Pour prévenir l’extrémisme violent au Sénégal, les autorités gageraient à s’attaquer aux vulnérabilités des zones aurifères. Une étude réalisée par le Cheds et l’Iss dans les régions de Tambacounda et Kédougou, montre que ces localités minières «recèlent des vulnérabilités qui sont instrumentalisées par ces groupes, dans leurs stratégies de contrôle des espaces et circuits d’approvisionnement dans la zone sahélienne».

Par Dieynaba KANE – A travers une étude réalisée dans les régions de Tamba­counda et Kédougou entre septembre 2019 et octobre 2021, le Centre des hautes études de défense et de sécurité (Cheds) et le Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad de l’Institut d’études de sécurité (Iss) ont identifié les menaces liées à l’exploitation aurifère. Les résultats de cette étude intitulée «Prévenir l’extrémisme violent au Sénégal : les menaces liées à l’exploitation aurifère», montrent que l’exploitation de ce métal précieux «cons­titue une source de financement des groupes extrémistes violents dans le Sahel». Partant de ce constat, les experts qui ont réalisé cette enquête, soulignent que : «Les localités aurifères de Ké­dougou et Tambacounda recèlent des vulnérabilités qui sont instrumentalisées par ces groupes, dans leurs stratégies de contrôle des espaces et circuits d’approvisionnement dans la zone sahélienne». Dans la même veine, ils relèvent que : «L’absence de traçabilité des ressources qui financent l’activité aurifère et de celles qui découlent de la commercialisation de l’or, alimente les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.» Les auteurs de ce rapport ont aussi établi le lien qu’il peut y avoir entre la pauvreté et le recrutement par des groupes extrémistes. «Le fossé entre les potentialités économiques et le niveau de pauvreté, combiné à la faiblesse des infrastructures sociales de base, alimentent un sentiment de frustration et d’exclusion au sein des populations, les rendant vulnérables au recrutement par les groupes extrémistes», ont-ils averti. Il a été également constaté dans le cadre de cette étude, que «les importants flux migratoires et financiers, résultant de l’orpaillage, bouleversent les rapports sociaux et entraînent des dynamiques conflictuelles, sur fond de tensions liées à l’accès aux ressources». Ces flux massifs et incontrôlés, précise le rapport, «accentuent le risque d’infiltration et d’implantation d’éléments extrémistes». Dans ce cadre, il est noté que : «Les trafics illicites transnationaux en tous genres, engendrent une économie criminelle qui peut permettre aux groupes extrémistes violents de s’approvisionner et nouer des alliances de circonstance avec des acteurs qui cherchent également à se soustraire au contrôle de l’Etat.» Autres menaces relevées dans le document, ce sont «les conséquences environnementales et sanitaires de l’orpaillage, déjà perceptibles dans la zone de recherche» qui, d’après les experts, «risquent d’accentuer les vulnérabilités identifiées, notamment en réduisant les activités génératrices de revenus et en affectant la santé des populations».

Une approche préventive multidimensionnelle préconisée
Par ailleurs, considérant que le «risque d’une expansion de la menace extrémiste violente vers le Sud-est du Sénégal ne se limite pas seulement aux attaques potentielles» et qu’il «concerne également le fait que le territoire sénégalais puisse être utilisé à des fins de financement, d’approvisionnement et de recrutement», les experts soutiennent que : «Les autorités nationales gagneraient à adopter une approche préventive multidimensionnelle.» De même, ils estiment qu’il «urge d’accélérer le processus de formalisation de l’Exploi­tation minière artisanale et à petite échelle (Emape), afin de contenir l’exploitation clandestine et renforcer les mécanismes de contrôle du circuit de commercialisation de l’or». Cela, ajoutent-ils, «permettrait de réduire les risques de financement du terrorisme et lutter contre les multiples vulnérabilités découlant de l’orpaillage, qui gangrènent les régions de Kédougou et Tambacounda». Pour prévenir l’extrémisme violent, il est aussi conseillé «la réduction des déséquilibres socio-économiques, prompts à générer des frustrations, notamment dans les zones frontalières». Cela, selon les auteurs de cette étude, «passera par une mise en place accélérée, efficace et harmonisée des programmes de développement étatiques dans les deux régions». En outre, ils estiment que : «Des efforts de consultation et de sensibilisation doivent accompagner les interventions de l’Etat, parfois incomprises et mal vécues par les orpailleurs, afin de réduire les tensions qui en découlent.» Dans la même dynamique, les experts sont convaincus qu’un «renforcement du dispositif sécuritaire, qui tiendrait compte des divers types de trafic, est déterminant pour relever les défis nationaux et régionaux liés à la gestion, la surveillance et le contrôle des frontières».
dkane@lequotidien.sn