Du 4 au 6 décembre 2024, la Chine a organisé un symposium à Shanghai, censé renforcer la coopération maritime avec les pays du golfe de Guinée.
L’objectif officiel : «Approfondir la coopération amicale entre la Chine et l’Afrique» ; par ce biais, Pékin prétend vouloir inaugurer une nouvelle ère de partenariat «gagnant-gagnant» avec e continent africain. Pourtant, derrière ce discours mielleux et ce soutien de façade, la Chine est d’avantage intéressée par l’exploitation systématique des ressources africaines que par un échange de connaissances.
La problématique du pillage des ressources halieutiques
Depuis plusieurs années, la Chine est régulièrement accusée de piller les ressources halieutiques de la façade atlantique de l’Afrique, une région dotée de réserves poissonneuses exceptionnelles, mais gravement menacées par la surexploitation. Premier acteur de la pêche Illicite, non déclarée et non réglementée (Inn), la Chine échappe aux autorités de régulation et déjoue les réglementations en vigueur en désactivant les systèmes d’identification automatique de ses navires. Par exemple, dans le port d’Abidjan, 55 des 80 navires de pêche industrielle ancrés sont gérés, selon la législation ivoirienne, par des sociétés mixtes de pêche dont les gestionnaires sont des Chinois. De nombreux chalutiers chinois battent ainsi pavillon africain ou recourent à des prête-noms pour échapper aux sanctions et aux contrôles. En 2024, parmi les navires opérant dans les zones économiques exclusives des pays de la côte africaine, de Dakar à Luanda, 194 étaient chinois, selon des chiffres rapportés par le journal Le Monde.
Les conséquences de cette exploitation maritime sont dramatiques pour les communautés locales, qui voient leurs ressources halieutiques s’épuiser et leurs moyens de subsistance menacés.
Cette surpêche nuit non seulement à l’économie des pays africains, mais aussi à la sécurité alimentaire de millions de personnes dépendant de la pêche pour se nourrir et subvenir à leurs besoins.
Ces pratiques, déjà dénoncées par le passé par de nombreuses organisations de professionnels de la pêche ainsi que des Ong, continuent d’affecter gravement les écosystèmes marins et les économies locales, comme le montre le cas du Cameroun, où la pêche illégale compromet les moyens de subsistance des pêcheurs locaux. Au Ghana, certains chalutiers chinois pratiquent aussi le «saiko». Il s’agit d’une pratique illégale qui exploite massivement les ressources maritimes du pays et menace la durabilité des réserves halieutiques.
La prédation minière
Mais le pillage chinois ne se limite pas aux mers. La présence chinoise dans le secteur minier africain suscite également de vives critiques en raison de pratiques illégales et de leurs conséquences environnementales et sociales.
Profitant des ressources limitées des Etats pour contrôler leurs territoires, les acteurs chinois exploitent notamment les failles administratives et les zones d’instabilité pour maximiser leurs gains. Dans le Sud-Kivu par exemple, la faible capacité de surveillance de l’Etat favorise la persistance de l’exploitation illégale. Selon l’Agence congolaise de presse, plus de 147 entreprises minières chinoises opèrent illégalement au Sud-Kivu
Au Ghana, les entreprises chinoises ont un impact écologique dévastateur, mettant en difficulté le gouvernement, accusé de laisser faire cette prédation néfaste.
Au Nigeria, les arrestations de ressortissants chinois pour activités minières illégales se sont multipliées en 2024, comme au Ghana.
Ironiquement, ces arrestations ont même poussé l’ambassadeur chinois au Ghana à rappeler à ses compatriotes l’importance de respecter les législations locales.
Ces nombreuses accusations de pratiques minières non réglementées et d’atteintes à l’environnement témoignent d’une logique de domination économique qui va bien au-delà d’un simple partenariat dit pourtant gagnant-gagnant, contrairement à d’autres qui sont considérés comme ne l’étant pas.
