La plainte déposée auprès du procureur de la République d’un individu qui prétend être le propriétaire du terrain dans lequel la Maison du quartier de Cité Senghor a été érigée ulcère les populations de la cité. Elles l’ont manifesté hier à la faveur d’un point de presse. Ces habitants qui dénoncent «une tentative frauduleuse de spoliation de tout un quartier» invitent les directions du Cadastre et des Domaines à prouver l’authenticité de certains actes administratifs.

Avec l’ouverture de l’Aéroport international Blaise Diagne (Aibd) et la construction de l’autoroute à péage Ilaa Touba, le foncier à Thiès a connu un regain d’intérêt qui a aiguisé l’appétit de promoteurs privés. Ainsi, les scandales fonciers se multiplient et le dernier en date oppose les populations de Cité Senghor à un promoteur privé. Face à la presse hier, elles disent avoir respecté toutes les conditions de droit pour occuper ce terrain et y ériger la «Maison du quartier» de Cité Senghor. Elles soutiennent que ce n’est rien d’autre que du «harcèlement et de l’intimidation des habitants de Cité Senghor, dont certains – des vieillards – ont été même convoqués à la Brigade de gendarmerie et devront par la suite, à la requête du procureur de la République, comparaître le mardi 16 janvier 2018, en audience pour se défendre com­me prévenus», explique La­mine Kane. Selon le président du Comité de quartier de Cité Senghor, ils sont reprochés «d’avoir, depuis 2010, occupé illégalement un terrain sans titre ni droit». Ce qui est «totalement faux», selon M. Kane qui fait un bref rappel historique. «C’est en 1996 que les populations de Cité Senghor, un quartier dans la commune de Thiès-Est, peuplé d’environ d’une vingtaine de milliers d’habitants, caractérisé par un faible niveau des revenus et par l’absence d’équipements sociaux, s’organisent dans un Comité de quartier pour faire face à leurs dures conditions de vie. Une sorte de ‘’Municipalité de quartier’’, regroupant les jeunes, les femmes, les adultes, les personnes du troisième âge et les autorités coutumières et religieuses». Le président du Co­mité de quartier, Lamine Kane, de poursuivre : «C’est au sortir d’un forum populaire organisé en juillet 1996, à l’initiative des populations du quartier, présidé par le ministre de la Ville d’alors, Daour Cissé, en présence du maire de la Ville de Thiès de l’époque, Moustapha Ndiaye, sur le Plan d’action pour le développement socio-économique du quartier qu’il a été retenu, entre autres propositions importantes, la nécessité de construire une Maison de quartier.»
Laquelle est conçue comme «une  maison pour tous, un équipement pour toutes les populations du quartier, donc un cadre de rencontres, d’échanges intergénérationnels, un centre de services de proximité, un centre polyvalent de formation, d’animation, de loisirs et de convivialité pour les populations du quartier». Egalement, ajoute-t-il, «elle devait polariser les quartiers voisins de Hersent, Diamaguène, Keur Ablaye Ya­skhine, Darou Salam et Sil­mang, soit, à l’époque, environ le quart de la population de la ville de Thiès». Une initiative qui avait reçu le soutien du «ministre de la Ville qui s’était engagé à saisir les services compétents de l’Etat afin qu’un terrain puisse être affecté au comité de quartier et servir à la construction de ladite Maison».
A la suite du ministre de la Ville, le maire Moustapha Ndiaye, appuyant cette proposition, avait adressé une correspondance au service des Domaines de Thiès. Et suite au dépôt par le ministre de la Ville d’un dossier de bail sur une «parcelle de terrain d’une su­per­ficie de 1 320 m2, sise à Cité Senghor», le receveur des Domaines de Thiès avait adressé le 3 décembre 1997 un courrier aux responsables du Comité de quartier pour les informer que «le dossier est en cours d’instruction au niveau des Services techniques régionaux qui ont tous émis un avis favorable. En foi de quoi la présente attestation est délivrée pour servir et valoir de droit». C’est à partir de ce moment, poursuit Lamine Kane, que le Comité de quartier, dans l’attente  de la remise du bail, s’engagea dans le cadre de ses diverses activités à trouver les moyens pour construire cette Maison pour tous. Ainsi, les travaux ont démarré en 2001, grâce à des chantiers internationaux de jeunes.

Plaintes et complaintes
Au total, il y a eu  entre 2001 et 2013 sept chantiers de jeunes financés par les collectivités territoriales françaises, principalement la Ville de Paris, mais également par l’Etat français. Le Comité de quartier de Cité Senghor étant membre fondateur de la Fédération Léo Lagrange Sénégal depuis sa création en 2001. Mais «depuis 2013, le chantier n’avance pratiquement plus, faute de financements». Il souligne que la Ville de Paris qui a financé 4 chantiers a envoyé en août 2006 le député et premier adjoint du maire, Christophe Carèche, visiter le chantier de la «Maison du quartier». Celui-ci a également reçu la visite de l’ambassadeur des Etats-Unis à l’occasion de l’inauguration du poulailler communautaire financé par son pays au bénéfice des femmes du quartier. Mais, se plaint-il, «depuis 2013, nous éprouvons des difficultés pour terminer les travaux. A la suite des réformes institutionnelles ayant créé la Ville de Thiès et les communes de Thiès-Est, Thiès-Nord et Thiès-Ouest, nous avions pensé que nos élus locaux auraient pu nous accompagner. Toutes nos démarches ont été vaines». C’est dans ce contexte qu’un individu du nom de Mourtalla Seck s’est présenté pour se déclarer «propriétaire du terrain où est construite la Maison de Quartier et que celui-ci lui aurait été vendu en 2010 par M. Yelli Sow, résidant aujourd’hui à l’étranger, qui prétend avoir acquis cette parcelle en 1988».
Aujourd’hui, la «question principale» que se posent les populations de Cité Senghor qui se sont mobilisées pour «défendre avec fermeté, conserver et protéger un bien qui appartient à la communauté» est de savoir «comment un terrain attribué en 1988 à M. Yelli Sow peut être à nouveau donné en 1997 aux populations de Cité Senghor par les mêmes services de l’Etat, à savoir la direction du Cadastre qui gère le portefeuille foncier de l’Etat et la direction des Do­maines» ? Elles souhaiteraient que «l’authenticité du titre de M. Yelli Sow cédé à M. Seck soit prouvée, de même que tous les autres actes administratifs qui fondent les prétentions de ces derniers». Pour mieux brouiller les pistes, soulignent les habitants de Cité Senghor, «Yelli Sow et Mourtalla Seck ont déclaré que leur terrain a une superficie de 2 040 m2 et donc dépasse le quartier». Toutefois, les populations disent entendre se battre jusqu’au bout contre tous les «spéculateurs et leurs complices dont le dessein vise à nous spolier au profit d’individus et de groupes privés mus exclusivement par le gain, au mépris des intérêts de populations qui aspirent à un cadre qui contribue à l’épanouissement des jeunes, des femmes et des personnes du troisième âge».
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