Le sous-secrétaire d’Etat adjoint américain du Bureau des affaires internationales de stupéfiants et de répression (Inl) est d’avis que la société privée russe Wagner, qui était sur le point d’être sollicitée par l’Etat malien pour intervenir au Mali, n’est mu que par le contrôle des ressources du pays dans lequel elle se déploie. Impressionné par ce qu’il a appris et vu au 7ème Forum paix et sécurité de Dakar, Tobin Bradley salue l’engagement du Sénégal à lutter contre le terrorisme, donne les raisons de la tenue du sommet pour la démocratie à l’initiative du Président américain, Biden, et décline le plan américain de lutte contre le trafic des stupéfiants aux côtés de pays d’origine, de transit et ceux de destination.Vous avez pris part au Forum paix et sécurité de Dakar. Qu’avez-vous retenu de ce conclave ?

C’est la première fois que je viens participer au Forum de Dakar sur la paix et la sécurité. Mais j’ai été impressionné. Ce que j’ai le plus retenu, c’est le rôle de leader que le Sénégal joue dans la région ; pas seulement dans la région, mais au-delà. Nous avons vu le Président (Cyril Ramaphosa), mais également d’autres présidents prendre part à ce forum. Et nous saluons le désir de lutter ensemble avec les partenaires internationaux contre le terrorisme. Et, cela je l’ai trouvé très impressionnant. Et, ça m’a inspiré.
Nous n’avons pas que parlé seulement du terrorisme. Nous avons parlé d’autres formes de crimes transnationaux organisés, comme le trafic de stupéfiants, la traite des personnes, la traite des migrants également.

Comment appréciez-vous la stratégie sénégalaise de lutte contre le terrorisme ?
Je dois juste faire remarquer, et c’est ce que j’ai appris de ce forum, que le Sénégal est, absolument, engagé à préserver la stabilité contre le terrorisme, à assurer la paix et la sécurité. Il y a plusieurs acteurs qui sont impliqués dans cet effort. J’ai eu à rencontrer les responsables du ministère, de la Direction générale de la police. J’ai eu à rencontrer le Haut commandant de la gendarmerie, ce matin (ce mercredi). Et, tous ces acteurs ont montré un engagement pour lutter contre ces terroristes, qui veulent déstabiliser la sous-région.
Il y a eu quelque chose que j’ai retenu lors du forum. Le Président Bazoum (du Niger) a parlé hier (ce lundi) de relations entre la criminalité et le djihadisme, en disant qu’il y a une criminalisation du djihad et une djihadisation du crime. Et, j’ai trouvé cela très intéressant. Nous, nous avons beaucoup à apprendre auprès de nos partenaires dans ce domaine-là.

Vous intervenez au Sahel aux côtés de vos amis français, en soutenant la Force Barkhane. Quel intérêt cette zone de l’Afrique susciterait-elle chez les Etats-Unis ?
Vous avez parlé du Sahel et de notre intérêt au Sahel. C’est l’Afrique, dans son ensemble, qui nous intéresse. Pourquoi l’Afrique nous intéresse-t-elle ? L’Afrique, c’est le continent du futur. Parce que, dans 20 à 40 ans, une personne sur 4, qui vivra sur cette planète, sera en Afrique. Et, l’Afrique a un fort potentiel de croissance et d’innovations. Et nous ce que nous voulons, c’est de construire des partenariats.
Nous sommes un pays atlantique, les Etats-Unis ont une côte sur l’Atlantique. Et nous voulons nous assurer que dans toutes les régions de l’Atlan­tique, il y a ce qu’on appelle l’Etat de droit et le respect des droits de la personne. Que ce soit au nord comme dans la partie sud de l’Atlantique.
Pour ce qui est du Sahel, c’est une région qui a une importance capitale. Et, malheureusement, il y a des acteurs qui sont en train de déstabiliser la région et les pays environnants de l’Afrique de l’Ouest. Et si cette déstabilisation-là réussit, cela va affecter les pays non seulement dans le Sahel, mais également à l’est, à l’ouest, comme au sud de cette région sahélienne.
Nous voulons travailler avec nos partenaires pour éviter cette déstabilisation. Parmi nos partenaires, il y a la France et d’autres. Vous avez mentionné tantôt (lors du briefing) le groupe russe Wagner. Eux, ils ont des intérêts très réduits, vraiment particuliers. Nous, nous avons l’intérêt général d’assurer le respect des droits, de l’Etat de droit. C’est cela qui nous différencie. Nous croyons que s’il y a la paix et la justice, c’est mieux pour tout le monde.

