Territorialisation des politiques publiques et Vision Sénégal 2050 : Le rôle central des Pme sénégalaises, cellules de ces écosystèmes territoriaux

1. Pertinence : Pourquoi la territorialisation est indispensable
La Vision Sénégal 2025/2050 ambitionne une transformation structurelle de l’économie et une société inclusive. Une approche centralisée et uniforme est vouée à l’échec. La territorialisation est pertinente car elle permet :
· D’exploiter les avantages comparatifs territoriaux : le Sénégal n’est pas un marché homogène. La vallée du fleuve Sénégal (agro-industrie), la zone côtière (pêche, tourisme, énergies renouvelables), le Bassin Arachidier (agro-business), et les pôles urbains (Dakar, Thiès, Saint-Louis pour les services, Tic et industrie) ont des potentiels distincts. La territorialisation consiste à bâtir une stratégie nationale sur une mosaïque de stratégies régionales spécialisées.
· D’ancrer localement le développement : elle garantit que la croissance générée par les grands projets nationaux (Vision Sénégal 2050, gaziers, miniers) profite aux territoires où ils s’implantent via des liens économiques locaux (sous-traitance, approvisionnement), luttant ainsi contre les déséquilibres régionaux et l’exode rural.
· D’améliorer l’efficacité des politiques publiques : les acteurs locaux (collectivités territoriales, chambres de commerce, organisations professionnelles) ont une connaissance fine des contraintes et opportunités du terrain. Les politiques sont donc plus adaptées, plus réactives et mieux acceptées.
· De fédérer les acteurs : elle crée une dynamique de co-construction Etat-Régions-Secteur privé-Universités, essentielle pour une vision long-terme comme le Sénégal 2050 (le «Projet»).
2. Les Enjeux d’approche Pestel : Ce qui est en Jeu
· Economique : transformer la structure productive du pays en passant d’une économie de rente et de services à une économie industrielle et exportatrice diversifiée, ancrée dans ses territoires.
· Social : créer une croissance inclusive et des emplois décents sur l’ensemble du territoire, réduisant la pauvreté et les inégalités spatiales.
· Institutionnel : réussir l’Acte III de la décentralisation en dotant les régions de réelles compétences économiques et des moyens humains/financiers adéquats.
· Environnemental : gérer de manière durable les ressources naturelles (eau, sols, littoral) en adaptant les modèles de production aux spécificités et vulnérabilités de chaque écosystème.
3. Les Défis Majeurs à Relever
· Gouvernance multi-niveaux : éviter le chevauchement des compétences et les conflits entre l’Etat central et les collectivités territoriales. Définir clairement les rôles.
· Capacités techniques et financières locales : les régions manquent souvent d’ingénierie financière, de compétences en planification stratégique et en montage de projets pour piloter leur développement économique.
· Coordination des acteurs : faire travailler ensemble de manière efficace l’administration déconcentrée de l’Etat, les élus locaux, le secteur privé formel et informel, et le monde académique est un défi culturel et organisationnel.
· Financement : trouver des mécanismes de financement pérennes pour les projets de développement territorial au-delà des subventions de l’Etat (fonds propres, partenariats public-privé, fonds d’investissement dédiés).
4. Les Pme sénégalaises : Cellules de ces écosystèmes
territoriaux
La réussite de la territorialisation repose sur sa capacité à créer, consolider et connecter un tissu dense de Pme locales.
· Pourquoi les Pme sont les «Cellules» ?
· Créatrices d’emplois : elles sont les principales pourvoyeuses d’emplois locaux et durables.
· Innovation de proximité : elles sont agiles et innovent pour répondre aux besoins spécifiques de leur marché local.
· Résilience : un tissu dense de Pme diversifiées rend l’économie territoriale plus résiliente aux chocs qu’une dépendance à une seule grande entreprise.
