. On a fait un bon tournoi en 2000», explique Ba.

Ils ont pu trouver les ressorts nécessaires pour faire une bonne compétition.
«Heureusement qu’on avait un groupe soudé, un groupe qui avait l’habitude de travailler ensemble. C’est une équipe dont la base était constituée de joueurs locaux. Des joueurs locaux qui avaient l’habitude de jouer le championnat et qui faisaient régulièrement des regroupements avec Peter», ajoute-t-il. Niokhor insiste : «On se connaissait quasiment tous. On jouait ensemble, il y avait une cohésion.» Même si clichetonne-t-on souvent qu’il n’y a plus de petites équipes, cela reste à prouver. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a de grosses équipes. Le Nigeria, qui veut s’attribuer sa troisième couronne continentale, lors de cette 22e édition de la Can, qui n’a pas été épargnée par les aléas extra-sportifs, l’a démontré. Cette fois, c’était sûr : Ce qui est vrai au niveau mondial l’est aussi au niveau africain : Le haut niveau est vertigineux. N’est-ce pas ? «On était presque en demi-finale. On avait un mental de fer alors qu’on pensait qu’on n’avait aucune chance face au Nigeria. Notre peau n’était pas chèrement vendue. Cela nous a davantage motivés. Dans le tunnel où se retrouvent les deux équipes avant d’aller sur la pelouse, nous sentions la supériorité du côté nigérian. Ils nous montraient qu’ils étaient plus forts que nous, meilleurs que nous. En leur serrant la main nous voyions qu’ils nous toisaient, qu’ils nous tutoyaient», se rappelle Cheikh Sidy Ba. Les Lions avaient des vertiges en regardant le 11 nigérian, mais ils n’avaient aucun complexe. «C’est normal quand vous avez des joueurs comme Okocha, Taribo West, Finidi George, Babayaro. Quand vous avez l’habitude de voir de grands joueurs qui évoluent dans de grands championnats et que vous avez l’occasion de faire face à eux, nous qui jouions entre guillemets dans des championnats moyens, ce qui nous reste à donner est de montrer que nous sommes capables de rivaliser avec eux. Le football se joue à onze», ajoute l’ex-défenseur des Lions.

Pape Niokhor Fall : «On n’a pas pu tuer le match»
Vêtu d’un blouson bleu-blanc, chronomètre à la main, Pape Niokhor Fall est debout au milieu des jeunes joueurs de la Jeanne d’Arc, qui font leur entraînement au Stade des Parcelles Assainies. Avec les autres techniciens, il tente de ranimer la Vielle Dame tombée dans le coma footballistique depuis quelques années. Membre du staff technique de son club de cœur, plongé dans les abysses du National, le longiligne milieu de terrain des Lions de la fin des années 90 et début des années 2000 a tout entassé dans sa mémoire : «on était sûrs de gagner. On y était presque», se replonge-t-il dans ses souvenirs nigérians. Défenseur central des Lions, feu Assane Ndiaye a eu la balle du match au… bout des godasses après un rush de Henri Camara, surnommé à l’époque le «Lapin flingueur», qui dévorait les espaces à une vitesse supersonique. «On n’a pas pu tuer le match. Cette action est le tournant du match. Dans le haut niveau, ça ne pardonne pas», admet Pape Niokhor Fall. Ba poursuit : «Nous nous sommes battus, les yeux dans les yeux, malheureusement ils ont égalisé dans les dernières minutes du match. Nous sommes allés en prolongations, les Nigérians ont gagné par 2 buts à un. Je pense qu’on n’a pas été ridicules. Nous avions fait une très bonne Can et nous nous sommes montrés au monde.» Le choc aurait été l’élimination du Nigeria par le Sénégal. Ce n’est pas passé loin. Dans le contexte très hostile du Stade national de Lagos, les Sénégalais ont fait trembler les Super Eagles, contraints de courir après le score et de disputer les prolongations avant d’arracher la victoire.