Justement, il y a l’idée de faire venir la société privée russe de sécurité, Wagner, au Mali qui a été agitée ces derniers mois par l’Etat malien, en vain. Quelles conséquences le déploiement d’une telle structure pourrait-il entraîner ?
Nous avons aussi entendu ces informations qui faisaient état de l’arrivée probable de Wagner au Mali. Et, je dois dire que c’est une source de préoccupation pour nous. Wagner n’est pas intéressée par le renforcement des institutions. Wagner a plutôt d’autres objectifs, par exemple, avoir une mainmise sur les ressources du pays dans lequel elle est dé­ployée.
L’approche américaine est différente. Par le biais de mon bureau, le biais du Départe­ment d’Etat américain, nous essayons de renforcer l’Etat de droit, les institutions civiles, la magistrature pour nous assurer que les droits des citoyens sont respectés.
La justice est accessible à tous que lorsque les gens ont enfreint la loi, qu’ils sont condamnés et sont incarcérés, que dans les lieux de détention, leurs droits humains ne soient pas violés ; qu’ils restent des citoyens qui ont des droits malgré le fait qu’ils sont condamnés par la justice. C’est cela que nous voulons. Nous voulons une touche humaine dans les lieux de détention. Et, cela est différent de ce que Wagner veut faire. Wagner serait plutôt une force de déstabilisation dans les pays dans lesquels elle interviendra. Donc, ce que nous voulons au Mali, c’est qu’il y ait une transition rapide et pacifique afin qu’il retourne sous le règne de la démocratie. Et nous attendons cette occasion pour pouvoir renouer nos relations de coopération, dans le cadre de la démocratie, l’Etat de droit avec le Mali.

Le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont en proie à des attaques terroristes fréquentes. Les populations au Burkina Faso et au Mali sont irritées par cette situation au point même d’exiger le départ d’un chef d’Etat pour le cas du Burkina ou de l’Armée française pour celui du Mali. Qu’est-ce que cela vous inspire-t-il comme réflexions ?
Ce ne sont pas seulement les pays que vous avez cités qui sont confrontés à des difficultés. Tous les pays sont confrontés à des difficultés et surtout au cours des deux dernières années avec le Covid-19, qui a vraiment mis la pression sur toutes les institutions à travers le monde. Donc, cela a été un moment difficile pour les démocraties, y compris notre démocratie, les Etats-Unis. Parce qu’aux Etats-Unis, on a vu un mouvement où les gens ont essayé de contester, de remettre même en question nos propres institutions. Et c’est pourquoi le Président Biden a décidé d’accueillir le sommet sur la démocratie. Parce que nous ne pouvons pas permettre à l’autoritarisme de gagner la bataille. Si on le fait, tout est perdu.
La démocratie, c’est quelque chose de difficile. Mais c’est quelque chose qui vaut la peine de se battre. Et nous devons nous battre pour avoir la démocratie. Et, en disant cela, je pense aussi à un autre aspect, parce que les piliers de ce forum sont différents. Il y a la corruption, qui est un mal qui est en train de gangréner beaucoup de choses. Si on ne combat pas la corruption, elle va infiltrer tous les domaines de la vie.
Donc, ce sommet va se dérouler en deux phases. La première année, ce sera un engagement. Les Etats viendront prendre des engagements. Ils diront ce qu’ils vont faire, dans le cadre de l’action. Ensuite, il y a une année d’action qui va suivre le premier sommet. Après on a un deuxième sommet où on va faire le bilan de ce qui a été réalisé depuis le premier sommet et voir sur quelle base repartir. Et ce que nous voulons faire, c’est d’aider tous nos pays partenaires, non seulement le Mali et le Burkina Faso, mais tous les pays partenaires à combattre les fléaux tels que le terrorisme, le trafic de drogue, la corruption et assurer l’Etat de droit. Nous nous réjouissons à la perspective d’accueillir le Président Macky Sall ainsi que les leaders de 16 autres pays africains à cette conférence.

La lutte contre la drogue est aussi un de vos domaines d’intervention. Com­ment analysez-vous les efforts faits par les Etats de l’Afrique de l’Ouest contre le trafic ?
Par rapport aux efforts qui sont faits, dans le cadre de la lutte contre le trafic des stupéfiants, j’ai été heureux d’apprendre que, récemment, le Sénégal a opéré des saisies importantes d’une certaine quantité de stupéfiants en haute mer. Et cela montre également qu’il y a une augmentation du transit de produits stupéfiants au Sénégal et en Afrique de l’Ouest à destination de l’Europe ou même d’autres pays d’Afrique.
Je suis très heureux de voir le niveau d’engagement qu’il y a au niveau du Sénégal, pour combattre le trafic des stupéfiants. C’est un travail difficile, très difficile. Avec l’engagement, on pourra y arriver.
Donc, nous allons continuer à travailler en collaboration avec le Sénégal et d’autres pays. Nous allons également essayé de travailler avec les pays d’origine de cette drogue, à savoir les pays d’Amérique du Sud. Travailler sur les pays de transit comme le Sénégal, mais aussi travailler sur les pays de destination comme l’Europe. Parce que l’objectif également, c’est de réduire la demande en produits stupéfiants pour essayer de ralentir ce trafic.
Aux Etats-Unis, nous avons battu un record très triste l’année dernière. Nous avons dénombré plus de cent mille morts du fait de la consommation de produits à base d’opium qu’on appelle les opioïdes. Et, c’est un triste record. Ce que nous essayons de faire comprendre, c’est que la drogue détruit, déstabilise, corrompt. Et, avec la corruption des officiels, qui vient du trafic de drogue, ça rend la tâche encore plus difficile. Ensemble, nous pourrons être plus résilients en tant que partenaires.
Je suis donc très heureux de cette visite que je viens d’effectuer ici. Nous devons continuer à travailler ensemble pour lutter non seulement contre le trafic des stupéfiants mais également lutter contre les nouvelles menaces, les menaces émergentes telles que la cybercriminalité. Donc, cela c’est l’objectif que nous avons dans le cadre de la coopération.