Pour mettre en œuvre son projet phare de création d’agropoles intégrés, le Sénégal est allé chercher l’expertise malaisienne. Dans cet entretien, Ibrahima Wade, directeur du Bureau opérationnel de suivi du Plan Sénégal émergent, explique que la méthode malaisienne du Big fast results a permis de définir les spéculations sur lesquelles l’agropole du Sud va mettre l’accent dans un premier temps.

Quand on parle d’agropole intégré, qu’est-ce que cela recouvre ?
Le projet phare développement de trois agropoles intégrés, est une des composantes des 27 projets phare du plan Sénégal émergent. Pourquoi ce projet phare a été pensé ? Parce qu’il s’insère dans le volet agricole du Pse. Il fallait augmenter la production mais aussi, augmenter la valeur ajoutée de la production agricole. Le concept d’agropole a été pensé pour constituer le maillon manquant dans la chaine de valorisation de la production jusqu’à la mise en marché, domestique ou international. Nous avons conduit des études de pré-faisabilité qui nous ont permis de voir que le Sénégal avait un potentiel de développement agro-industriel. L’étude a également défini les principales zones : le Nord couvrant les régions de Louga, Saint-Louis et Matam, le Centre couvrant les régions de Kaolack, Fatick, Diourbel et Kaffrine, et le Sud avec les régions de Ziguinchor, Kolda et Sédhiou. Nous avons commencé par l’agropole du Sud, parce que toutes les analyses ont montré que le plus gros potentiel de production agricole se trouve là-bas. Il s’agira de mettre en place, sur un espace entre 50 et 100 ha, d’abord un agrégateur. C’est-à-dire, une infrastructure qui va permettre, à partir des spéculations qu’on aura choisies, de faire converger la production vers des lieux de stockage temporaire ou longue durée. Par exemple, pour la mangue, il va falloir construire une infrastructure qui va permettre de conserver la production saisonnière excédentaire pendant toute l’année, de construire des unités de transformation qui peuvent être des unités mutualisées ou des unités individualisées par des privés pour que les principaux produits comme la mangue, l’anacarde, la banane, le miel ou d’autres puissent être transformés localement, conditionnés et mis sur les marchés nationaux et internationaux. Mais quand on parle d’agropole, il y a aussi un ensemble de services autour, comme des services d’appui conseil, de facilitation, de transport, logistique. Par exemple, dans la zone sud, si on met l’agropole à Adéane comme ça semble se dessiner à Bignona, il est évident que la distance qui doit le séparer du port doit être une distance raisonnable pour que le produit, une fois valorisé et transformé, puisse être acheminé vers les marchés nationaux et internationaux. De ce point de vue, la logistique portuaire ou aéroportuaire va constituer des éléments de l’agropole. Il y a aussi un certain nombre de facilités qui doivent compléter l’agropole comme toutes les pistes, les routes qui doivent faciliter l’acheminement des productions. L’agropole est un agrégateur et qui parle d’agrégateur, parle d’unités satellites. Il y a par exemple, si l’option est définitivement retenue, de le positionner à Ziguinchor ou Bignona, il est évident que la production à Kolda et Sédhiou aura besoin d’une intervention primaire. Il y a donc des modules satellites qui vont être repositionnés ne serait-ce que pour permettre le stockage intermédiaire des produits, leur pré-traitement avant qu’ils ne soient acheminés vers le module principal. C’est une idée révolutionnaire dans le concept du Pse, parce que plus globalisant, plus englobant et permettant de fédérer les actions depuis la production jusqu’à la mise en marché. Il y a également des éléments qui ne sont pas physiques mais qui sont dans la logique de l’agropole. C’est par exemple, toute la structuration et l’organisation des filières. Il va falloir organiser les filières, ne pas laisser chaque producteur faire comme il l’entend. Organiser les filières, normaliser la production, organiser la collecte de la production de façon coordonnée pour que les unités industrielles en charge de la transformation ne soient pas en rupture. C’est ça la logique globale de l’agropole.

Et que vous apporte l’expérience malaisienne ?
La Malaisie est un des pays de référence en matière de conduite de dynamique de transformation et de politique d’émergence. Le Bos a signé un accord avec l’accompagnement du Programme des Nations-Unies pour le développement (Pnud) avec l’équivalent du Bos là-bas et qui est en train de prêter cette expertise dans d’autres pays. Nous avons pensé qu’il était juste et judicieux de recourir au titre de la coopération sud/sud à leur expertise. Et c’est dans ce cadre que cette mission d’expert nous est envoyée. Les projets d’agropoles sont des projets complexes par les acteurs qu’ils font intervenir mais aussi par les autres acteurs qu’il faut intégrer. La Malaisie a le savoir-faire pour ce genre de projets et ils ont développé une méthodologie dite du «Big fast results» ou résultats majeurs rapides, qu’ils sont en train de partager avec nous, organiser les acteurs à travers la méthodologie Lab, c’est-à-dire mettre les acteurs autour d’une table et définir une feuille de route, les rôles et les interventions des acteurs, définir un certain nombre de priorités, qui fait quoi et avec quels moyens. Ils ont déjà eu à accompagner la Tanzanie, l’Ethiopie et le Nigeria avec cette méthode.

L’objectif étant de démarrer avant la fin de l’année, est-ce que les financements sont déjà prêts et ou est-ce que cet agropole sera installé ?
Des partenaires comme le Pnud, l’Organisation des Nations-Unies pour le développement industriel (Onudi), la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (Bad) sont là avec nous et ils ont déjà des financements disponibles. Nous étions à Ziguinchor la semaine dernière, parce que le Lab, c’est aussi une approche qui implique les acteurs à la base. Nous avons donc rencontré les chambres de commerce, les gouverneurs, les projets et programmes de la zone et les services déconcentrés. Ce qui nous a permis de nous faire une idée plus précise sur les spéculations. Pour le moment, le montant du financement n’est pas arrêté, parce qu’il y a le module principal et les modules connexes ainsi que les infrastructures complémentaires. Les équipes vont faire un travail de détermination des coûts étant entendu que les projets et programmes en cours peuvent impacter la trajectoire. Par exemple, l’Ageroute est en train de conduire un programme de routes et de pistes à Ziguinchor. Il se peut qu’on n’ait pas besoin de ressources additionnelles, mais juste de réo­rienter les priorités d’intervention de l’Ageroute. C’est tout ça qui rend complexe la problématique. Pour les filières, la méthodologie qu’on a utilisée, c’est d’aller vers le Sud pour identifier toutes les filières potentielles. Nous sommes revenus et c’est le produit de cette mission que les experts malaisiens ont mis dans leur système. Ce système permet aux participants de dire selon eux et à partir des critères, sur quelles filières se positionner. Je suis très heureux de voir qu’à l’issue du processus, il y a une convergence parfaite entre ce qui est sorti ici et ce que la mission de travail a montré. Les produits dominants, c’est donc l’anacarde et la mangue. Si le Sénégal réussit déjà à transformer localement l’anacarde et la mangue dans le Sud, on aura réussi un très grand coup en termes d’apport à l’économie locale et nationale. Mais il y a aussi d’autres produits sur lesquels nous allons nous pencher comme le miel, l’ostréiculture ou la banane. Mais déjà, nous allons démarrer avec la mangue et l’anacarde.