Le gouvernement invoque des mesures sociales pour justifier les pertes des recettes financières qui ont commencé à inquiéter même ses partenaires. Pourtant, la solution pour se renflouer, pourrait être de ne pas fragiliser les entreprises nationales par des mauvaises politiques libérales.

En reconnaissant devant les partenaires techniques et financiers que les tensions de trésorerie que connaît actuellement le pays sont pour une bonne partie dues aux options politiques et économiques du chef de l’Etat, le ministre de l’Economie, des finances et du Plan, M. Amadou Ba, a fait un grand pas dans la bonne direction. Mais l’option qu’il a présentée n’est pas des plus rassurantes. A l’en croire, les Sénégalais n’auraient pour choix que de se morfondre dans la misère et les difficultés, afin de permettre à leur gouvernement de combler ses fins de mois. C’est ce qui ressort quand il dit : «C’est au choix. Ou bien on décide d’augmenter les prix et ce sont les Sénégalais les plus faibles qui vont souffrir, ou bien on serre, mais le temps d’ajuster tout cela, on se retrouve avec quelques difficultés qui sont passagères, voulues et souhaitées par le gouvernement du fait de la politique sociale menée».
Il est exact que le gouvernement aurait pu pratiquer la vérité des prix sur les hydrocarbures et augmenter les prix des carburants en fonction de la hausse du prix du baril du pétrole. Il aurait pu aussi annihiler les effets de la baisse des tarifs de l’électricité. Cela aurait sans doute évité de devoir à nouveau subventionner la Senelec afin d’avoir à couvrir son manque à gagner du fait de la politique des prix appliqués. Comme l’a dit le ministre avant-hier, 200 milliards de subventions diverses pour la seule Senelec, sans compter les 30 milliards dus à la Société africaine de raffinage (Sar), «c’est autant de ressources qui sont prélevées dans d’autres secteurs». Mais, on le sait, ce n’est pas la seule vérité.

Impunité fiscale
Le vrai problème de nos finances publiques, c’est que continuent de subsister de nombreuses niches d’impunité fiscale, qui font que l’Etat n’a aucune maîtrise sur son budget. Les moins-values de recettes dues aux fluctuations des produits pétroliers auraient pu être très largement compensées si les secteurs productifs de l’économie étaient encouragés à produire, dans un environnement économique sécurisé. Mais cela est très loin d’être le cas.
Combien de fois dans l’année, n’apprend-on pas que des centaines, voire des milliers de tonnes de sucre, d’huile ou de fer entrent dans le pays en contrebande ? Combien de fois n’a-t-on vu les Forces de l’ordre appréhender des délinquants économiques, parce qu’ils ont fait entrer dans le pays des produits de manière illégale ? Et combien de fois n’a-t-on vu ces mêmes personnes interpellées la veille, plastronner quelques jours après, aux côtés des plus hautes personnalités du pays, qui leur apportent ainsi leur caution, et pas seulement morale ?
Le Sénégal est en train de se transformer lentement mais sûrement, en un désert industriel du fait d’une politique de libéralisation mal assimilée. Cette situation commence même à inquiéter ses partenaires traditionnels. Le Quotidien le disait déjà avant-hier, le gouvernement «assume» sa décision d’accorder plus de 30 mille tonnes de sucre à des négociants de Sandaga et de Touba, au moment où la Css assure pouvoir combler très largement les besoins du pays. Cet acte pourrait contraindre la société nationale de mettre une partie de son personnel en chômage technique. Et ce seront alors des centaines de familles de Richard Toll et d’alentours qui ne pourront plus payer les factures d’électricité subventionnées de la Senelec, ou profiter du carburant maintenu artificiellement bas par Amadou Ba.

Au profit de «grands électeurs»
Et il n’y a pas que le sucre. Des Dipa pour l’huile et le fer ont également été distribués à tout va, pour satisfaire une certaine clientèle dont le poids politique, ou même la capacité de nuisance, restent très largement à prouver. L’illustration la plus évidente, est la mort de la filière tomate dans la Vallée, l’une des filières agricoles les plus abouties. On a fragilisé l’industriel qui était depuis des décennies, en partenariat avec les paysans, mais on n’a jamais pu lui trouver un remplacement crédible. En conséquence, depuis quelques années, la filière périclite, et les paysans tendent à se détourner de la culture de la tomate. Au point que le Sénégal, l’un des rares pays africains à posséder des usines de tomate, risque bientôt de se contenter de transformer les doubles concentrés importés de Chine.
Ce qui est pire avec cette politique de l’Etat, c’est qu’en plus de mettre à mal l’industrie nationale, elle prive le pays d’importantes recettes fiscales. La majorité des produits qui entrent grâce aux faveurs de l’Admi­nistration, sont soit exonérés d’impôts, soit passent par des circuits illégaux. Il est arrivé, sur des cargaisons de sucre entrées au moment où les Dipa étaient censés être suspendus, que l’Etat perde plus de 3,5 milliards de droits de douanes. Comment la production nationale pourrait être compétitive dans ces conditions ?
La question des pertes des recettes va, pour ce pays, bien au-delà de quelques subventions. Il s’agit de l’existence d’une économie nationale compétitive. Et puisque, contexte électorale aidant, on veut privilégier quel­ques «grands électeurs», les dirigeants devraient penser aussi à tous ces potentiels électeurs qui vont se retrouver au chômage parce que leurs entreprises auront fermé. Il y a aussi ceux qui, diplômés ou non, qui ne trouveront pas d’emploi, parce que le peu d’entreprises qui parviennent à subsister dans cet environnement difficile, sont trop occupées à lutter pour leur survie, avant de songer à recruter. Si le contexte pré-électoral freine la volonté des dirigeants à redresser la barre, la solution pour trouver de l’argent, pourrait consister à faire en sorte que les entreprises nationales n’en perdent pas du fait des mauvaises politiques.
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