D’avoir vécu les affres des hôpitaux sénégalais pendant de longues décennies et d’avoir souffert de la détresse d’une amie et collègue médecin malade du cancer qui erre depuis de longs mois en quête de remèdes introuvables au Sénégal et se mourant à petit feu, j’ai décidé de parler ! Saint-Exupéry disait bien : « …Et si un seul souffre dans mon peuple, sa souffrance est grande comme celle d’un peuple. Et en même temps, il est mauvais que celui-là ne se sacrifie point pour servir le peuple». Sacrifice  serait peut-être un trop grand mot, mais en ce qui me concerne, ma conviction est que je dois continuer à servir les gens de mon pays !  La situation des hôpitaux sénégalais est grave et inquiétante !  De 1974 à ce jour, à divers titres, en tant qu’acteur (stagiaire, praticien, expert), j’ai eu à étudier les caractéristiques (infrastructures, équipements, ressources humaines, activités) des principaux hôpitaux sénégalais. Alors, en cette période où l’on parle de renouveau, «d’émergence», dans notre pays, j’ai pensé qu’en ce qui concerne les hôpitaux, il m’a paru évident que cela devait d’abord débuter par un état des lieux. C’est à cet exercice que je me suis appliqué. Les hôpitaux sénégalais posent problème ! Mais surtout, que l’on ne s’y méprenne pas : il ne s’agit là que d’une contribution d’un professionnel de la santé ; sans arrière-pensée aucune !
En effet, il n’y a guère, à travers un communiqué paru dans la presse, le ministère de la Fonction publique, de la rationalisation des effectifs et du renouveau du service public annonçait quasi fièrement que, dorénavant, les fonctionnaires sénégalais malades pourraient bénéficier d’un transfert ou d’une évacuation sanitaires vers les hôpitaux marocains.
Cette annonce a provoqué en moi, le «vieux» praticien de médecine, honte et dépit de voir que nos autorités ont préféré délaisser l’expertise médicale nationale pourtant internationalement appréciée pour l’Ecole marocaine de médecine ! Cette école marocaine (que je respecte !) a moins de soixante ans d’âge ! L’Ecole sénégalaise de médecine est en train de fêter ses cent ans !
Mais encore, pourquoi les fonctionnaires qui ne représentent qu’une faible minorité ? Et les autres Sénégalais ? Que signifie alors l’équité dans l’accès aux soins dont on parle tant ? Normalement, l’équité signifie «un égal accès des citoyens à des soins de qualité» ! Les déterminants en sont : la disponibilité de soins de qualité ; leur accessibilité géographique et financière ; leur continuité. Force est de constater que l’on est loin de tout cela au Sénégal ? Pourquoi ?  L’on se défaussera  sur la pauvreté de notre pays. Cepen­dant, Cuba, pays pauvre, sous embargo pendant de longues années, possède un système de santé meilleur que celui de beaucoup de pays plus nantis !
Mais comment en est-on arrivé là au Sénégal ?
Malheureusement, notre pays, par défaut d’ambition, a souvent préféré subir les recommandations venues d’ailleurs, ignorant l’expertise nationale. La Conférence d’Alma Ata de l’Oms en 1978, qui a servi de viatique à notre pays, a certes introduit des progrès dans beaucoup  de domaines,  mais en médecine hospitalière, elle a causé de grandes catastrophes ! Les recommandations disaient notamment et expressément de ne pas construire de grosses infrastructures (les hôpitaux), car elles étaient chères à bâtir et à entretenir. Chers à bâtir et entretenir, certes, mais les hôpitaux devenaient nécessaires car nombre de pays comme le nôtre subissent ce que l’on a appelé la «transition épidémiologique». En effet, les grandes endémies ont disparu ou sont contrôlées et de nouvelles maladies jusque-là confinées aux pays du Nord industrialisés, ont fait leur apparition, devenant de plus en plus préoccupantes par leur prévalence et leurs coûts de traitement élevés. Depuis longtemps déjà, notre pays connait un fort taux d’urbanisation et les populations sont en train d’adopter le mode de vie «occidental» (alimentation, activités). Les pathologies sont dominées par le diabète, les maladies cardio-vasculaires, les cancers, les traumatismes ; toutes affections qui se traitent à l’hôpital !
