Syndicats patronaux et émergence

Depuis le libéralisme dans le champ politique intervenu dans les années 1980, le foisonnement est la marque de fabrique du Sénégal. C’est dans la presse que cela se remarque facilement. Le nombre de journaux, radios, chaînes de télévision, comme également les sites internet et portails d’information, a littéralement «explosé» durant les 20 dernières années. La même situation se retrouve également dans le monde du travail. Le nombre de syndicats ne fait qu’augmenter, quel que soit le secteur concerné. Il en est de même des syndicats patronaux. Des structures comme le Conseil national du patronat (Cnp), la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (Cnes), doivent partager la lumière avec le Groupement économique du Sénégal (Ges), le Club des investisseurs du Sénégal dirigé par Goudiaby Atépa, le Mouvement des entreprises du Sénégal (Medes) de Mbagnick Diop, ainsi qu’avec le Club 50% de préférence nationale fondé par Abdoulaye Sylla, le patron d’Ecotra. En dehors des deux premières organisations citées, personne n’est en mesure de calculer le niveau de représentativité de toutes ces structures qui veulent parler au nom des entreprises du Sénégal.
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A l’heure actuelle, il y a un peu plus de 407 880 entreprises recensées au Sénégal, essentiellement des Pme et Pmi. L’Etat, dans le cadre du Plan Sénégal émergent (Pse), a fondé beaucoup d’espoir pour un décollage économique impulsé par le secteur privé, notamment dans le cadre du Pap2a. Les secteurs industriel et agroindustriel en particulier, devaient se diversifier et contribuer grandement à la résorption du chômage des jeunes. Pour ces objectifs, les pouvoirs publics n’ont pas lésiné sur les moyens. Alors que le pays va passer à la phase d’exploitation des ressources minières et pétrolières de son sol et de son sous-sol, des textes de loi ont été élaborés et adoptés pour favoriser et faciliter l’implication des nationaux, à travers la loi sur le contenu local, notamment dans le secteur des hydrocarbures.
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Mais, même dans ces domaines, si l’on voit de timides incursions des nationaux dans certains secteurs bien ciblés, on a plutôt le sentiment que les entrepreneurs sénégalais sont plus tentés par des joint-ventures avec des sociétés étrangères. Même ceux qui clament très haut leur souhait de voir des marchés publics réservés aux nationaux, ne veulent pas s’avancer quand l’Etat ne déblaie pas le terrain pour eux. Pire, même quand il arrive que les pouvoirs publics leur offrent des marchés sur un plateau d’argent, ces entrepreneurs nationaux ne se distinguent pas toujours par leur gestion orthodoxe des affaires. Des cas flagrants ont été notés quand il a fallu «arracher» certains marchés publics pour le Train express régional (Ter) ou sur le Pôle urbain de Diamniadio, à des nationaux, pour les confier à des étrangers. Si cela n’avait pas été fait, ces marchés n’auraient alors été que des gouffres financiers.
S’il est vrai que nos capitalistes locaux traînent beaucoup de tares, nos pouvoirs publics ne sont pas non plus exempts de fautes. On pourrait même considérer que les deux choses sont liées. A voir le pedigree de la plupart des chefs d’entreprise sénégalais et la situation de leurs affaires, on se rend compte qu’ils ne survivent que grâce à la perfusion des deniers publics. Combien reste-t-il des milliardaires «créés» par l’ancien Président Abdoulaye Wade ? Une fois qu’ils ont été sevrés des marchés publics réalisés à coups de rétro-commissions, beaucoup ont mis la clé sous le paillasson et se sont faits discrets. Certains ont pu se recycler en entrant dans les bonnes grâces des autorités actuelles, tandis que d’autres ont dû laisser la place à de nouveaux «champions» nés avec le nouvel ordre des choses. La situation est telle que personne ne s’étonne que le pays doive toujours recourir à des financements extérieurs pour équilibrer son budget.
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La réalité de notre situation économique influe fortement sur notre politique internationale. Certains des compatriotes qui se bercent de l’illusion qu’une fois le pétrole et le gaz sortis de nos côtes océanes, nous pourrons, à l’instar de certains pays arabes, regarder de haut nos partenaires étrangers, occidentaux en particulier, devraient très vite se réveiller de leurs rêves en couleurs. Nous avons encore un très long chemin à faire. Et ce, dans beaucoup de domaines. Mais il est vrai que nous ne pourrons pas tout embrasser d’un seul coup. Néanmoins, dans le secteur économique, nous pourrons déjà commencer par créer des champions, et cesser des nous mettre des bâtons dans les roues.
La première des choses à faire, avec une forte incitation des pouvoirs publics, serait de réduire le nombre des structures patronales. Les grands pays industrialisés d’Europe et des Amériques, et même d’Asie, qui comptent chacun des milliers d’entreprises, n’ont pas plus d’une seule centrale patronale, ou plus d’une centrale syndicale par secteur. Pourquoi l’Etat, qui connaît déjà le niveau de faiblesse de nos sociétés, continue-t-il de tolérer la présence de «coquilles vides», aussi bien du patronat que du monde ouvrier, en sachant qu’elles n’ont pour seul but que de perturber le fonctionnement des affaires ? A une époque pas très éloignée, des gouvernants avaient favorisé cette politique de fragmentation. On a vu qu’elle n’a rien apporté de positif, tout au contraire. La multiplicité de ces organisations qui n’existent que sur le papier, et sont réduites à la présence de leur leader, n’est pas un facteur de développement. Pour que le pays espère pouvoir émerger, l’Etat doit mettre fin à la recréation.
Par Mohamed GUEYE – mgueye@lequotidien.sn