«Il y avait de la peur…»
C’était foot et fou aussi. Les Lions ont dû se «vitaminer» pour revenir sur la pelouse. Après le but de Julius Aghahowa en prolongations, le terrain est envahi par une horde de supporters déchaînés. Croyant que la règle du but en or était en vigueur. Tétanisés par ces scènes, bousculés par des policiers à cheval, les joueurs sénégalais sont sonnés. «C‘est sûr qu’il y avait de la peur dans l’air. La pelouse est envahie par le public avec la présence de chevaux avec les Forces de l’ordre, on a craint le pire. Cela a dû travailler notre esprit», admet Cheikh Sidy Ba. Il explique davantage : «Je pense que cette rupture intervenue lors du match nous a desservis. Nous sommes restés dehors pendant une longue période en attendant que la sécurité fasse son travail. Cette rupture a gâché beaucoup choses. En voyant les cheveux envahir la pelouse, on se disait que le pire pouvait se produire à n’ importe quel moment. Il y avait des joueurs et dirigeants qui disaient de rentrer dans les vestiaires et de ne pas reprendre la partie. Je pense que cela a favorisé le retour du Nigeria dans cette rencontre qu’il a fini par remporter.» L’ancien milieu de la Ja est aussi sûr que ces évènements extérieurs ont tout changé. «Les Nigérians doutaient. Mais, ces scènes ont tout changé. Les policiers n’étaient pas là pour assurer notre sécurité, à la limite, ils nous ont intimidés. Les dirigeants nous avaient demandé de rejoindre les vestiaires. Mais, on ne pouvait pas, parce que les vestiaires de Surulere étaient au sous-sol», se souvient Pape Niokhor. Pendant de longues minutes, la reprise du match est même compromise. «Mais, l’entraîneur nous a demandé de revenir sur le terrain pour poursuivre la rencontre. On est revenus, mais les ressorts étaient cassés», admet M. Fall. Un envoyé spécial d’un groupe de presse, qui débutait à l’époque sa carrière professionnelle, ajoute une anecdote : «La tension était palpable. J’étais aux toilettes et un supporter m’a dit en anglais : «On va les massacrer s’ils gagnent ce match.» Pour éviter qu’ils reconnaissent mon accent sénégalais, j’ai juste dit : ahan ! C’était invraisemblable, même nous, on avait envie de rentrer.»

C’était la deuxième fois que cela se produisait dans ce stade. Déjà, à l’issue du deuxième match de poule du Nigeria contre le Congo (0-0), les Forces de l’ordre avaient dû intervenir pour disperser des supporteurs nigérians en colère. La Caf avait infligé une amende de 2000 dollars à la Fédération nigériane et menacé de faire jouer les autres matches des Super Eagles à Lagos à huis clos en cas de récidive. Elle avait juste condamné la «plus regrettable et totalement inacceptable» conduite du pays-hôte, coorganisateur avec le Ghana, et menacé «de sévères sanctions tout autre incident» et infligé une amende de 10 mille dollars, après l’envahissement du terrain par les supporters.

Can de renaissance du foot sénégalais
Après ce parcours, les joueurs sénégalais toucheront chacun une prime, accompagnée d’un petit poème du Premier ministre de l’époque, Mamadou Lamine Loum : «Merci d’être tombés avec les honneurs, après nous avoir procuré le gain du bonheur.» Mais, il avait annoncé surtout les prémices de l’épopée de 2002 au Mali puis en Corée du Sud et au Japon. L’acte de renaissance du football sénégalais. «Je pense que depuis cette Can, le Sénégal est revenu dans le gotha du football africain. La génération de 2000 a jeté les bases du renouveau du football sénégalais.

La génération 2000 a été une continuité. Nous avons poursuivi avec la génération 2002 avec Bruno Metsu. La performance de cette génération est la base de ce que nous vivons jusqu’à aujourd’hui avec le football sénégalais. Nous avons réussi une bonne performance lors de cette compétition qui a révélé beaucoup de choses et de talents. C’est lors de cette Can que les gens ont connu des joueurs comme Fadiga, Henri Camara qui avaient fait une très bonne Can, Pape Malick Diop, Oumar Diallo, Omar Daf. C’est cette Can qui a révélé tous ces joueurs. C’est à travers cette Can que ces joueurs se sont révélés aux Sénégalais. Ça a été une bonne chose», explique Cheikh Sidy Ba. «Cette équipe de 2000 a constitué le noyau de 2002 avec Henri, Pape Sarr, Fadiga, Oumar Diallo, Daf. Moi, j’ai décroché un contrat en Albanie parce que la Can était une vitrine pour les joueurs locaux», rappelle Pape Niokhor Fall. Après Lagos, lui et Cheikh Sidy Ba s’éloigneront de la «Tanière» des Lions. Avec la nomination de Metsu, le Sénégal entre dans une nouvelle dimension avec l’épopée de Bamako.

Fermé depuis 2004 Surulere, la fin d’un mythe

C’est au bout de la nuit que les Lions ont été éliminés le 7 février 2000 à Lagos dans l’émotion totale. Les Sénégalais, après un match héroïque contre les Super Eagles en quart de finale, sont sortis avec les honneurs, battus 1-2 après prolongations au Lagos National Stadium, aussi appelé Surulere Stadium. C’est un stade multifonction utilisé pour les matchs de football jusqu’en 2001. Construit en 1972, il a une capacité de 55 mille places, avant d’être réduit à 45 mille en 1999. Il accueille plusieurs compétitions internationales dont la Coupe d’Afrique des nations de football 2000 et des matches de qualification pour la Coupe du monde. Il sert également de stade principal pour les Jeux africains de 1973.
En 1977, le Festac, un important Festival d’art et de culture noirs et africains, qui réunit 48 pays, est inauguré avec un défilé dans le Lagos National Stadium.
Le stade est laissé à l’abandon depuis 2002. Il accueillit néanmoins pour la dernière fois, l’Equipe du Nigeria de football en 2004. Il est depuis utilisé occasionnellement pour des rassemblements religieux et est occupé par des squatters. Car, il a été fermé en raison de l’effondrement d’un projecteur.

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