Deux très beaux livres permettent de cerner l’histoire du wax, tissu imprimé le plus vendu d’Afrique et de percer quelques-uns de ses secrets.

Qui suis-je ? La styliste anglaise Stella McCartney m’a choisi pour sa nouvelle collection présentée en Europe en octobre 2017. Le Français Christian Louboutin a fait de moi un Africaba, un gros sac fourre-tout. Et les grandes mar­ques fashion, de Zara à Eleven Paris, me conjuguent depuis quelques années avec la tendance. Réponse ? Le wax, évidemment, tissu qui poursuit sereinement depuis plus de deux cent cinquante ans ses tours de globe.
Né au milieu du XIXe siècle, le «batik industriel» a été mis au point par les Hollandais, au départ pour les Indonésiens… qui l’ont boudé. Mais le tissu imprimé, commercialisé et popularisé par les Nana Benz, a réussi à séduire l’Afrique de l’Ouest. Fabriqué en Europe, mais également en Afrique et de plus en plus en Chine, il s’est aujourd’hui rendu indispensable sur tout le continent.

Essoufflement de Vlisco ?
Hasard de l’actualité littéraire, deux gros ouvrages superbement illustrés sont revenus presque au même moment sur les facettes politique, artistique et économique de ce tissu haut en couleurs. L’un, Wax & Co. (Editions de La Martinière), est signé Anne Grosfilley, docteure en anthropologie, spécialisée dans le textile et la mode en Afrique. L’au­tre, Wax (éditions Hoëbeke), a été écrit par Anne-Marie Bouttiaux, an­thropologue et historienne de l’art.
Le wax, comprend-on en les lisant, reste un phénomène. D’a­bord commercial : Vlisco, la marque hollandaise historique (fondée en 1846), reconnaît produire 70 millions de yards de tissus (environ 64 millions de mètres) chaque année, et les écouler à 90 % en Afrique. «Mais la marque s’essouffle», souligne Anne Grosfilley.

«Le wax est aussi une affaire culturelle qui charrie d’innombrables références et
symboles»
Elle est concurrencée par l’industrie textile chinoise, qui n’hésite pas à piller ses dessins et qui joue sur le dumping social pour casser le marché… Elle tente de vendre plus en Europe aujourd’hui et mène une politique gagnante de collections originales, exclusives et limitées (donc difficilement copiables) via sa filiale ivoirienne Uniwax.  Au-delà des gros chiffres, le tissu est aussi une affaire culturelle qui charrie d’innombrables références et symboles.

Afficher son niveau d’éducation
Ce motif «Alphabet ABC» a été créé en 1920 par le fabricant hollandais HKM. «Au départ, porter ce tissu était aussi une manière de montrer qu’on était passé par le système scolaire colonial, note Anne Grosfilley. Un moyen de dire : “Je sais lire, écrire, je connais le sens de ces signes.”.»
Le motif a été repris au moment des élections, s’accompagnant de l’effigie de Félix Houphouët-Boigny ou de celle de Henri Konan Bédié. «Le wax devient alors aussi un outil de propagande pour le Pdci, qui montre l’importance qu’il accorde à l’enseignement», précise Anne-Marie Bouttiaux. Tou­jours très populaire, régulièrement reproduit et redessiné, l’alphabet prouve que l’instruction reste vue comme un moyen d’ascension sociale et d’émancipation, et qu’il valorise ceux qui le portent.

Politiser son pagne
«C’est au moment de l’indépendance que les pagnes politiques ont commencé à se diffuser, souligne Anne-Marie Bouttiaux. Il fallait un vêtement local aux couleurs des partis, montrant l’effigie des grandes figures politiques pour reconstruire une identité et une fierté nationale. Mais porter un tissu Bongo ne veut pas forcément dire qu’on le soutient, on peut s’en vêtir parce qu’il a tout simplement été offert. Il reste dans tous les cas un étendard et un instrument de communication important.» Les pagnes, généralement du «fancy», du tissu imprimé de moindre qualité, sont parfois fabriqués localement… mais, ironiquement, certains sont aussi produits en Asie pour vanter les mérites des champions nationaux.

Succomber à l’Obamania
Les grandes figures étrangères se déclinent aussi sur les pagnes. Jacques Chirac, François Hollande, la Reine d’Angleterre Elisabeth II, tous ont eu leur faciès (plus ou moins bien) reproduit sur tissu. L’élection de Barack Obama, fin 2008, a créé un mouvement particulier. «La marque Vlisco, à elle seule, a consacré au moins sept pagnes au Président américain, comptabilise Anne Grosfilley. Mais la tendance s’est tassée lors de son second mandat, sans doute parce que les espoirs qu’il suscitait en Afrique ont été déçus.» A notre connaissance, aucun pagne Trump n’a en revanche été fabriqué à ce jour.Exalter la fierté féminine
Comme ce wax porté par une femme congolaise, qui affiche le slogan «La maman est aussi importante que le papa», les vêtements servent parfois à diffuser des messages combatifs. Parfois le sens de l’imprimé est moins évident. Le motif de Vlisco «La famille», aussi appelé «Mon mari est incapable» montre des poules, des œufs, des poussins et des coqs réduits au seul dessin de leur tête. Il faut comprendre que selon le dessin ce sont les femmes qui préservent «l’unité, le bien-être et la santé de la famille».

Envoyer un avertissement
«Certains pagnes peuvent servir à envoyer des messages à un époux ou à des coépouses, constate Anne Grosfilley. Bien sûr, ce n’est pas automatique, cela dépend du contexte, du pays ou même du village… mais la symbolique de certains motifs est si évidente qu’elle prête forcément à interprétation.» Exemple : «Je cours plus vite que ma rivale», et son motif de cheval qui se cabre, peut servir d’avertissement à une concurrente. Idem pour le wax «Les z’ongles de Madame Thérèse» qui fait référence à Marie-Thérèse, épousée en secondes noces par Félix Houphouët-Boigny et qui, disait-on, était prête à sortir les griffes pour écarter ses rivales. «Porter ce tissu peut vouloir dire : si j’attrape la maîtresse de mon mari, elle va passer un sale quart d’heure. Je suis une femme forte, je ne vais pas m’en laisser conter.»

Faire parler les animaux
Certains wax jouent sur les métaphores en convoquant un large bestiaire. La poule évoque une figure maternelle, un banc de poissons peut renvoyer à l’abondance, les mêmes cuits à la braise, une invitation à faire la fête et un bon gueuleton. Quant au dessin d’un canard en vol, il peut rappeler l’immigration. Le dessin d’hirondelle, créé en 1949 par Vlisco, est l’un des motifs les plus portés et repris. Parfois appelé «L’argent s’envole» («Money Can Fly», au Ghana), c’est une exhortation à ne pas jeter l’argent par les fenêtres.
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