· Intégration des chaînes de valeur : elles sont les maillons essentiels pour approvisionner les grandes entreprises (nationales et internationales) et intégrer les chaînes de valeur régionales et globales.
· Comment les structurer en écosystèmes ?
(Benchmarking)
1. Le Modèle des «Pôles de Compétitivité» (France/Québec)
· Concept : regrouper sur un territoire donné des entreprises, des centres de formation et des organismes de recherche pour générer des synergies et des innovations sur une thématique ciblée.
· Application pour le Sénégal : créer un pôle de compétitivité agro-industriel dans la Vallée, un Pôle numérique et FinTech à Dakar/Saly, un Pôle tourisme durable sur la Petite-Côte, un Pôle énergies renouvelables à Taïba Ndiaye. L’Etat finance des projets de R&D collaboratifs entre une université et un consortium de Pme.
2. Le Modèle des «Cluster Initiatives» (Allemagne, Pays Nordiques)
· Concept : plus léger et orienté business qu’un pôle, le cluster est une association d’entreprises (souvent des Pme) d’une même filière qui mutualisent leurs efforts (achats groupés, marketing à l’export, formation).
· Application pour le Sénégal : soutenir financièrement et techniquement la création de clusters dans la pêche artisanale (pour la transformation et l’export), l’artisanat d’art, le Btp local, etc.
3. Le Modèle des «Villes/Régions Entrepreneuriales» (Pays-Bas, Canada)
· Concept : une collectivité territoriale fait de l’entrepreneuriat sa priorité absolue : simplification administrative locale, accès à des pépinières d’entreprises, connexion avec les universités, festivals de l’innovation.
· Application pour le Sénégal : lancer un label «Région entrepreneuriale» avec des dotations financières pour les régions qui mettent en place les écosystèmes les plus favorables à la création et à la croissance des Pme.
4. Le Modèle de la «Spécialisation Intelligente» (S3 – Union européenne)
· Concept : méthodologie rigoureuse où chaque région identifie ses avantages stratégiques (niches) grâce à un processus participatif (entrepreneurial discovery process) et y concentre ses investissements en R&D et innovation.
· Application pour le Sénégal : chaque région réalise son diagnostic et choisit 1 ou 2 filières prioritaires (ex : transformation de la mangue en Casamance, aquaculture à Saint-Louis, services logistiques à Dakar). Tous les efforts publics et privés sont alignés sur cette spécialisation.
5. Feuille de route concrète et concise
1. Définir les spécialisations régionales : via une large concertation (Etat, Régions, Secteur privé) pour acter la feuille de route économique de chaque territoire.
2. Créer les instruments de gouvernance : mettre en place dans chaque région un Conseil régional de développement économique (Crde) associant élus, patronat, universités et administration.
3. Renforcer les capacités locales : former les cadres des régions au montage de projet et à la stratégie économique. Flécher une partie de la fiscalité nationale vers les budgets de développement économique régionaux.
4. Lancer des appels à projets «écosystèmes Pme» : financer des projets collaboratifs (ex : une grande entreprise qui digitalise 10 de ses Pme sous-traitantes) dans chaque pôle prioritaire.
5. Adapter la formation professionnelle : les centres de formation régionaux (lycées techniques, universités) doivent aligner leurs curricula sur les spécialisations choisies par leur territoire et au demeurant articuler le financement du 3 Fpt à cet effet.
En conclusion :
La territorialisation n’est pas une option, mais une condition sine qua non pour la réussite du Sénégal 2050. Il s’agit de remplacer un modèle de développement descendant par un modèle ascendant, collaboratif et agile, où chaque région devient un moteur spécialisé de la croissance nationale. Les Pme, en étant irriguées, connectées et soutenues par ces écosystèmes territoriaux, deviendront effectivement les cellules actives de cette nouvelle économie sénégalaise, résiliente et inclusive, in fine, le tout adossé à la l’approche économie endogène du Projet.
Dr Seydina Oumar SEYE