Sept années durant, une figure derrière un masque, se faisant appeler Kocc Barma, a fait trembler la société sénégalaise. Non pas par des armes ou des braquages, mais par une arme plus redoutable, celle de l’humiliation publique. Derrière un clavier et un pseudo emprunté au célèbre philosophe sénégalais des temps anciens, cet individu a diffusé des vidéos intimes, brisé des réputations et jeté l’opprobre sur des familles entières. Il n’a tué personne de ses mains, mais il a dû assassiner des réputations, enterrer des ambitions et, parfois, des vies sociales entières.

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Lorsque l’on s’intéresse à la psychologie des individus et aux événements qui se passent dans une société comme la nôtre, on ne peut que se poser des questions comme celles-ci : qui est cet homme derrière ce masque à la triple énigme ? Il porte à la fois le masque du visage en noir et blanc, le masque symbolique de Kocc Barman, une figure d’énigmes. Et derrière le clavier, Kocc agit dans l’ombre pour révéler à la lumière ce que la société veut cacher : ses désirs, ses fautes, ses secrets les plus abjects.

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Qu’est-ce qui se cache derrière ce masque ? Que révèle son comportement ? Quel trouble intérieur pousse un être humain à agir ainsi, avec méthode, détermination et surtout avec une froideur digne des films d’horreur ? La société n’est-elle pas complice ? Et s’il était lui-même victime ?

Derrière le masque : un désir de puissance ?
Au cœur de ce long scénario d’intrigues, il semble cacher un besoin viscéral de puissance. Ce pouvoir dont il a besoin n’est pas celui des rois ni des présidents, mais celui d’un homme capable de faire plier, de faire trembler, d’écraser l’autre sans le toucher. Il cherche une fine domination : la maîtrise psy­cho­logique d’autrui. Comme une pièce de théâtre où il tient tous les rôles : le spectateur invisible, le metteur en scène sadique et le bourreau silencieux ; il jouit de cette puissance. Ce besoin de puissance se traduit par un sentiment de supériorité glaciale, presque divin. Il se place au-dessus de la société, de la morale et des lois, comme s’il avait été mandaté par une autorité supérieure pour corriger les travers de cette société. Un pouvoir de domination psychologique qui frise la perversion en ce sens qu’il tenait ses victimes par la peur, la honte et le sentiment de culpabilité à monnayer par l’argent. En leur demandant de l’argent contre sa clémence, c’est inverser le rapport de force, c’est se hisser au-dessus de ceux qui ont toujours dominé. Parfois riches, parfois influentes, ses victimes devenaient subitement des mendiants de leur dignité. Et c’est là que réside sa jouissance : inverser la hiérarchie sociale où lui, l’homme de l’ombre, devient maître du sort des autres. Mais ce besoin de puissance ne vient que rarement seul dans les pathologies psychologiques. Il est souvent lié à un désir de vengeance. Si le désir de puissance est une tendance psychologique des hommes masqués, celui de la vengeance reste une tendance de ceux qui souffrent intérieurement des blessures vécues.

Derrière le masque : le feu de la vengeance froide du psychopathe ?
Il y a dans ses actions, le parfum de la vengeance, celle que l’on mijote lentement, sur plusieurs années. Une vengeance qui n’explose pas, mais qui s’infiltre. Mais venger qui et pourquoi ? Nous ne pouvons savoir sans creuser dans le passé de cette personnalité énigmatique. En revanche, tout dans sa posture laisse croire qu’il a été le témoin silencieux de perversions, de trahisons ou d’humiliations passées.

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Peut-être dans son enfance, il a vu des figures de pouvoir abuser des faibles, des hommes riches exploiter des femmes vulnérables, des hypocrites se présenter comme des saints. Et dans un silence long et douloureux, il a décidé qu’un jour, il rétablirait l’équilibre à sa manière. Tout porte à le prouver : un tel acharnement, un tel mépris des conséquences, un tel plaisir à répéter l’acte pendant des années, cela ne vient pas de nulle part. Cela vient souvent de très loin.

En effet, de là où les blessures sont muettes, les humiliations jamais digérées, les trahisons vécues trop tôt, les injustices subies sans défense, il peut sortir un être froid, un monstre à la figure du psychopathe qui décide de se venger ou fort probablement de rendre justice.

