La décision prise récemment par le gouvernement sénégalais de supprimer l’examen d’entrée en classe de sixième, effective dès la rentrée 2025-2026, ouvre une page décisive de notre politique éducative. Annoncée à l’issue d’un Conseil interministériel, cette mesure s’inscrit dans un ensemble de réformes visant l’équité et l’inclusion, mais elle pose aussi des questions de fond qui exigent des réponses rapides et rigoureuses.
Pourquoi cette suppression peut-elle être saluée ? D’abord parce que l’examen d’entrée en sixième a longtemps joué un double rôle ambigu : diplôme pour quelques élèves et instrument de sélection pour l’accès à l’enseignement moyen, avec pour corollaire des exclusions massives, des ruptures scolaires et des inégalités territoriales. Dans un pays où l’on cherche à universaliser l’accès à l’éducation, une sélection précoce accentue les fractures (zones rurales/urbaines, riches/pauvres, environnements scolarisés/non scolarisés) et finit par perpétuer la reproduction sociale déclinée par Bourdieu depuis très longtemps. La suppression du concours, si elle est accompagnée d’une politique volontariste, peut donc renforcer l’égalité des chances.
Cependant, la portée symbolique de la mesure ne suffit pas, car sa réussite dépendra entièrement du «comment». Supprimer la sélection suppose d’anticiper un afflux d’élèves dans les collèges : salles de classe, mobiliers, latrines, cantines et transports scolaires doivent être dimensionnés. Sans investissements massifs (construction et réhabilitation d’établissements, plans d’entretien, dotation en manuels), la promotion automatique du Cm2 vers la sixième risque d’accroître les effectifs par classe au détriment de la qualité pédagogique. Le recrutement d’enseignants annoncé est un signal utile, mais insuffisant si l’on ne prévoit pas des formations continues et un plan de répartition équitable. Il faudra aussi renforcer les inspecteurs et coordonnateurs pédagogiques pour accompagner la transition.
La suppression du concours ne doit pas signifier l’abandon de tout contrôle, ni la banalisation des acquis. Le ministère parle de dispositifs d’évaluation et du Certificat de fin d’études élémentaires ; il est crucial d’instaurer des évaluations formatives et locales (diagnostics de début de sixième, classes passerelles, dispositifs de remédiation) pour identifier et soutenir les élèves fragiles.
Par ailleurs, de nombreux élèves restent sans acte de naissance ou sans documents, ce qui fragilise leur inscription et leur accès aux examens. La promesse de régulariser ces situations avant fin 2025 est bienvenue et doit être conduite en lien avec les communes et les services d’état-civil, afin qu’aucun enfant ne soit laissé-pour-compte.
La réforme doit aussi être entérinée par des textes réglementaires adaptés et accompagnée d’un calendrier de transition. Le dialogue avec les syndicats, les spécialistes de l’éducation et la Société civile est indispensable pour garantir la sécurité juridique et politique de la mesure. Les réformes scolaires étant sensibles, il faut une communication transparente, expliquant les gains attendus, et une stratégie de concertation nationale pour apaiser les tensions. La définition et la publication d’indicateurs clairs (taux de passage en sixième, effectifs par classe, ratio élèves/enseignant, résultats aux évaluations nationales) permettront d’ajuster les mesures en temps réel et de rendre responsables les acteurs chargés de la mise en œuvre.
La suppression de l’examen peut également bénéficier aux filles, aux élèves des zones rurales et aux enfants vulnérables, à condition d’accompagner cette politique de mesures ciblées : bourses, cantines, transports, manuels adaptés et recrutement d’enseignants en nombre suffisant. La ratification et la mise en œuvre d’accords internationaux pour l’accès des élèves handicapés aux matériels scolaires doivent être accélérées.
Supprimer l’entrée en sixième peut constituer une avancée majeure vers une école plus juste, démocratique et plus inclusive. Mais l’égalité de droit n’est que la première étape, car sans moyens, pilotage, formation et évaluation, la réforme risque d’aboutir à une massification inefficace. Il faut donc transformer l’annonce en feuille de route opérationnelle, chiffrée et datée, co-construite avec les acteurs locaux et contrôlée publiquement. Le critère du succès sera simple  parce qu’il offrira à chaque enfant non seulement une place en sixième, mais une chance réelle d’apprendre et de réussir.
A quand la véritable réforme du système éducatif et universitaire du Sénégal ?

Amadou MBENGUE
dit Vieux
Secrétaire général de la Coordination départementale de Rufisque
Membre du Comité central et du Bureau politique du Pit/Sénégal