«Désormais, j’habite les sacrifices de ma mère…» Un texte poignant, des comédiens et comédiennes au sommet de leur art, et une mise en scène ingénieusement pensée et épurée. L’artiste burkinabè Aristide Tarnagda, une des grandes voix du théâtre francophone et également directeur des Récréâtrales à Ouagadougou, a présenté sa nouvelle pièce, «Fadhila», au festival des Francophonies -des écritures à la scène, à Limoges, en France. Un hommage à l’écho des mots et aux mères qui disent «non» à la violence.Qui est Fadhila ?

Fadhila, c’est une femme. C’est une mère qui se dresse face à la barbarie, face à toutes les sauvageries qui lui tombent dessus : son mari qui est parti et dont elle n’a plus de nouvelles, son premier fils qui a rejoint les terroristes, et son dernier fils qui veut s’engager du côté de l’armée pour combattre les terroristes. Elle se dresse face à ça pour dire non à la barbarie.
La pièce commence lorsqu’une femme, Fa­dhila, apparaît de nulle part, entre, chante, prépare le repas… Tout un symbole.
Oui, tout un symbole. Tout un symbole de la conservation de la vie, coûte que coûte. De l’amour, parce que, dans la cuisine, nourrir, c’est aimer. Quand on aime, on nourrit. C’est un geste, un acte important, hautement symbolique : l’amour, la cuisine… Elle consacre du temps pour nourrir son fils, malgré le fait qu’il ait tué.
La pièce, est-ce une déclaration d’amour à la mère ?
Oui, c’est une déclaration d’amour. C’est surtout un refus. Comme elle dit dans le texte : c’est un refus de la fin du monde. C’est un refus de tout ce qui est ignominie, barbarie, violence. C’est une convocation, une exigence de la lumière, de l’amour, de la fraternité, de la sororité, de tout ce qui fait finalement que les êtres humains sont des hommes et non des bêtes.
De l’autre côté, il y a l’absence du père. Qu’est-ce que cette absence-là provo­que ?
Cette absence provoque un sentiment d’abandon. C’est un vide qui crée un vide abyssal, pour un fils qui a besoin de ce père pour se construire, mais aussi pour une femme qui a besoin de la présence de ce mari-là pour pouvoir prendre soin de l’enfant. C’est tout le problème. Et la femme et l’enfant ont besoin de l’homme pour se constituer, pour se sentir pleinement vivants. Cette absence vient créer des failles, un vide qu’on ne peut pas combler. Toute la tragédie de Abdou est là, quand il demande à sa mère : «Où est mon père ?» Face à ça, elle n’a pas de réponse. Et ce qui fait que Abdou glisse doucement dans la violence.
C’est une pièce dotée d’une ambition universelle. L’action n’est pas limitée à un lieu précis ou à une époque, une mère noire peut avoir un fils blanc… Néanmoins, une chose est sûre et certaine : ce sont les femmes, les héroïnes. Elles s’imposent comme des résistantes qui se battent contre la violence, contre la haine, pour la dignité, pour l’indépendance… Les hommes, eux, ils fuient, cèdent à la violence, font la guerre. Pourquoi n’y a-t-il que des qualités côté femmes et que des défauts côté hommes ?
Ce n’est pas aussi binaire. Ce n’est pas simple pour l’homme qui est parti. Il est aussi une victime. Il ne voulait pas partir, mais il est justement parti dans l’intention de protéger sa famille, de prendre soin de sa famille. Romaric, quand il s’en va, il ne fuit pas, il n’abandonne pas sa famille. Il part pour éviter l’indignité à sa famille, pour éviter d’être un spectacle aux yeux de ses enfants. Alors quand il s’en va, ça se passe mal. Et c’est pour protéger sa famille, ses enfants, qu’il envoie la lettre qu’il a envoyée à son fils. Donc, c’est avant tout une histoire d’êtres humains et pas de sexe ! Ce n’est pas «hommes» ou «femmes», c’est une histoire d’êtres humains. Mais il se trouve que les figures qui restent, qui se dressent malgré tout, ce sont les femmes. Les hommes sont des absents, des absents, parfois tragiques, parce qu’ils ne l’ont pas choisi. Pour moi, c’est aussi un hymne aux hommes. Abdou, c’est un homme qui aime sa mère et qui croit aller à la guerre pour protéger sa mère. Il le dit dans le texte : «Pour la liberté et la dignité.» Voilà.
A un moment, Abdou, l’un des fils de Fadhila, déclare : «Je me bats aussi pour que l’Europe ne nous prenne plus personne.» Quel est le rôle de l’Europe dans votre pièce ?
Pour le Burkinabè, pour l’Africain que je suis, il y a eu l’Histoire. Il y a quand même pas mal de personnes qui sont fascinées par l’Europe. Cette Europe qui, pendant longtemps, a bâillonné, pillé. Et elle continue même d’être parfois condescendante vis-à-vis des peuples qui, hier, étaient sous sa domination. Il y a les multinationales européennes, américaines, chinoises…, et on parle de tout ça dans le texte. Elles réduisent encore tout un continent à un réservoir de matières premières. Parce que ces guerres ne tombent pas du ciel. Il y a très peu de pays africains qui fabriquent des armes. Mais comment ça se fait qu’il y ait autant de prolifération d’armes sur le continent ? Puis, l’Europe est la destination rêvée de beaucoup d’Africains. C’est une histoire douloureuse, mais qu’on partage. Le théâtre est un espace de questionnement, ce n’est pas un espace pour donner des réponses, c’est un espace pour s’interroger. C’est ensemble, et l’Afrique et l’Europe, en s’interrogeant, que nous allons trouver un avenir commun.
Rfi