Derrière le masque : un justicier moral ou pervers Guérir à travers la punition des autres
Il y a, fort probablement, dans la figure de Kocc Barma, le cri silencieux d’une enfance blessée. Un enfant qui a peut-être grandi dans un monde d’abus, de faux-semblants, de violences tues. Un enfant qui a vu les siens souffrir, qui a vu l’impunité triompher et l’hypocrisie s’habiller d’honneur. Et cet enfant, devenu adulte, n’a jamais guéri. Sa blessure reste béante. Il a, par conséquent, transformé sa douleur et sa peine en mission de justicier. Sa honte en arme. Ainsi, il se sent héros en se présentant comme un justicier moral, celui qui «révèle ce que les autres ca­chent», celui qui «montre la vérité».

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Mais derrière cette posture, il y a un profond malentendu psychologique. Si dans les fictions et dans les légendes, le justicier est souvent un héros réparateur d’injustices réelles, ici, en agissant sans visage, sans procès et sans justice réelle, Kocc ne répare pas, il punit. Il ne construit pas, il détruit des vies. En demandant une rançon consistante, il se hisse, par la même occasion, au sommet de la société, parmi les riches, les élites, les personnalités, les célébrités qu’il torture et détruit pourtant sous son masque.

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Ainsi veut-il faire croire aux autres ou se convaincre lui-même qu’il agit pour une morale collective, qu’il dénonce les hypocrisies sexuelles, les abus, les trahisons, les comportements répréhensibles. Alors que sous le masque, gît plutôt un justicier pervers. Une victime devenue un bourreau qui cherche la réparation de ses propres blessures, en punissant autrui pour ne pas affronter sa propre douleur. Il croit rendre justice, mais il rejoue, d’une certaine manière, un scénario personnel renversé. Il ne veut pas corriger, il veut que les autres ressentent la honte, l’humiliation ou la souffrance qu’il a peut-être longtemps portée seul. C’est ce que les psychologues appellent un mécanisme de projection. Plutôt que d’affronter sa souffrance intérieure, il la projette sur les autres, en les faisant souffrir à leur tour. Et dans cette illusion de rééquilibrage, il s’imagine réparer ce qui a été brisé en lui. Au fond, ce n’est pas la justice qui l’anime, c’est le plaisir de voir l’autre s’effondrer sous son regard. Et cela dit, tout de sa propre souffrance ancienne est transformée en instrument de torture ou de jouissance sociale selon qu’on est du côté des victimes ou des spectateurs.

Derrière le masque de Kocc, le masque d’une société complice par le silence et la fascination ?
Cette affaire de Kocc nous renvoie aussi à nos névroses propres, nos voyeurismes collectifs. Combien de fois avons-nous cliqué, regardé, partagé, critiqué, souri malicieusement, sans jamais se questionner ou s’indigner de la cruauté du geste ? En réalité, il n’est pas seul à se réjouir de la situation de ses victimes. Il a trouvé un public fasciné et approuvant chacun de ses scénarii comme éminemment intéressant. Au lieu de juger l’acte ignoble, nous le jugeons juste, justifié ou justifiable. Et c’est peut-être cela qui lui a donné le sentiment de puissance et de jouissance. Son pouvoir naît de notre fascination devant ces scénarii, notre plaisir érotique ressenti devant ces scènes obscènes et parfois le plaisir malsain à voir tomber les «puissants».

Derrière le masque : une victime de blessures non guéries
Ce récit tragique nous rappelle aussi une vérité psychologique essentielle, selon laquelle les blessures non dites et non guéries deviennent souvent des crimes en devenir. Et qu’on ne devient pas monstre par choix. On le devient parfois par survie. Les douleurs tues deviennent parfois des chaînes. Les humiliations vécues dans l’enfance, lorsqu’elles ne sont ni entendues ni soignées, peuvent engendrer des adultes qui cherchent réparation et, malheureusement, dans la destruction de l’autre.

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Oui, sans aucun doute, Kocc Barma est un criminel, à l’instar des plus connus aux alentours des années 90 que sont Ino, Alex et Clédor Sène, de par leur pouvoir d’intrigues. Mais il est aussi le symptôme d’une société qui ne guérit pas ses enfants blessés. N’est-ce pas opportun de regarder le criminel autrement ? Non pas pour excuser, mais pour comprendre. Non pas pour justifier, mais pour prévenir. Car derrière chaque bourreau, il y a souvent un enfant qui a crié sans qu’on ne l’entende. Et derrière chaque société qui ferme les yeux, il y a mille douleurs qui vont renaître ailleurs.

Former, éduquer, écouter, prévenir : voilà ce que devrait être le vrai combat moral, un combat pour toute une société qui protège. S’il y a une solution contre les prochains Kocc, elle ne sort pas de là.
Par Moussa KA, Psychologue conseiller – basorika2015@gmail.com