Thiès – Talla Sylla sur la dette du Sénégal : «De la polémique à la raison d’Etat»

Le président de Jëf-jël/Jàmm ak naatange est revenu sur le débat sur la dette cachée pour s’en offusquer et insiste sur l’impératif de «ramener le débat à l’essentiel : la sauvegarde des intérêts supérieurs du Sénégal». Par Cheikh CAMARA –
Talla Sylla, président de Jëf-jël/Jàmm ak Naatange, considère que «la polémique sur une supposée «dette cachée» du Sénégal a suffisamment duré». Il fait un constat : «Née sur le terrain politique, elle a dangereusement glissé vers une arène technico-financière où les approximations et les contradictions menacent aujourd’hui la crédibilité de notre Nation et, plus grave encore, le bien-être des Sénégalais.» Loin, dit-il, de vouloir raviver les querelles, l’ancien ministre-conseiller du Président Macky Sall trouve impératif de «ramener le débat à l’essentiel : la sauvegarde des intérêts supérieurs du Sénégal. Pour ce faire, il nous faut répondre aux questions fondamentales : une dette a-t-elle été cachée ? Si oui, par qui, avec la complicité de qui, dissimulée à qui, et pourquoi ?» Une «dette cachée» introuvable : la querelle de la méthode. Pour Talla Sylla, au cœur de cette tempête, il n’y a pas la découverte d’emprunts clandestins, mais un changement de méthodologie comptable. La controverse est née de la décision du nouveau gouvernement d’intégrer la dette des entreprises du secteur parapublic (sociétés nationales, agences) dans la dette globale de l’Etat. Cette pratique, qui rompt avec celle de toutes les administrations précédentes, a mécaniquement gonflé le ratio d’endettement, donnant lieu à l’accusation de «misreporting» (erreur de déclaration) par le Fmi. Cependant, dit-il, parler de «dette cachée» est un abus de langage. Et de se demander : «Comment peut-on cacher une dette que l’on honore ?» Il rappelle que le «Sénégal a toujours été un élève modèle, respectant scrupuleusement ses échéances auprès de créanciers bilatéraux et multilatéraux qui n’ont jamais signalé le moindre défaut de paiement. Une dette se rembourse, et ces remboursements figuraient en bonne place dans les lois de finances successives, constituant l’un des premiers postes de dépenses de l’Etat».
Pour lui, ces «fonds ont servi à financer des infrastructures visibles et structurantes -autoroutes, ponts, aéroports, stades, nouvelle ville- qui constituent un héritage tangible, que l’on approuve ou non leur pertinence stratégique». D’après l’ancien maire de Thiès, la crédibilité de l’Etat et de ses serviteurs est en jeu. Talla Sylla de poursuivre : «Plus inquiétant encore, cette polémique jette un discrédit inacceptable sur l’ensemble de notre haute Administration. Si dette cachée il y avait, cela signifierait que les plus hauts organes de contrôle de l’Etat, qui ont validé les comptes publics année après année, auraient été soit complices, soit incompétents. Cela voudrait dire que les brillants esprits du ministère des Finances, du Trésor, de la Bceao et de l’Ansd, reconnus pour leur rigueur, seraient des faussaires.» Selon lui, «le paradoxe est saisissant : plusieurs de ces hauts fonctionnaires sont aujourd’hui maintenus à des postes-clés, voire promus au sein du nouveau gouvernement». Il se pose des questions : «Comment peut-on leur faire confiance pour gérer le pays aujourd’hui si l’on suggère qu’ils ont contribué à falsifier ses comptes hier ?»
Talla Sylla estime que «cette contradiction insoluble affaiblit l’Etat et sape la confiance des citoyens envers ceux qui le servent». Il poursuit : «Au nom du droit à l’information, il est temps que la transparence soit faite par la publication des rapports pertinents et, surtout, un tableau simple et détaillé de ces fameuses dettes prétendument dissimulées. L’absence de cette preuve factuelle alimente le scepticisme.» Sur ce registre, indique l’ancien maire de Thiès, la non-publication du rapport du cabinet Mazars, commandité par les autorités actuelles, avec l’argent public, pose une sérieuse interrogation : «Que cherche-t-on à cacher ? Le paradoxe du Fmi : souverainisme ou soumission ?» Pour M. Sylla, hier accusé de complaisance, le Fmi est aujourd’hui courtisé avec insistance. «Cette posture ambivalente est pour le moins déroutante. Un gouvernement qui a fait du souverainisme son cheval de bataille ne peut, sans se contredire, vilipender une institution un jour et l’implorer le lendemain. Cette cacophonie au sommet de l’Etat envoie un signal de fébrilité aux partenaires financiers et affaiblit notre position de négociation.» Il pense que «la conséquence directe et dramatique de cette saga est que le Sénégal se retrouve acculé».
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