Cette réflexion n’est pas un clin d’œil à Gérard Davet et Fabrice Lhomme. Ce n’est pas non plus un autre méandre pour en venir au respect du chef de notre coalition. En 2011, quand nous faisions du porte-à-porte pour vendre aux Sénégalais le candidat Macky Sall, les témoignages étaient unanimes : Macky Sall est un homme politique courtois, avec une bonne tenue républicaine. Même si on ne le connaît pas assez, nous voterons quand même pour lui. C’est au nom de cette courtoisie que les Sénégalais se sont mobilisés, pour vous protéger contre le vieux satrape qui nous gouvernait, au sommet de sa puissance et de sa roublardise. Nous n’avions que faire d’un quelconque programme de Yoonou yokkuté. Le 25 mars 2012, jour de votre brillante et retentissante élection, fut alors pour nous un jour de parousie. Et jusqu’ici, le contrat qui nous lie en tant que citoyen d’abord, vous êtes en train de l’honorer avec brio : transformer le Sénégal en un Etat de droit, et l’installer durablement sur la rampe de l’émergence. Mais – car il y a un mais – politiquement, il s’est creusé un hiatus entre votre vision de la politique et les attentes de la plupart de vos militants, dont certains ont fini par décrocher.
Vous avez choisi de ne pas structurer le parti. Vos raisons fondamentales ne sont pas connues de tous. C’est incompréhensible ! Le parti est une infernale machine de guerre électorale. En dehors des consultations électorales, des mobilisations liées à vos déplacements, c’est la léthargie barbante. Une absence totale d’activités et d’animations politiques. A force de léthargie, notre formation politique est devenue une organisation psychologiquement fragilisée et moralement désarmée. Le militant de L’Apr n’est plus qu’un article déréférencé dans le magasin présidentiel. C’est encore incompréhensible !
Quand bien même la fonction présidentielle ne saurait constituer un obstacle dirimant aux activités politiques et à l’animation de son parti. La nature ayant horreur du vide, «les absences structurent les présences. Les manques sont des agents de l’histoire», pour ainsi paraphraser Patrick Buisson. Des leaders porteurs d’alternatives et d’un avenir plus prometteur, ont fini par émerger dans les différentes localités. Parfois, hélas, ils sont issus des flancs de notre coalition. Cette contestation vigoureuse à laquelle vous risquez de faire face dans plusieurs localités n’est que la manifestation d’un ressentiment larvé. Dans les communes en proie à la fièvre de l’histoire en marche, l’effervescence monte.
Ces candidatures dissidentes ou indépendantes sont en parfaite congruence avec les attentes des militants profondément déboussolés par le clair-obscur d’une formation politique qui les emprisonne dans le tambour de l’incertitude et la peur du lendemain. Que deviendrons-nous après votre départ du pouvoir ? Bien malin qui peut prédire l’avenir des militants de l’Apr ! Le pouvoir qui vous échoit charrie son lot de courtisans, d’obligés, d’opportunistes, de zélotes et de parasites. Alors, des opportunistes qui n’ont jamais eu pour conviction que leurs intérêts instantanés et changeants se sont subrepticement installés à la tête de certaines institutions municipales. Des hommes politiques tellement opportunistes qu’ils ne se déterminent qu’au vu d’un possible retour sur investissement et d’une rapide prise de bénéfices, pour ainsi parler le langage de l’économie et des marchés. Ces grands benêts qui vous ont fait allégeance par opportunisme croient pouvoir duper les populations à la veille de consultation électorale, avec l’argent et l’envergure présidentielle qui leur offrent un parapluie providentiel. Aujourd’hui dans les zones urbaines, hélas beaucoup de politiques ne le savent pas encore, l’assujettissement des populations à l’argent facile crée une popularité toute platonique qui ne bénéficiera jamais que d’une très faible encaisse électorale.
Le comportement désastreux de ces fourbes à la tête de ces municipalités a fini par susciter chez les populations le sentiment d’être utilisées comme du bétail électoral, et provoque ipso facto une révolte inextinguible. La politique au niveau local, c’est aussi une présence permanente dans la commune, une accessibilité, une proximité constante, une collaboration confiante avec les populations, une transparence et une gestion participative aux affaires de la cité. Quand on est entouré de ringards, de bras cassés, de canards boiteux et de délinquants avérés, juste pour se défausser sur ses lamentables fusibles le cas échéant, c’est porter un lourd préjudice aux intérêts supérieurs des populations. Et cela procède d’un cynisme brutal et indécent. Amputée de sa raison d’être, la politique cesse d’être intelligible, et cessant d’être intelligible, elle cesse également d’être crédible.
Aujourd’hui, vous voulez nous embarquer tous, de façon holistique, dans le même bateau du Benno book yaakaar. C’est prendre le risque d’ignorer des cas particuliers qui méritent un traitement particulier, car le Benno n’existe pas ou ne fonctionne vraiment pas dans la grande plupart des communes. C’est plus qu’incompréhensible, c’est abscons !
Si vous n’êtes pas informé de ce qui passe dans certaines communes, c’est parce que vous êtes entouré d’élites déconnectées et désarrimées des réalités du pays. Elles ont choisi, hélas, de vous escamoter la vérité. Dans votre volonté surréaliste d’étouffer toute candidature dissidente, on découvre la tragique solitude d’un chef d’exception desservi par une brigade de médiocres, aussi peu combative qu’inventive. Ce serait une erreur à nulle autre pareille que d’utiliser la stature présidentielle pour imposer des candidatures rejetées par les populations. Ce serait un contre-emploi déroutant. Ce serait tout simplement nous consigner dans l’immaturité et l’insignifiance. Ce n’est pas le rôle du Président, qui est de rassembler et de maintenir la paix civile, non de dresser les Sénégalais les uns contre les autres. C’est trop facile de se réfugier derrière l’envergure présidentielle pour subrepticement s’emparer des institutions municipales contre la volonté des populations. «A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire», disait Corneille. Ces manœuvres nous semblent grosses de dangers potentiels.
Cela devrait conduire à des révoltes aussi impondérables qu’inéluctables. Dans certaines circonstances, la désobéissance est un devoir sacré. Comment peut-on accorder à des maires délinquants, démasqués par les populations, des sauf-conduits perpétuellement renouvelables ? Ils seront inéluctablement rembarrés par les populations furieuses de leur gabegie. Le dialogue n’est pas de la faiblesse. Il doit passer avant l’exercice de l’autorité. La fermeté n’est pas la rigidité. «Il n’y a plus de démocratie là où plus rien de ce qui monte de la population n’est écouté», écrivaient si pertinemment quinze personnalités françaises dans une tribune publiée le 29 janvier 2020 par plusieurs journaux français.
Ass Malick NDOYE
Responsable Apr
Gueule Tapée, Fass, Colobane