Le monde culturel et artistique a pris part ce samedi, à Thiès, à la 12e édition de la commémoration de la disparition de Sembene Ousmane, écrivain et pionnier du cinéma africain, organisée par Daaray Sembene­/­Maison de la pédagogie, de l’image et du numérique. Une occasion pour l’écrivain Djibril Tamsir Niane (DTN) d’inviter à la réalisation d’un grand projet du père du cinéma africain sur l’Almamy Samory Touré.

A l’ouverture de la cérémonie officielle ce samedi, dans la Cité du Rail, de la 12e édition de la commémoration de la disparition de Sembène Ousmane qui devra se poursuivre tout au long de l’année 2019, l’écrivain Djibril Tamsir Niane a rendu un vibrant hommage au père du cinéma sénégalais. L’auteur respecté et respectable de Soundjata, l’épopée Mandingue a surtout fait le déplacement, malgré son âge très avancé, pour inviter les autorités ainsi que le monde culturel et artistique à achever la «plus grande œuvre» de Sembene Ousmane sur l’Alma­my Samory Touré. Le «Sage», invité d’honneur de la 12e édition de la commémoration de la disparition de Sembene Ous­mane, se veut précis : «Le projet devait couronner son œuvre de cinéaste. Il n’a pas pu le faire et il est là intact et je souhaite que cet œuvre soit ressuscitée.» Il révèle que Sembene Ousmane a toujours rêvé de réaliser un grand film historique «parce qu’il était un nationaliste fondamental. Ce nationaliste a cherché parmi les héros africains quel personnage pouvait incarner l’Afrique et sa résistance. Et il s’est tourné vers Samory Touré, parce que ce dernier, effectivement, pendant 16 ans, a résisté aux Français au Soudan, l’actuel Mali, en Guinée, en Côte d’Ivoire, en Haute Volta, mais également contre les Anglais vers le Ghana. Pour dire un peu le tour fait par ce conquérant qui a été bloqué dans ses conquêtes par l’arrivée des Français». Poursuivant, l’écrivain souligne que Samory Touré a résisté pendant 16 ans. «Fina­lement, il a été vaincu comme tous les autres sur le continent africain. Et Sembène Ousmane, dans sa recherche de héros, a pensé à réhabiliter entièrement l’Almamy Samory. Il y a travaillé pendant 30 ans. Il est venu trois à quatre fois en Guinée et plusieurs fois en Côte d’Ivoire. Plus d’une fois, il est allé au Gabon où son héros a fini ses jours. En bref, ici et là, il avait suffisamment de documentation. Et il venait d’avoir la publication d’une œuvre immense sur l’Almamy Samory. Une œuvre monumentale qui a ratissé l’histoire de Samory, en récoltant des traditions orales un peu partout où il est passé». Une œuvre que l’auteur de Contes d’hier et d’aujourd’hui a entièrement traduite en malinké, la langue authentique de Samory. «Il a fait appel à moi en tant qu’historien. Il est venu me voir chez moi, à Dakar, à l’avenue Bourguiba, pour y travailler. Et nous avons effectivement commencé le travail, moi historien, et lui connaisseur de cinéma. Nous avons commencé ce travail qui a duré des années. Nous sommes restés 10 ans ensemble à Dakar pour le faire. En bref, ce film n’a pas été réalisé, mais le scénario a été entièrement fait. Et il m’avait demandé de bien vouloir traduire son œuvre en malinké, la langue authentique de Samory. Je me suis mis à l’œuvre, j’ai traduit entièrement un scénario.»

Problèmes de financement
Mais malheureusement, poursuit Djibril Tamsir Niane, l’auteur de Guéléwar, «n’a pas pu trouver l’argent qu’il faut pour réaliser ce film. Il n’a pas pu réunir tous les fonds estimés à près de 4 à 5 milliards de francs Cfa. Loin de là, le budget réuni était dérisoire pour ce qu’il voulait faire, parce qu’il voulait un film exceptionnel de trois heures de temps pour rendre compte véritablement de la grandeur de Samory. Naturellement, ce n’est pas une petite affaire que de trouver des fonds. Sans entrer dans les détails, il n’a pas pu réunir tous les fonds». Pour lui, «le film n’a pas été réalisé faute d’argent». Et l’écrivain s’offusque du manque de moyen du cinéma africain. «Le cinéma africain, aujourd’hui, il y a des films qu’on fait tous les jours. Il y a le Fespaco organisé tous les ans. Il y a également des films qui nous viennent du Nigeria. On ne peut dire que le cinéma africain n’existe pas. Il existe, mais il manque tout simplement de moyens.» Et de se demander : «Dans le lot de ce qui se fait aujourd’hui, quels sont les pays qui retracent le passé de l’Afrique et remontent loin dans ce passé ? Il n’y en a pas», regrette-t-il. Cela «demande beaucoup de fonds. Et un film, actuellement, obtient 300 à 500 millions de F Cfa, les plus beaux reçoivent, peut-être, un milliard de F Cfa, je n’en connais presque pas». Pour dire que c’est le problème d’argent qui freine le développement du cinéma. «C’est ce problème là que Sembene Ousmane a chopé. Le film est là, il n’est pas réalisé. Mais je pense que ce n’est pas une œuvre perdue parce qu’elle existe. Je tenais simplement à venir évoquer ce fait ici et me tourner vers les gouvernements africains pour dire qu’il faut faire quelque chose non pas pour Sembene Ousmane, non seulement pour le film qu’il a réalisé, mais pour tout ce qui est en gestation en Afrique et qui n’arrive pas à sortir».
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