Nos hôpitaux ne sont pas armés pour faire face car leurs tares sont nombreuses !
L’Oms, notre donneur de leçons, a ignoré la survenue de la transition épidémiologique dans nos pays ! Nous en faisons les frais !
Mais quelles sont les missions de l’hôpital ? Subséquemment, comment doit-il être configuré ? Un hôpital est un équipement social (construit alors là où les gens vivent !). L’hôpital possède quatre catégories de missions : la dispensation de soins curatifs ; la prévention sanitaire ; l’enseignement et la formation aux métiers de la santé ; la recherche médicale. «L’hôpital est l’élément d’une organisation de caractère médical et social dont la fonction consiste à assurer à la population des soins médicaux complets, curatifs et préventifs, et dont les services extérieurs irradient jusqu’à la cellule familiale considérée dans son métier ; c’est aussi un centre d’enseignement de la médecine et de recherche bio-sociale» (Oms).
Le système hospitalier doit être accessible. Cette importante considération pose le problème du site d’implantation d’un hôpital. C’est pourquoi : «…les techniques architecturales, l’expansion urbanistique et le souci de faire de l’hôpital l’instrument essentiel d’une politique de protection et de promotion de la santé imposant l’intégration des institutions sanitaires dans le tissu urbain». Le contre-exemple en est l’hôpital pour enfants de Diamniadio construit en «plein désert humain» ! Pour mieux réussir l’intégration de l’hôpital dans la ville : «Des méthodes statistiques d’analyse de la demande effective en soins médicaux, en fonction de paramètres démographiques et socio-économiques, permettant de mesurer l’écart entre la demande et les besoins théoriques et de fonder la planification sur une base objective» (Bridgman Rf). La planification, voilà l’outil de prédilection ! C’est pour ce faire, qu’au début des années 2000, dans une correspondance adressée à Monsieur Abdou Fall, alors ministre de la Santé,  je lui suggérai de créer un comité ad hoc constitué de médecins épidémiologistes, d’urbanistes, d’architectes, de planificateurs, etc. pour programmer la création et l’implantation des futurs hôpitaux à travers le pays. En vain ! Mais il demeure qu’un hôpital ne se construit pas n’importe où !
Comment configurer l’infrastructure de l’hôpital pour lui faire remplir ses missions ? Sur le plan architectural, la conformation hospitalière doit répondre à des normes relativement codifiées de dimensions et de disposition des différents locaux. Par ailleurs, grossièrement, un hôpital doit comprendre cinq secteurs agencés selon un ordre bien établi.
Deux secteurs sont ouverts sans restriction au public :
un secteur externe non médicalisé : commerces ; restaurants ; banques ; postes ; etc. ;
un secteur médicalisé externe offrant des prestations médicales aux usagers externes : consultations ; prélèvements pour analyses biologiques ; etc.
Puis suivent des zones d’accès réglementé, réservés aux professionnels de santé et aux patients hospitalisés :
le plateau technique : bloc opératoire central et unité de soins intensifs mutualisés; etc. ;
les salles d’hospitalisation ;
les dépendances techniques : laboratoires d’analyses ; pharmacie ; buanderie ; lingerie ; ateliers ; etc.
L’Unité d’accueil des urgences (Sau) est habituellement un secteur autonome, satellite des autres unités. Il doit être isolé (souvent à l’extérieur de l’hôpital ou alors avec un accès dédié) et ne doit pas créer d’encombrement.
Les hôpitaux universitaires doivent comporter d’autres attributs dédiés à l’enseignement, à la formation des personnels de santé et à la recherche : amphithéâtres ; salles de cours ; laboratoires de recherche ; salles de simulation pour les apprenants. Une telle configuration n’existe nulle part au Sénégal ! Tous les hôpitaux universitaires du Sénégal ont été improvisés ! Même l’Hôpital Dalal Jamm, le plus récent, est assez éloigné de ces caractérisations ! Cela est dommage, car ils doivent être considérés comme de véritables écoles ; et leur moins bonne qualité rejaillit sur la valeur des enseignements.