Le piège de la dette qui accroit la dépendance africaine
La stratégie de la Chine en Afrique s’appuie sur un système de prêts et de crédits qui renforce sa mainmise sur le continent. Par le biais de sa «diplomatie du chéquier», expression d’ailleurs jadis utilisée dans le cadre de la coopération entre les Etats africains et Taïwan, Pékin propose des financements massifs pour des projets d’infrastructures, souvent sous forme de crédits aux conditions avantageuses en apparence. Lors du 9e Forum sur la coopération sino-africaine (Focac), la Chine a ainsi annoncé un soutien financier de 50 milliards de dollars dont la moitié sous forme de crédits. Ces prêts, cependant, creusent les dettes des pays africains et aggravent leur dépendance économique envers Pékin. Ceci concerne également le Sénégal dont certaines autorités saluent la dette contractée vis-à-vis de la Chine tout en fustigeant l’endettement du pays et sa vulnérabilité supposée aux institutions de Bretton Woods et aux prêteurs européens traditionnels.
Lorsque des pays se retrouvent en défaut de paiement, les créanciers chinois obtiennent des concessions stratégiques, comme le contrôle d’infrastructures critiques telles que des ports, des aéroports ou des chemins de fer. Ce modèle, qualifié par certains d’outil de colonialisme économique et financier, permet à Pékin de s’assurer un accès privilégié aux ressources naturelles du continent tout en renforçant son influence diplomatique. Les largesses chinoises, souvent accompagnées de cadeaux destinés aux élites politiques locales, garantissent par ailleurs le soutien des pays africains dans des arènes internationales, comme l’Assemblée générale des Nations unies, notamment sur des dossiers stratégiques tels que Taïwan.
Ce système de crédit, présenté comme un partenariat gagnant-gagnant, révèle ainsi une asymétrie grandissante qui place les nations africaines dans une situation de dépendance, tout en consolidant le rôle de la Chine comme puissance économique et politique incontournable sur le continent.
Eteindre les critiques : un contrôle des médias locaux
La Chine déploie une stratégie sophistiquée pour influencer l’espace médiatique africain, en combinant investissements massifs, formation de journalistes et diffusion de contenus pro-Pékin. Cette mainmise sur les médias du continent permet de valoriser les récits, politiques et opinions pro-Chine en Afrique, et d’empêcher la diffusion de critiques ou remises en question de l’exploitation chinoise du continent. Au Kenya, par exemple, plus de 500 journalistes et collaborateurs locaux travaillent désormais pour des agences de presse chinoises, comme China Global Television Network (Cgtn) ou Xinhua, ce qui permet à Pékin d’orienter la couverture médiatique et de minimiser les critiques à son égard.
Le cas du Standard Group en 2018 illustre cette influence : le groupe de presse kenyan a subi des pressions considérables après avoir tenté de publier un rapport d’enquête sur des soupçons de corruption liés au Standard Gauge Railway, une infrastructure ferroviaire majeure construite par la Chine. Cette situation montre comment Pékin parvient à neutraliser les critiques locales, en protégeant ses projets d’infrastructures stratégiques tout en consolidant son image de partenaire économique incontournable en Afrique.
Un désintérêt pour les populations africaines locales
Si la Chine cherche ainsi à soigner son image en Afrique, plusieurs incidents récents montrent un mépris sous-jacent pour les populations locales lorsque ses intérêts économiques ou stratégiques sont en jeu. De nombreux témoignages locaux dénoncent les abus et mauvais traitements subis par les employés africains dans certains projets chinois. En septembre 2024, la compagnie pétrolière chinoise Cnooc a été accusée de violations graves des droits humains en Afrique, incluant des expropriations brutales, des violences sexuelles et une pollution délibérée, comme le déversement d’eaux contaminées dans des lacs ou sur des terres agricoles, détruisant ainsi des moyens de subsistance locaux.
Par ailleurs, des milliers d’Africains se retrouvent séquestrés en Asie du Sud-Est dans des centres de cyberfraude, contraints d’extorquer des Occidentaux sous la menace, illustrant une exploitation cynique où les victimes deviennent elles-mêmes des instruments d’escroquerie. Ces faits révèlent que la présence chinoise en Afrique, souvent présentée comme une relation gagnant-gagnant, dissimule en réalité une logique prédatrice, où les populations locales ne sont qu’une variable d’ajustement dans la défense des intérêts économiques et stratégiques chinois.
Ainsi, les promesses de coopération et de respect réciproque de la Chine à travers des événements comme ce symposium sur la sécurité maritime ne semblent être que de façade. L’Afrique a le devoir de ne pas être traitée comme une zone d’exploitation géopolitique et économique. Elle a besoin, avec les Chinois, les Français ou les Turcs d’être un partenaire respecté dont les intérêts stratégiques sont préservés.
Birane GAYE – Expert en géopolitique