Par Ibou FALL –

Lorsque l’idée m’effleure la semaine passée, après quelques minutes d’égarement, l’esprit cartésien finit par reprendre le dessus : je me dis que les Sénégalais n’oseront pas.
Quel Peuple souverain, après avoir conquis son indépendance sans effusion de sang il y a soixante-quatre ans de cela, renversé quatre régimes par les urnes, qui se sait encerclé de djihadistes, infiltré par des séparatistes, dont l’air se pollue progressivement par le gaz et le pétrole, oserait pareille folie ?
Ben, aussi bizarre qu’il n’y paraît, les Sénégalais, en fin de compte, osent. Voilà qu’arrive, avenue Léopold Sédar Senghor, une Sénégalaise de chez les Sénégalaises, au Palais.
Voyez-vous ça : comme je dis, il y a une semaine, arrive donc, au pouvoir, le 2 avril 2024, «une drianké décolorée, niârêl soumise probablement, victime d’un traquenard polygame, à genoux aux pieds de son père et la racaille qui va avec, docile envers son beau-père et sa smala, dévouée à son mari et sa bande de potes puis, en vedette américaine, son marabout auquel elle se voue corps et âme. En résumé, une combinaison de malfrats la porte au pouvoir…».
Soyons fumistes : pause tiouraye.
Bruno Diatta, paix à son âme, n’étant plus de ce monde, le chef de protocole qui s’impose, est un savant croisement de Yandé Codou, Mansour Mbaye, Mbaye Pèkh et Farba Ngom.
Il est grand temps que ce pays revienne à ses valeurs premières, n’est-ce pas ?
La passation de service déménage : au lieu de l’austère bureau dans lequel on remet les insignes de la Nation à l’impétrante, c’est un p’tit tanebér Place de l’Indépendance qui s’impose. Mbaye Dièye Faye et le Sing-Sing Rythme sont là, les Rosettes aussi.
La fanfare de l’Armée est priée de ranger ses outils jusqu’à la prochaine.
En attendant les officiels, les tam-tams vrombissent au rythme de «Far bou diar». Ça fait chaud aux cœurs des célibataires qui s’agglutinent autour de l’esplanade. Depuis le temps que des candidats leur promettent des épousailles en masse, cette fois, c’est clair, il y a des chances… Avec au compteur trois divorces, quatre maris, la preuve par les chiffres : Son Excellence Madame la Présidente est une forcenée du contrat nuptial.
Comme il faut s’y attendre, Son Excellence Madame la Présidente, qui est en conflit ouvert avec la rigueur, l’exactitude, la ponctualité, la vérité et la probité, accuse quelques heures de retard.
Faudra s’y habituer pour tout le mandat.
Cette fois, la raison de son, euh, décalage horaire, est plus que sérieuse… Ses ex, qui sont quand même les pères de ses enfants, tiennent à assister à la fête et figurer aux premiers rangs. Le protocole présidentiel dont l’infaillible culture diplomatique résiste depuis des décennies à toutes sortes d’hérésies, se sent débordé. Monsieur l’ex-premier mari, père de l’aîné de Madame la Présidente, ne saurait se contenter d’une place au fond de la tribune officielle, surtout pas à côté de son successeur qu’il soupçonne de l’avoir cocufié avant de prendre le relais.
Précision de taille : il ne faut jamais fâcher Madame l’ex-première belle-mère, qui prend sur elle de couver Madame la Présidente, laquelle arrive chez elle, alors pucelle ingénue à peine sortie de la puberté, tremblante de peur à l’idée du viol nuptial qui l’attend. Pour la conduire à la boucherie qui s’annonce, Madame la première belle-mère l’enduit de karité et lui rappelle le sacrifice des femmes de Ndèr qui préfèrent la mort au déshonneur.
Madame la première «Goro» découvrira que la future Présidente n’est pas si vierge qu’elle n’y paraît le lendemain de la nuit nuptiale. Pour sauver l’honneur, le secret est gardé depuis. D’où sa susceptibilité. Faut éviter de la vexer, les secrets d’alcôve pourraient se répandre malencontreusement sur les réseaux sociaux…
Tout ça serait simple, si monsieur l’ex-deuxième mari de Madame la Présidente daignait s’écraser pour cette cérémonie. Mais non. Il tient à ce que l’on sache que Madame la Présidente a partagé sa couche quelques années. Il ne faut pas le vexer, parce qu’il pourrait déballer. Leurs rendez-vous clandestins, les hôtels qui abritent leurs amours interdits, leurs mots d’amours alors qu’elle est officiellement en couple. Il a tout dans son IPhone. Il a aussi une sœur à qui il dit tout depuis l’âge des petites culottes, qui a aussi l’essentiel de ses archives, à qui il faut trouver une place honorable pour l’investiture.
Le protocole présidentiel, Madame la Présidente insiste, a intérêt à les ménager.
Monsieur le troisième ex est plutôt compréhensif. Il a l’âge de raison, ne fera pas d’histoire. Un veuf sans aspérité, auquel on présente une furie ambitieuse qui le déborde très tôt. Elle le vire très vite parce qu’il manque de nerf, de virilité, après qu’elle siphonne son compte bancaire et lui prend une de ses maisons sans qu’il ne s’en indigne.
Il ne dira rien, mais deux précautions en valent mieux qu’une. Il faut l’inviter au sacre de Madame Son Excellence, pour éviter de la faire passer pour une ingrate.
Monsieur le mari en place, le quatrième du nom, quant à lui, et les siens, ne peuvent pas être relégués au second rang, c’est clair. Certes, le loustic est un jeunot de dix ans son cadet qui traîne dans son sillage depuis qu’elle se lance en politique. Il se fait disponible à tout moment, lui ouvre les portes les plus inaccessibles, supporte ses caprices, joue les utilités au point de devenir indispensable. Les soirs de solitude, ben, il chauffe le lit.
Elle ne le voit pas venir, mais quand arrive le sacre, son image de femme de pouvoir exige qu’elle se case. Il n’y a que lui sous la main. Tout le monde la fuit… Leurs épousailles sont un chef-d’œuvre d’efficacité clandestine.
Bref, le 2 avril 2024, elle y est. Le Peuple l’attend, Place de l’indépendance.
Lorsque Son Excellence Madame la Présidente arrive sur les lieux, sous les vivats de la foule, les tambours s’apprêtent à entamer «Oubil Mbarka Ndiaye» quand le protocole de la Présidence envoie au chef des batteurs de sabar, une copie de l’article 80, lequel se liquéfie à sa lecture et entame à l’improviste «Ndèye Guèye, djiguéne dèy séye»…
C’est clair, à compter du 2 avril 2024, plus rien ne sera comme avant…