Mais alors, quel est l’état des lieux des hôpitaux sénégalais ?
Faire l’inventaire serait long et fastidieux (et je n’en ai pas la capacité !) ; aussi, ferai-je un diagnostic global en fonction de l’infrastructure, des équipements, des ressources humaines ; de l’organisation interne et de la structuration du système hospitalier.
Sur le plan architectural, hormis le choix du site d’implantation déjà évoqué, la conception doit prendre en compte quelques principes, dont :
la mutualisation des équipements et des ressources humaines (économie d’échelles) ;
le respect des règles d’hygiène et de sécurité ;
le respect de l’ergonomie: agencement optimal des locaux et des espaces pour faciliter le travail et la circulation des personnes, des matériels et des produits : éviter notamment une trop grande dispersion des locaux ; ce qui occasionne de trop grandes distances à parcourir pour les patients et les personnes ;
l’hôpital est un espace de vie pour les patients et pour le personnel.
L’Hôpital de Fann est le contre-modèle de ces principes : plus de 30 hectares gaspillés par une mauvaise occupation du sol ; des services dispersés, clôturés (véritables hôpitaux dans l’hôpital, sans synergie apparente). A Fann, l’on a pu compter cinq blocs opératoires et l’on en a annoncé un sixième avec le futur centre de transplantation : cela n’est pas rationnel ; c’est un véritable gâchis organisationnel ! La conséquence en est un surcroît de charges récurrentes !
Mais avant l’Hôpital de Fann, Le Dantec, qui est en train de tomber en ruine, a été victime de cette compartimentalisation des services. Le Service de médecine est fermé depuis quelques mois ; le bâtiment principal du Service d’urologie, le plus récent, s’est effondré ; la maternité est fermée depuis dix ans ; le Service d’orl a déménagé à Fann car le bâtiment menaçait ruine ! Cette énumération est loin d’être exhaustive ! L’on dirait que les autorités de ce pays ont programmé la mort de Le Dantec !
Rénover nos hôpitaux pour les mettre aux normes architec­tu­rales ; voilà le véritable défi ! Cependant, la difficulté est que, même dans notre pays, l’on ne pourrait concevoir des hôpitaux de la même façon ! En effet, les milieux sont différents : on ne peut pas construire à Matam comme on le ferait à Dakar. Ici, l’on privilégiera sans doute le style pavillonnaire, plus adapté à la campagne aux constructions verticales plus conformes à la ville moderne qu’est Dakar. Mais encore faudrait-il faire des projections et des prospectives ; on construit aussi pour l’avenir : que deviendra la ville ? Quelles constructions pérennes faut-il envisager ? Toutes ces réflexions devraient être portées par des architectes et des urbanistes rompus à la conception hospitalière. C’est un véritable métier dont les véritables spécialistes sont malheureusement quasi inexistants au Sénégal ! Quelle taille devrait avoir un hôpital moderne ? «Il est prouvé, d’une part, que les petits hôpitaux ne peuvent plus satisfaire de façon économique les impératifs de la médecine moderne, d’autre part, que les très grands établissements souffrent de graves problèmes d’organisation et de gestion. L’optimum de  capacité se situe autour de 500 à 700 lits ; ce qui correspond à une emprise au sol de 40 000 à 60 000 mètres-carrés» (Bridgman  Rf). L’Hôpital de Fann compte plus de 300.000 mètres-carrés ; soit 5 à 8 fois plus ! (A SUIVRE)

Professeur Cheikh
Tidiane TOURE
-Président de l’Association de Chirurgie d’Afrique Francophone
-Membre de l’Académie Nationale des Sciences et Techniques
du Sénégal
-Membres de l’Académie Française de Chirurgie
-Membre d’Honneur
de l’Association Française
de Chirurgie
-M. Sc Université de Montréal
-Ancien lauréat du Prix de Recherche de la Faculté de Médecine de Montréal
-Ancien Titulaire de la Chaire Générale de la Faculté de Médecine de l’UCAD
-Ancien Chef du Service de Chirurgie Générale de
l’Hôpital A. Le Dantec